Bénin : un redressement fiscal plus que probable pour Sébastien Ajavon

Au cœur d’un vaste montage fiscal impliquant trois de ses sociétés, l’homme d’affaires béninois Sébastien Ajavon n’a pas su convaincre la commission chargée de recevoir son recours. Le paiement des 167 milliards de francs CFA (250 millions d’euros) mis à sa charge sous forme de redressement fiscal semble désormais inévitable. À moins de lancer des manœuvres dilatoires qui, au vu des éléments du dossier, ne feraient que différer l’imputation.

Sébastien Ajavon, le 26 février 2016, pose devant son domicile à Cotonou au Bénin © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Sébastien Ajavon, le 26 février 2016, pose devant son domicile à Cotonou au Bénin © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Fiacre Vidjingninou

Publié le 26 septembre 2017 Lecture : 5 minutes.

Comme un coup de massue. Sébastien Ajavon a reçu en août de la part de l’administration fiscale béninoise un redressement fiscal de plus 167 milliards de francs CFA (250 millions d’euros). Selon le code des impôts béninois, le président du patronat avait 30 jours pour envoyer ses observations au fisc et pour ouvrir une procédure contentieuse devant une commission dite des impôts où siègent les représentants du secteur privé.

Le mois dernier, il a effectivement saisi cette commission pour faire entendre sa cause. Mais selon plusieurs des membres de cette commission interrogés par Jeune Afrique, l’homme d’affaires « s’est contenté de réfuter les arguments de l’administration fiscale sans apporter les preuves de ses allégations ».

Sébastien Ajavon n’a aucune chance que la situation s’inverse en sa faveur

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Pour un de ces commissaires qui a requis l’anonymat, Sébastien Ajavon n’a « aucune chance que la situation s’inverse en sa faveur ». Si la commission des impôts confirme les charges qui pèsent sur lui, il a encore la possibilité de saisir le juge du tribunal d’instance, puis éventuellement la Cour d’appel et en dernier ressort la Cour suprême.

Une option judiciaire qui, selon Marcel Tossou, juriste-fiscaliste, a peu de chances d’aboutir en raison du caractère « très sérieux » des malversations relevées. « Au mieux pour lui, le processus judiciaire prendra un peu de temps ; ce qui lui permettra de souffler… Mais il finira par payer parce qu’il ne peut pas s’en sortir avec les éléments du dossier que j’ai lus », fait-il observer.

Folles rumeurs sur l’enrichissement d’Ajavon

« S’il prend le risque du bras de fer judiciaire avec le fisc, il faut qu’il s’assure qu’il va gagner. Un échec aura des conséquences politiques lourdes pour lui », souligne le politologue Léon Dangbégnon qui met en doute « l’argument de la persécution » utilisé actuellement par Sébastien Ajavon, selon lequel il ne serait que la victime du gouvernement Talon.

Contactés, les avocats de Sébastien Ajavon n’ont pas souhaité faire de commentaires tant que l’enquête est en cours.

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La deuxième fortune du Bénin en 2015 selon Forbes a l’habitude de susciter de folles rumeurs sur les moyens de son enrichissement. En témoigne l’affaire des 18 kg de cocaïne retrouvés dans un container d’une de ses sociétés, en octobre 2016. Les erreurs de procédure sur fond de clivages politiques n’ont pas permis de faire la lumière sur cette découverte et la justice a relaxé l’homme d’affaires au bénéfice du doute.

C’est justement animée par le doute que l’administration fiscale béninoise a dépêché une équipe de trois inspecteurs qui a épluché, de mai à août 2017, les comptes de trois des sociétés de Sébastien Ajavon. Pourquoi cette intervention ? Parce que le fisc a constaté qu’en trois ans, Sébastien Ajavon a fermé la société COMON SA pour créer JLR SA, avant de fermer cette dernière également pour en fonder une nouvelle dénommée Agro Plus. Le tout en conservant le même secteur d’activité, le même personnel, les mêmes locaux, la même chaîne de distribution et les mêmes fournisseurs.

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Un rapport accablant du fisc

Après trois mois de contrôle des comptes, le rapport du fisc est accablant. Les inspecteurs ont relevé d’ « importants mouvements financiers destinés à échapper au contrôle fiscal ». Ils ont notamment décelé des pratiques suspectes avec le principal négociant des sociétés d’Ajavon, une société de droit français dirigée par Mme Violette Djidjoho, employée par Ajavon comme directrice administrative et financière de ses sociétés au Bénin. Cette société appelée CASCO propose des produits aux sociétés d’Ajavon deux à trois fois plus chers que ce qui est proposé sur le marché.

Selon plusieurs sources interrogées, ce procédé pourrait servir à transférer à l’étranger des bénéfices et à éviter de payer des impôts au Bénin. Par exemple, une des sociétés du groupe, qui a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 110 milliards de francs CFA, n’a payé que 600 millions d’impôt, d’après sa liasse fiscale disponible à l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (INSAE).

Dans la SCI l’Elite, qui appartient aussi à l’homme d’affaires, les contrôles ont débouché sur la découverte d’importants transferts de « fonds offshore » que les cadres de ladite société ont été « incapables de justifier». « Dans la plupart des cas, les cadres des sociétés contrôlées n’ont pu apporter aucune preuve suffisante pour justifier les faits qui leur sont reprochés », souligne notre source qui rapporte que certains cadres ont manifestement été « embarrassés » par les faits découverts.

Fraude à la TVA

Souvent présenté à tort comme le premier contributeur béninois en termes d’impôts payés – son entreprise COMON SA étant classée 25e par l’INSAE – Sébastien Ajavon a souvent eu des relations controversées avec l’administration fiscale de son pays. Sous le régime de Boni Yayi, une affaire de fraude à la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) avait défrayé la chronique : « Sa société importait des produits de volaille qui étaient présumés réexportés vers le Nigeria. COMON SA demandait l’exonération de toutes les taxes et un remboursement de la TVA alors que ces produits étaient interdits d’importation au Nigeria en vertu des accords de Badagry. Mais nos investigations ont montré que des tripatouillages étaient opérés en complicité avec certains agents des douanes pour que les produits soient réintroduits sur le marché national », explique un agent du service contentieux de la douane béninoise.

Au vu de ces pratiques, l’administration avait notifié, en 2012, un redressement fiscal de 35 milliards de francs CFA. À l’époque comme aujourd’hui, cette procédure de l’administration fiscale avait été qualifiée de persécution politique dirigée contre la personne de Sébastien Ajavon, arrivé troisième lors de la présidentielle de 2016.

Suite à une médiation du clergé catholique proche de Sébastien Ajavon, le régime d’alors avait préféré un règlement à l’amiable et l’homme d’affaires n’avait rien payé à l’État. Ajavon va-t-il encore échapper au paiement du redressement en s’appuyant sur la controverse politique ? À Cotonou, peu de gens y croient !

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