Boko Haram : le Cameroun sur le pied de guerre ?
L’attaque de Kolofata sonne comme un sérieux avertissement. En prenant un ministre camerounais pour cible, les assaillants – probablement des islamistes de Boko Haram – envoient un message clair : leur ennemi, c’est le régime de Paul Biya.
Au matin de l’aïd-el-fitr, l’horreur s’est invitée chez Amadou Ali, le vice-Premier ministre camerounais chargé des relations avec le Parlement. Près de 200 hommes armés jusqu’aux dents ont donné l’assaut à sa vaste propriété de Kolofata, un village de 3 500 habitants de la région de l’Extrême-Nord.
Ils voulaient mettre la main sur le maître des lieux, dont ils connaissaient vraisemblablement les habitudes, lui qui ne déroge jamais à la tradition d’y fêter la fin du ramadan entouré de ses proches. Mais, ce 27 juillet, ils ne l’ont pas trouvé. Arrivé la veille par avion à l’aéroport régional, Ali avait préféré passer la nuit dans sa maison de Maroua.
Par malheur, son épouse et d’autres membres de sa famille l’avaient précédé à Kolofata. Pour ces derniers, l’heure de la prière du matin fut le début de l’enfer. Dans le même temps, d’autres terroristes attaquaient le domicile du lamido (sultan) de la localité. Bilan : au moins quatorze morts et dix-sept otages, dont Agnès Françoise Ali, l’épouse du ministre, le lamido et neuf membres de sa famille. Après avoir mis le feu à la maison d’Amadou Ali et s’être emparés des véhicules stationnés dans la propriété, les assaillants se sont évanouis dans la nature.
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Amadou Ali : un symbole
Le coup est rude pour le gouvernement, dont le doyen vient d’être ainsi frappé au coeur. Catastrophés, les hauts dignitaires ont échangé par texto des messages appelant à prier pour Agnès Françoise Ali – dont on était, au moment où nous écrivions ces lignes, toujours sans nouvelles.
Cette chrétienne sudiste, originaire du Mungo (province du Littoral) et qui goûte peu les mondanités, s’investissait beaucoup dans les activités du Cercle des amis du Cameroun, l’association présidée par Chantal Biya, l’épouse du chef de l’État. De ses ravisseurs, on ne sait rien ou pas grand-chose. Les autorités privilégient la piste Boko Haram, la secte islamiste nigériane à laquelle Paul Biya a déclaré la guerre.
Amadou Ali, un homme placide de 71 ans qui passe pour la personnalité la plus puissante de l’Extrême-Nord.
Les raisons qui ont poussé les terroristes à s’en prendre aussi violemment à Amadou Ali pourraient être liées au symbole qu’il représente. Après trente années passées sans discontinuer au coeur du pouvoir – il a été notamment secrétaire général de la présidence et ministre de la Défense -, cet homme placide de 71 ans passe pour la personnalité la plus puissante de l’Extrême-Nord. Avec son "frère ennemi", Cavaye Yéguié Djibril, le président de l’Assemblée nationale, il est le prescripteur politique quasi monolithique de la région.
Homme de réseaux féru de renseignement, il est aussi le référent du chef de l’État dans cette région à majorité musulmane et animiste, pauvre et menacée par la désertification, aux confins du Nigeria, du Niger et du Tchad. En mai, on l’a vu aux côtés de Biya, en France, lors du mini-sommet de l’Élysée qui a accouché d’un plan global de lutte contre Boko Haram. Et c’est lui qui a piloté le dossier de la presqu’île de Bakassi, une vieille dispute territoriale entre le Cameroun et le Nigeria. Bref, Amadou Ali était la cible parfaite pour frapper les esprits. En s’en prenant à lui, Boko Haram a marqué un point dans sa guerre psychologique contre Yaoundé.
500 jeunes du Mayo Sava ont disparu
D’autres causes sont à rechercher dans la complexité géopolitique de la région. Comme le noyau dur de Boko Haram, Ali est un Bornouan issu de l’ethnie kanourie (2,5 millions de personnes réparties entre le Nigeria, le Cameroun et le Tchad). Sauf que lui incarne un pouvoir incapable de lutter contre la pauvreté qui mine l’Extrême-Nord. À l’évidence, la secte a trouvé dans ce territoire désenchanté un terreau favorable.
Selon une note d’alerte parvenue aux autorités – et dont J.A. a eu copie -, ces dernières semaines, "près de 500 jeunes du Mayo Sava [le département de Kolofata] se sont volatilisés". Les "disparus" répondent au téléphone, mais excluent de rentrer au motif que leurs parents ne pratiquent pas "un bon islam"…
Après le sommet de l’Élysée, le Cameroun avait acheminé des renforts pour stopper les insurgés (lire encadré). Depuis, Boko Haram a subi de lourdes pertes. Des caches d’armes ont été découvertes, des attaques repoussées… Les patrouilles du bataillon d’intervention rapide entravent notamment le corridor d’approvisionnement en armes et en munitions, achetées principalement au Soudan.
Toutefois, les revers enregistrés ces derniers jours par les militaires montrent que ces efforts restent insuffisants pour affaiblir la puissance de feu de Boko Haram. Un commandement opérationnel basé à Maroua a certes été créé à la mi-juillet, mais on attend toujours un décret pour y mandater un haut gradé.
"Nous avons affaire à un ennemi qui se cache dans la population. Pour le débusquer, la priorité doit être donnée à la collecte du renseignement", suggère un député de la région qui se demande pourquoi personne n’a été alerté des préparatifs d’une telle attaque.
Au sein du gouvernement, l’horreur de Kolofata n’a pas fait taire les vieilles rancoeurs entre ministres.
Un universitaire, qui a lui aussi requis l’anonymat, soutient que "les informations remonteraient s’il n’y avait une réelle crise de confiance entre la population et les forces de l’ordre, souvent accusées de brutalité, et si les chefs traditionnels et les députés étaient librement élus et non imposés à la suite de tripatouillages électoraux et de magouilles partisanes".
Vieilles rancoeurs entre ministres
Pendant ce temps, à Yaoundé, difficile de savoir à quel point la menace est prise au sérieux. Deux jours après le coup de semonce de Kolofata, aucune cellule de crise ne s’était réunie, et aucun signe d’activité n’avait été détecté au Conseil national de sécurité. En route pour les États-Unis le 27 juillet au soir, Edgar Alain Mébé Ngo’o, le ministre de la Défense, a tout de même finalement rebroussé chemin lors de son escale à Paris…
Plus grave : au sein du gouvernement, l’horreur de Kolofata n’a pas fait taire les vieilles rancoeurs entre ministres. Il suffit de regarder les journaux qu’ils contrôlent. Leurs articles rendent compte de la haine contre Amadou Ali, cet ancien ministre de la Justice (de 2001 à 2011) qui a déclenché et mis en oeuvre l’opération anticorruption Épervier. Haro sur celui qui a enquêté sur le patrimoine de ses collègues !
Désormais, il va falloir sérieusement songer à agir de concert avec les autres pays concernés. La coopération entre Yaoundé et Abuja reste insuffisante, en dépit des pressions de la France. Dernière nouvelle sur ce front : le Niger, le Nigeria, le Tchad et le Cameroun se sont entendus fin juillet pour créer une force multinationale de 2 800 hommes. Mais rien sur le droit de poursuite, qui autorise les militaires d’un pays à frapper les criminels fuyant sur le territoire voisin.
Rien non plus sur l’aide internationale en matière d’observation par drones ou satellites. Tous les facteurs qui expliquent les échecs de l’armée nigériane semblent ainsi réunis au Cameroun. Biya s’en rend-il seulement compte ?
Ils surveillent la frontière
Brigade d’infanterie motorisée, bataillon d’intervention rapide, policiers, douaniers… Avant l’attaque de Kolofata, le nombre de soldats camerounais dans la région de l’Extrême-Nord, à la frontière avec le Nigeria, était estimé entre 2 500 et 3 000. Un dispositif renforcé logistiquement (blindés, artillerie, etc.) à la suite du sommet de l’Élysée organisé à Paris en mai, mais qui aurait commencé à être activé il y a au moins deux ans.
Au ministère camerounais de la Défense, avant le dernier assaut de Boko Haram, on s’inquiétait déjà de l’incapacité des forces nigérianes "à tenir la frontière de leur côté" et de la nouvelle stratégie de la secte islamiste. Ne pouvant plus s’approvisionner aussi facilement en armes via la Libye, le Tchad et le Niger, cette dernière attaque les petits postes de gendarmerie camerounais frontaliers. Emmanuel de Solère Stintzy
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