Kemi Seba : fierté béninoise ou caricature ?
Il a le look d’un boxeur. À première vue, on pourrait penser qu’il serait plus à l’aise sur un ring que sur une tribune politique.
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Florent Couao-Zotti
Florent Couao-Zotti est un écrivain béninois.
Publié le 22 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.
Mais, Kemi Seba Stellio Gilles Robert, cet activiste franco-béninois dont le nom, Capo Chichi, situe ses origines à Allada, à 80 km de Cotonou, cité historique qu’il partage avec Gahou Guénon, le grand-père d’un certain Toussaint Louverture, est une star du politiquement incorrect. Ses faits d’arme, qui vont de la contestation virulente de la France-Afrique à la supposée suprématie noire, se sont corsés avec la mise à feu dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, d’une coupure de cinq mille francs CFA.
Cet acte et les réactions qu’il a suscitées dans le monde francophone ne sont pas passés inaperçus au Bénin. Au contraire. Longtemps occupés par l’âpreté des réformes et des contestations qui jalonnent la gouvernance de Talon, les Béninois se sont sentis subitement interpellés par le comportement d’un des leurs. Pour le grand public, Kemi Seba fait partie d’une diaspora qui donne du Bénin deux visages complètement contrastés. Le pire et le meilleur.
Chez certains, notamment les jeunes, cet homme qui est proche de leurs sensibilités, est un héros. Le fait que le Sénégal ait déployé une armada policière et judiciaire contre lui atteste de la légitimité de son combat. Selon eux, il s’agit d’une exposition inespérée pour une cause longtemps négligée et qui a dès lors trouvé un relais dans la société civile. Kmal Radji, slameur connu des amateurs du genre au Bénin, a mobilisé une dizaine de jeunes, Place du Souvenir à Cotonou. Dans une démonstration qui n’est autre que la répétition du même scénario, ils ont chacun brûlé, non pas un billet de cinq mille – trop élevé pour leurs bourses –, mais une modeste coupure de mille francs.
Kemi Seba, une personnalité loin d’être inconnue
Heureusement, la police n’était pas là pour assister à cette scène. D’habitude si prompte à réagir à ces épiphénomènes en s’invitant aux manifestations publiques, elle a préféré ranger ses matraques et ses bombes lacrymogènes, occupée qu’elle était par les réformes que le gouvernement a introduites en son sein, en la fusionnant avec la gendarmerie nationale.
Mais Kemi Seba est loin d’être une personnalité inconnue. On l’avait découvert en 2015 suite aux propos virulents qu’il avait tenus contre Yayi Boni, président de la République d’alors, coupable, selon lui, de s’être « acoquiné » avec la France, pour avoir participé à la marche de protestation après l’attentat contre Charlie Hebdo. Il avait en outre fustigé le président de s’être habillé aux couleurs françaises, le bleu-blanc-rouge alors qu’il s’agissait, avait réagi la Marina – la présidence de la république du Bénin –, d’une « coïncidence ».
Selon certains, ce jeune qui parle de tout avec une verve bien à propos, est considéré comme un agitateur franco-africain en décalage avec les réalités africaines. Le site Babilown, fondé et alimenté par Blaise Aplogan, auteur du roman La Cola Brisée (L’harmattan, 1994), lui suggère, pour affirmer son africanité, de bien vouloir s’exprimer dans une langue béninoise, quitte à se faire traduire en anglais ou en français comme le font les évangélistes. « Lui qui hurle sur tous les toits sa colère en français en comptant beaucoup sur sa verve dans cette langue du colonisateur pour se faire entendre et respecter » gagnerait à utiliser une langue africaine pour rester en conformité avec sa logique panafricaniste.
Des discours presque inaudibles
Mais au-delà de tout, je trouve fort dommageable que ce personnage, somme toute cultivé et intelligent, ne serve pas véritablement la cause qu’il prétend défendre. Certes, il n’a pas inventé la roue, mais ses prises de position toujours polémiques, toujours à réaction, rendent presque inaudibles ses discours quand ils n’entretiennent pas la confusion. Il me rappelle ces intellectuels africains de la diaspora qui, recroquevillés dans leur monde, ressassent à longueur de temps les mêmes théories du complot et condamnent à posteriori tout propos contradictoire, même venant de leurs « frères de race ».
Mais qu’il soit outrancier ou non, reconnaissent la plupart des Béninois, le geste de Kemi Seba a permis de poser la problématique qui entoure le Franc CFA. Un proverbe local illustre bien le propos « quand on doit éteindre un incendie, on ne se préoccupe guère de savoir si l’eau est potable ou sale ».
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