Chine : le grand jeu antijihad

Comment défendre entreprises et ressortissants menacés par le terrorisme islamiste en Afrique et au Moyen-Orient ? En renonçant à la non-ingérence. Et en collaborant avec les États-Unis.

Libéré en janvier 2013, un otage chinois débarque à l’aéroport de Khartoum. © MOHAMED NURELDIN ABDALLAH/REUTERS

Libéré en janvier 2013, un otage chinois débarque à l’aéroport de Khartoum. © MOHAMED NURELDIN ABDALLAH/REUTERS

Publié le 9 août 2014 Lecture : 6 minutes.

Grande effervescence, depuis quelques mois, dans les représentations diplomatiques chinoises en Afrique. Le ministère de la Sécurité de l’État, le Guoanbu, a en effet lancé un communiqué d’alerte après avoir identifié sur le continent une "multitude de risques terroristes". Du Niger au Nigeria et du Soudan à l’Ouganda en passant par l’Éthiopie, plusieurs dizaines d’expatriés chinois ont certes été enlevés ou tués depuis quelques années.

Mais c’est la première fois que la question terroriste est explicitement évoquée. Il faut dire qu’au mois de mai dix Chinois travaillant sur le chantier de construction d’un barrage hydroélectrique au Nigeria, non loin de la frontière camerounaise, ont été kidnappés par Boko Haram.

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"Pékin suit avec beaucoup d’inquiétude les activités du groupe jihadiste, estime l’universitaire Anthony Ross, du Centre d’études chinoises de l’université de Stellenbosch, en Afrique du Sud. Lors de sa récente tournée africaine [du 4 au 11 mai], Li Keqiang, le Premier ministre, a beaucoup évoqué, notamment avec les Nigérians, la lutte contre le terrorisme. C’est une première, son gouvernement s’étant jusqu’ici montré résolument opposé à toute forme d’ingérence."

Sauf que près de 2 millions de Chinois sont aujourd’hui présents sur le continent. Et que la République populaire y dispose de 49 ambassades. Autant de cibles potentielles pour les groupes jihadistes…

Évacuation de 10 000 ressortissants chinois de Libye

"À Pékin, la question d’une implication militaire en Afrique se pose de plus en plus ouvertement, explique le professeur Ross. Le débat fait rage à ce propos au sommet de l’État. Le problème est qu’il faut protéger les ­intérêts économiques chinois, sans renoncer à se distinguer des Américains et des Européens sur le mode : "Regardez comme nous sommes pacifiques ; nous, nous ne faisons que des affaires !" Mais la Chine est très active dans des pays comme le Soudan, la Somalie et l’Éthiopie, où les autres ne vont plus pour des raisons d’éthique ou de sécurité. En 2011, il a par exemple fallu évacuer d’urgence de Libye plus de 10 000 ressortissants chinois…"

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Preuve que les choses sont en train de changer, 500 militaires chinois ont été déployés au Mali sous la bannière onusienne. "C’est une réponse directe à la menace terroriste, analyse l’universitaire David Shinn, ex-ambassadeur des États-Unis au Burkina et en Éthiopie. C’est la première fois que la Chine envoie ouvertement des troupes combattantes sur un terrain extérieur.

Elle a par ailleurs, ces dernières années, déboursé 5 millions de dollars [3,7 millions d’euros] pour la formation et l’équipement des armées ougandaise et kényane, qui sont en première ligne contre les groupes islamistes armés."

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Mesures symboliques ? Plus que cela. La Chine s’efforce d’apparaître comme un pays responsable et d’effacer son image de prédateur commercial. Du coup, elle cesse d’être uniquement un partenaire économique et tend à s’engager sur le terrain politique. D’ailleurs, les attachés militaires sont de plus en plus actifs dans ses ambassades sur le continent.

Pour l’instant, il n’est toutefois pas question de créer une base militaire permanente. Les autorités se bornent à dépêcher dans certains ports des navires de guerre afin de protéger les porte-conteneurs et les pétroliers contre les pirates.

La volonté chinoise de lutter contre le terrorisme en Afrique et ailleurs s’explique aussi par des considérations de politique intérieure. "Dans la province du Xinjiang, plusieurs attentats spectaculaires ont été perpétrés ces derniers mois par des Ouïgours turcophones et musulmans, explique Ross. Pékin y a répondu par une impitoyable répression qui le fait apparaître comme un ennemi de l’islam.

Il est donc à craindre que, au même titre que les États-Unis ou la France, la Chine devienne une cible privilégiée des groupes islamistes partout dans le monde." Et, par exemple, au Moyen-Orient. En Jordanie, le Guoanbu a ouvert une antenne chargée de surveiller les groupes jihadistes régionaux. À l’en croire, des islamistes chinois combattraient en Syrie et en Irak dans les rangs de l’état islamique (EI, ex-EIIL) et de Jabhat al-Nosra. Il accuse les services de renseignement turcs de leur avoir facilité le passage et se montre fort inquiet de l’hypothétique retour au pays de ces combattants aguerris.

>> À lire aussi : la Chine met en garde ses ressortissants après des menaces d’Al-Qaïda

L’enjeu est aussi commercial. Comme l’explique un diplomate occidental à Pékin, "la nouvelle "route de la soie" passe par le Moyen-Orient". En Afghanistan, des entreprises chinoises exploitent les mines de cuivre d’Aynak, les plus importantes d’Asie. Et c’est en Irak que la République populaire achète 8 % du pétrole qu’elle consomme. La déstabilisation de ces pays sous les coups de boutoir des jihadistes est donc un risque à prendre sérieusement en considération.

"Après le retrait des troupes américaines d’Irak, en 2011, la perspective de leur départ d’Afghanistan, à la fin de cette année, tourmente la Chine. À cause, bien sûr, du risque auquel ce retrait exposera ses entreprises et ses ressortissants, mais également parce que ces deux pays sont susceptibles de servir de bases arrière aux combattants ouïgours", assure le diplomate.

La Chine avance à l’aveugle

La Chine est donc contrainte de revoir sa politique étrangère et de se tourner vers… les États-Unis. Ce n’est pas tout à fait une nouveauté. Depuis les attentats du 11 Septembre, les services de renseignement chinois se sont (un peu) rapprochés des Américains et des Israéliens. Quatre-vingts agents chinois ont été formés aux méthodes de la lutte antiterroriste par leurs confrères américains. "Malgré leurs intérêts divergents, les deux pays ont en Afrique un ennemi commun : le terrorisme. Dans leurs discours sur le Xinjiang, les dirigeants chinois font d’ailleurs de plus en plus souvent référence à Al-Qaïda et au terrorisme international", relève Ross.

"Sur le continent, la Chine avance à l’aveugle, poursuit l’universitaire. Hormis le pétrolier CNPC au Soudan, ses entreprises ne travaillent avec aucune agence occidentale de sécurité et n’emploient pas de mercenaires pour protéger leurs installations. Et les espions chinois ne sont guère présents sur le terrain." Accéder aux sources confidentielles américaines permettrait à la Chine de mieux évaluer les risques auxquels ses employés et son économie sont exposés.

Elle y a d’ailleurs déjà recours – mais sans autorisation ! Fin juin, des hackers et des cyberespions chinois identifiés sous le nom collectif de Deep Panda ont tenté d’infiltrer des organismes de recherche proches du Pentagone afin d’obtenir des informations sur la situation en Irak. Quels que soient les aléas géopolitiques, les bonnes vieilles méthodes ont décidément la vie dure !

Musulmans sous haute surveillance

Plus grande province autonome de Chine avec 21 millions d’habitants, le Xinjiang – "nouvelle frontière", en mandarin – est voisin de sept pays, parmi lesquels la Russie, l’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan. C’est un carrefour dont les autorités souhaiteraient faire une plateforme commerciale vers l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Afrique. Problème : cette province historiquement peuplée d’Ouïgours musulmans et turcophones est devenue, selon les autorités, un foyer terroriste infiltré par les talibans et Al-Qaïda.

Chef du Parti islamique du Turkestan (PIT), Abdullah Mansour a menacé : "Le Turkestan oriental [nom donné au Xinjiang par les séparatistes] et tous les musulmans du monde vont se dresser contre la Chine." Le PIT, qui se réclame d’Al-Qaïda, est soupçonné d’être derrière les attentats dont Pékin, Kunming et Ouroumtsi, la capitale du Xinjiang, ont été le théâtre depuis octobre 2013. Le pouvoir central pensait avoir réglé la question ouïgoure en réprimant les émeutes de 2009.

Il s’est trompé mais n’a pas renoncé pour autant à la brutalité. L’armée quadrille la province, le ramadan a été interdit et les prêches des imams ont été censurés. Au-delà de la minorité ouïgoure, ce sont tous les musulmans de Chine qui sont étroitement surveillés.

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