Présidentielle turque : Ihsanoglu, le « Doktör Profesör » et les provocateurs
Soutenu par le centre gauche et l’extrême droite, Ekmeleddin Ihsanoglu plaide pour une société apaisée. À ses risques et périls.
L’ancien secrétaire général de l’OCI (au centre, en gris), à Bagcilar, le 30 juillet. © AP/SIPA
À Bagcilar, dans la banlieue ouest d’Istanbul, 4 000 supporteurs d’Ekmeleddin Ihsanoglu sont massés autour de son autobus vert de campagne, sous un soleil de plomb. Noyées dans la foule comme toujours essentiellement masculine, quelques jeunes filles à piercing et une poignée d’imposantes dames voilées agitent des drapeaux turcs. Pour les faire patienter (leur champion a deux heures de retard), la sono diffuse à tue-tête sa musique de campagne et le slogan "Ensemble avec Ekmel Bey".
Lorsque le Doktör Profesör finit par arriver, l’ambiance est survoltée et la foule s’écrase dangereusement contre le véhicule. Füsun, son épouse, sourit. "L’enthousiasme ne cesse de croître au fil de la campagne, confie-t-elle. Je le vois bien, j’accompagne mon mari tous les jours." Chemisier blanc, pantalon noir et cheveux auburn (elle n’est pas voilée), elle n’a pas le look de l’épouse d’un islamiste – étiquette que ses détracteurs s’efforcent de coller à son mari -, mais celui d’une fille de la bourgeoisie chic d’Istanbul issue d’une lignée de politiciens célèbres.
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Une heure plus tard, lors d’une halte dans une boulangerie, une bagarre générale d’une rare violence éclate entre ses partisans et des provocateurs non identifiés. De quoi donner des arguments à Ihsanoglu. Voix posée et regard doux derrière ses lunettes cerclées d’or, ce diplomate et universitaire réputé, spécialiste de l’histoire des sciences islamiques, promet de rétablir une atmosphère paisible dans un pays que la rhétorique agressive de son adversaire a profondément divisé.
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Le candidat prend le contre-pied d’Erdogan
"Le CHP et le MHP ont fait appel à moi parce qu’ils estiment que j’ai les compétences requises, déclare-t-il à J.A. Mais je suis aussi soutenu par une dizaine d’autres partis, de la droite aux sociaux-démocrates en passant par les socialistes et les nationalistes. Les gens, dont beaucoup votaient pour l’AKP jusque-là, veulent se débarrasser de ce régime. Dans la rue, ils m’interpellent et me disent : "Sauvez-nous !""
Sur le fond, le candidat prend le contre-pied d’Erdogan dans tous les domaines. Il déplore la répression du mouvement contestataire de Gezi, les atteintes à la liberté de la presse et la dérive autoritaire du pouvoir. Et n’a pas non plus la même vision du fonctionnement des institutions.
"Si je suis élu, je me tiendrai au-dessus des partis. Le président doit représenter la nation et se montrer impartial. Je maintiendrai la nature parlementaire du régime que le Premier ministre Erdogan veut changer au profit d’un régime présidentiel, alors que les Turcs, y compris au sein de l’AKP, y sont opposés."
La diplomatie turque au Moyen-Orient inspire une certaine ironie à l’ancien secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique : "Notre politique étrangère doit être menée de manière plus réfléchie et rationnelle. La politique du "zéro problème" que nous étions censés conduire ne nous apporté qu’une multitude de problèmes, zéro ami et zéro allié." De fait, la Turquie n’a plus d’ambassadeur en Égypte, en Syrie et en Israël. Et elle entretient d’exécrables relations avec le pouvoir central irakien.
