Maroc : quand le PAM fait sa mue

Créé en 2008 par Fouad Ali El Himma, un proche du roi du maroc, le Parti Authenticité et Modernité (PAM) tente de se donner une nouvelle image. Notamment en multipliant les incursions sur le terrain sociétal.

Le PAM se lance dans un projet de dépénalisation du cannabis. © Glez

Le PAM se lance dans un projet de dépénalisation du cannabis. © Glez

Publié le 12 août 2014 Lecture : 5 minutes.

Décembre 2013. Dans l’une des grandes salles de la Chambre des représentants, à Rabat, où se tiennent les travaux des commissions, le Parti Authenticité et Modernité (PAM) organise un colloque sur les usages alternatifs du cannabis. Dans l’assistance, beaucoup d’élus d’autres formations, des médecins, des experts de l’Agence du Nord, et même un vieux baba cool helvète à catogan venu présenter son expérience de la transformation de la fibre de chanvre pour des usages textiles et domestiques.

Bien sûr, les organisateurs, autour du jeune député Mehdi Bensaïd, ont tout fait pour que la presse donne un retentissement important à l’événement. Les cadres du PAM multipliaient les interviews télé à la pause. Autre intervenant du colloque : Chakib El Khayari. Militant associatif rifain célèbre pour avoir dénoncé les complicités officielles dans le trafic de cannabis. Arrêté en 2009, il avait été condamné pour "atteinte aux corps constitués" à trois ans de prison ferme.

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Libéré en avril 2011 à la faveur d’une grâce royale, il reste très actif pour défendre les intérêts socio-économiques de sa région, marquée par une très grande dépendance à l’économie du kif. "Je soutiens le projet de loi du PAM visant à légaliser la production et les usages non récréatifs du cannabis. Les conventions internationales nous le permettent, seulement nous devons nous organiser", nous explique-t-il.

Pour le PAM, la légalisation de la culture et de l’usage alternatif du cannabis n’est pas un sujet fortuit. De manière répétée, depuis sa création, le parti et ses cadres se sont saisis d’une série de sujets de société : abolition de la peine de mort, égalité hommes-femmes, législation contre le takfir ("excommunication"), etc. Si ces mobilisations n’ont pas porté leurs fruits sur le plan législatif, c’est parce que le PAM est dans l’opposition.

"La boussole du parti"

En outre, ces questions sont plutôt imputées à l’aile gauche du parti, regroupant majoritairement des intellectuels et autres militants aguerris des droits de l’homme, qui se sont retrouvés autour de l’Instance Équité et Réconciliation (IER), chargée, au début du règne de Mohammed VI, d’enquêter sur les années de plomb. Ils sont minoritaires au sein du parti, mais ils pèsent sur son orientation, son discours et ses prises de position. Ils en sont les idéologues. "Nous sommes la boussole du parti et nous ne craignons pas le débat, ni à l’intérieur du PAM ni avec les autres forces politiques", explique Khadija Rouissi, députée PAM, soeur d’un militant disparu dans les années 1960 et figure de proue du mouvement des droits de l’homme.

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Comme elle, Salah El Ouadie est passé du militantisme d’extrême gauche (Mouvement du 23-Mars) au travail institutionnel. Membre de la première heure du Mouvement pour tous les démocrates – qui a préfiguré le PAM -, ce poète a été membre de l’IER et de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (Haca). En retrait du PAM, il a créé Damir ("conscience"), une association défendant les valeurs de la modernité, à l’image de Bayt Al Hikma, l’ONG présidée par Khadija Rouissi.

"Les conditions de naissance du PAM entanchent son action"

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Les concurrents de gauche, socialistes et ex-communistes, estiment, quant à eux, que le PAM empiète sur leurs plates-bandes. Quand ils veulent le dénigrer, les zaïm l’appellent encore hizb as-soulta ("le parti du pouvoir"), parce que le PAM a été l’idée de Fouad Ali El Himma. Camarade de classe du prince héritier au collège royal, il avait été son secrétaire particulier, avant d’intégrer le ministère de l’Intérieur et d’en gravir les échelons. Pendant les huit premières années du règne de Mohammed VI, il avait été l’oeil du roi sur la "mère des ministères".

En août 2007, il démissionne de son poste de ministre délégué à l’Intérieur, puis brigue, aux législatives de septembre, un mandat de député à Rhamna. Le natif de Benguerir entendait "redonner sa fierté à la circonscription". Même si les médias ont fait leurs choux gras de l’entrée en politique de "l’ami du roi", Fouad Ali El Himma n’en était pas à son coup d’essai. En 1992, il avait été élu à la tête du conseil communal de Benguerir, puis député en 1995. "L’argument du lien originel au territoire est d’autant plus efficace qu’il se conjugue à l’exemple de réussite d’El Himma", explique le politologue Ahmed Bendella, qui a suivi la campagne d’El Himma en 2007, parlant même de "voix royale".

"Le fait d’avoir été créé par un homme du Palais continue d’être le péché originel du PAM, analyse pour sa part Abdallah Tourabi, politologue et directeur du magazine TelQuel. Les conditions de sa naissance entachent son action et ses propositions. Et ses adversaires politiques ne manquent pas de comparer son projet à celui du PND égyptien ou du RCD tunisien."

Un parti d’élus, susceptible de rassembler une majorité alternative à la coalition dirigée par le Parti de la justice et du développement (PJD).

Pourtant, El Himma a démissionné de ses responsabilités au sein du PAM à la mi-2011 avant d’être nommé conseiller du roi en novembre de la même année. Et ceux qui prédisaient la fin du PAM après son départ en sont pour leurs frais. Avec 47 députés en 2011, c’est la deuxième force de l’opposition. Tandis que se profilent des élections communales en 2015, le PAM, aujourd’hui dirigé par Mustapha Bakkoury, un technocrate, peut compter sur de puissants réseaux de notables (6 015 élus communaux en 2009, loin devant tous les grands partis historiques), qui lui ont permis d’ailleurs de remporter une majorité de conseils régionaux et préfectoraux. C’est donc un parti d’élus, susceptible de rassembler une majorité alternative à la coalition dirigée par le Parti de la justice et du développement (PJD).

Alliances ou union(s) libre(s) ?

Rivaux dans la compétition électorale, unis dans le rejet de Benkirane, les trois autres partis de l’opposition parlementaire entretiennent des liens contrastés avec le PAM. Si l’Istiqlal et l’Union socialiste des forces populaires (USFP) ont forgé entre eux une alliance qui fleure la nostalgie de la défunte Koutla, les deux partis gardent leurs distances avec le PAM.

Les seules initiatives conjointes concernent des projets de loi du gouvernement, comme cela a été le cas récemment lors d’un communiqué des quatre (Istiqlal, PAM, USFP et Uni­on constitutionnelle) rejetant l’avant-projet de loi organique sur la région et menaçant de "prendre les mesures qui s’imposent, y compris le boycott" des prochaines communales. En 2011, le PAM était déjà allié à l’UC dans le cadre du G8. Mais cette alliance éphémère a volé en éclats, puisque deux anciens du G8 font partie du gouvernement actuel.

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