Russie : Poutine, paria en Europe… latin lover en Amérique du Sud
Après le crash du vol MH17 en Ukraine, Vladimir Poutine est en passe de devenir un paria en Europe… mais pas en Amérique du Sud. De La Havane à Brasília, le maître du Kremlin fait les yeux doux à ses alliés.
Isolé, Vladimir Poutine ? Depuis que 298 personnes ont trouvé la mort, le 17 juillet, dans le crash du vol MH17 de la Malaysia Airlines, les demandes de sanctions internationales pleuvent sur le maître du Kremlin, tels les missiles qu’il est soupçonné de fournir aux séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine.
Déjà, depuis l’annexion éclair de la Crimée, en mars, l’Union européenne (UE) avait imposé des interdictions de visa et des saisies d’avoirs à l’encontre de 72 personnalités. Et deux jours avant le drame, les Vingt-Huit s’étaient mis d’accord pour cibler aussi des entreprises russes.
Mais pour un grand nombre d’États, un pas a été franchi le 17 juillet, prouvant l’inefficacité des mesures adoptées par l’UE pour forcer la Russie à stopper toute aide aux rebelles ukrainiens. Et d’aucuns appellent à renforcer l’arsenal de sanctions en s’en prenant notamment aux placements financiers russes sur les places européennes (notamment à la City), aux contrats énergétiques passés avec le géant Gazprom (on pense à l’Allemagne) et aux fournitures d’armements.
Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède et la Lituanie n’ont d’ailleurs pas caché leur opposition à la vente par la France de navires de guerre Mistral à la Russie.
Poutine dénonce l’hypocrisie de Washington
Alors, Poutine "paria" en Europe, comme l’a affirmé Philip Hammond, le ministre britannique de la Défense ? Peut-être. Mais pour le président russe, il y a bien longtemps que le monde ne se limite plus au Vieux Continent. De fait, les décombres du Boeing 777 étaient encore loin de fumer qu’il effectuait une tournée en Amérique latine, du 11 au 16 juillet. Et il n’a pas perdu son temps.
De La Havane à Brasília, il a consolidé ses alliances, remis en question la mainmise de Washington sur la région et défié le Fonds monétaire international et la Banque mondiale en lançant, lors du sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), le 15 juillet à Fortaleza (Brésil), une banque de développement et une réserve de change communes aux cinq pays émergents.
Tout cela n’est pas pour réjouir Washington, qui observe d’un oeil inquiet les relations russo-cubaines.
Pour caresser ses partenaires dans le sens du poil, Poutine sait s’y prendre. Avant de s’envoler pour Cuba, première étape de son voyage – où il a eu un long entretien avec Fidel Castro -, il avait posé un acte fort en annulant 90 % de la dette de 26 milliards d’euros contractée par La Havane envers l’ex-URSS. Les 10 % restants seront remboursés sur dix ans et placés sur des comptes dédiés afin d’être réinvestis par la Russie dans l’économie cubaine. Les deux alliés prévoient notamment de coopérer dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation pétrolières dans le golfe du Mexique.
Tout cela n’est pas pour réjouir Washington, qui observe d’un oeil inquiet les relations russo-cubaines. Quel n’a pas dû être l’agacement de la Maison Blanche, donc, quand la presse internationale a repris l’information d’un journal russe selon laquelle Poutine et son homologue Raúl Castro souhaitaient rouvrir la station d’écoutes de Lourdes, à 160 km des côtes américaines !
Durant la guerre froide, les Soviétiques y espionnaient les communications des États-Unis, mais elle a été fermée en 2001 pour des raisons de budget. Le chef du Kremlin a très vite démenti l’information… mais ne s’est pas privé pour dénoncer "l’hypocrisie" de Washington en la matière. Des propos qui ont fait mouche en Amérique latine, où le scandale de la NSA, en 2013, en avait irrité plus d’un, notamment au Brésil : des révélations avaient montré que la présidente, Dilma Rousseff, avait été placée sur écoute par l’agence américaine.
Un accord signé à Buenos Aires
Après son escale cubaine, le président russe a improvisé un crochet par le Nicaragua, allié de longue date de Moscou – son entretien avec le président Daniel Ortega était initialement prévu à La Havane. Pour "satisfaire les besoins prioritaires du pays", il a promis d’étudier la question de la fourniture de blé à Managua et, surtout, de contribuer à la construction d’un grand canal interocéanique pour concurrencer celui de Panama.
"Curieusement, Poutine n’est pas allé au Venezuela. Certains ont évoqué les conflits internes au chavisme, mais cela est probablement dû à un problème d’agenda, explique Carlos Malamud, spécialiste de l’Amérique latine à l’Institut Real Elcano, à Madrid. Surtout, la Russie a déjà conclu des affaires avec Caracas et préfère se tourner vers de nouveaux marchés, au Brésil et en Argentine."
D’ailleurs à Buenos Aires, où la présidente Cristina Kirchner s’est montrée solidaire de la Russie en Crimée – une région qu’elle a comparée aux Malouines pour l’Argentine -, un accord a été signé pour poser les bases d’une coopération en matière d’énergie nucléaire.
"Si l’objectif principal était de rompre l’isolement de Moscou sur la scène internationale, cette tournée a aussi confirmé la stratégie russe, mue par la nostalgie de l’époque soviétique : revenir en Amérique latine pour y conclure de nouveaux accords et rétablir une présence géopolitique", poursuit Carlos Malamud. Les derniers événements en Ukraine et l’appel de nombre d’États à sanctionner la Russie le confirment : non, décidément, Poutine n’a pas perdu son temps.
L’URSS en miniature ?
Fin mai, une Union économique eurasiatique a été lancée par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. À la clé, un marché de 170 millions de consommateurs, auquel devraient se joindre l’Arménie et le Kirghizistan. Noursoultan Nazarbaev, le président kazakh, a précisé que cette union n’avait aucune ambition politique. Pas sûr que Poutine, pour qui l’implosion de l’URSS représente "la plus grande catastrophe géopolitique" du XXe siècle, partage cette vision…
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