Youb Lalleg, tirailleur algérien : « La France m’a maltraité en retour »

L’Algérien Youb Lalleg, 95 ans, s’était engagé volontairement dans l’armée française en 1941. Malgré les injustices subies et la répression dont il a été témoin, l’ancien tirailleur a construit sa vie en Alsace.

L’histoire de soldats tel Youb Lalleg a inspiré Rachid Bouchareb pour son film Indigènes. © JOAN TILOUINE

L’histoire de soldats tel Youb Lalleg a inspiré Rachid Bouchareb pour son film Indigènes. © JOAN TILOUINE

Publié le 14 août 2014 Lecture : 3 minutes.

Sur les murs de ce modeste appartement de Wittenheim, près de Mulhouse, les versets du Coran se mêlent aux décorations militaires. Né à Oued Zenati, non loin de Constantine, il y a quatre-vingt-quinze ans, Youb Lalleg a reçu une éducation religieuse à l’école coranique de son village puis suivi une formation d’électricien avant de s’engager dans l’armée française le 25 février 1941.

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Et ce malgré les réticences de son père, inquiet de le voir rejoindre "par conviction" le 2e régiment des tirailleurs algériens (RTA). Malgré son âge avancé, ses souvenirs sont intacts et sa santé est robuste. Son secret ? La lecture quotidienne du Livre, veut croire ce fervent croyant au port altier.

Son visage lumineux se referme délicatement lorsqu’il aborde l’été 1944. "C’était assez dur…", euphémise-t-il. Le jeune soldat se remet alors à peine de la rude campagne de Tunisie. Il s’est blessé en marchant sur une mine antipersonnel avant de s’évader des geôles allemandes pour partir combattre en Italie, au Garigliano et à Monte Cassino, où "il pleuvait tellement de bombes américaines qu’on avait l’impression que la montagne allait se fissurer".

"J’y pense encore aujourd’hui et je me réveille la nuit…"

En cette fin août, les soldats du régiment des tirailleurs marocains auquel il est affecté sont inquiets. À bord d’un navire de guerre américain, ils voguent vers une destination qui leur est inconnue. Le 28, ils débarquent sur une plage faussement calme du golfe de Saint-Tropez, minée par des Allemands qui ouvrent le feu sans retenue. "Dans l’eau, des Marocains qui ne savaient pas nager psalmodiaient des prières en tenant leur arme à bout de bras."

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Les balles fusent et les missiles pleuvent durant la nuit. Réfugié dans le maquis, le soldat Lalleg enjambe les corps encore tièdes de ses camarades afin de poursuivre l’avancée. "J’y pense encore aujourd’hui et je me réveille la nuit…", lâche-t-il avec pudeur. La guerre le mène ensuite en Alsace, où il croise Marie-Anne. Entre deux combats et plusieurs blessures graves qui lui font entrevoir la mort, de nuit, à l’insu de ses chefs ou lors de permissions, il enfourche un vélo et pédale sur les routes vicinales pour la rejoindre.

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Dix-huit jours après la capitulation du IIIe Reich, le 8 mai 1945, Lalleg est envoyé en Algérie. Comme tout son régiment, il ignore encore les événements qui s’y sont déroulés. En poste à Mostaganem, il apprend, au détour d’une conversation dans un restaurant, les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata perpétrés par l’armée française contre des indépendantistes. "Ils nous avaient envoyés spécialement pour ça. J’étais sous le choc car j’ai découvert ce qu’ils infligeaient aux civils, que les colons tuaient sans raison…", explique-t-il sous le regard toujours amoureux de Marie-Anne, la mère de leurs trois enfants.

Après un court silence, il ajoute : "J’étais contre le système, mais jamais je n’ai voulu rompre mon engagement avec la France." Son frère aîné est arrêté et emprisonné dans "un camp à bestiaux". Lalleg se rend à Constantine au cours d’une "fausse permission" pour rendre visite à ses parents. "Mon père m’a dit qu’il était fier de moi."

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"Chassé comme un malotru"

Le jeune soldat refuse de reprendre les armes en Indochine et quitte l’armée l’année suivante, avec le sentiment du devoir accompli. "Ils m’ont chassé comme un malotru… J’ai donné ma vie à la France et elle m’a maltraité en retour", déplore ce vétéran, décoré de la Légion d’honneur en 2006. Malgré les injustices qu’il a subies comme tous les "indigènes", Lalleg n’a jamais songé à changer de camp et à rejoindre les combattants de l’indépendance.

S’il est retourné à Annaba avec son épouse en 1962, c’est bien dans sa petite ville grise de Wittenheim que ce pétulant arrière-grand-père a reconstruit sa vie, électricien puis propriétaire d’un restaurant et d’un petit hôtel. Président de l’association des anciens combattants – tous décédés -, il est toujours en première ligne pour défendre les droits des vétérans africains et transmettre son expérience dans les écoles.

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