Driss El Yazami : « Le Maroc voit émerger l’individu »
Pour le président du Conseil national des droits de l’homme, les avancées sociales inscrites dans la nouvelle Constitution sont le reflet de décennies d’évolution de la société et du jeu politique.
Jeune Afrique : En tant que membre de la Commission consultative de révision de la Constitution (CCRC), que pensez-vous de la place des droits de l’homme dans le nouveau texte ?
Driss El Yazami : Si on relit les contributions au débat constitutionnel des partis politiques, des associations, des syndicats, on voit que la revendication des droits de l’homme était transversale. La commission consultative s’est d’ailleurs largement appuyée sur les recommandations de l’Instance Équité et Réconciliation [chargée d’établir les responsabilités collectives dans les violations des droits entre 1956 et 1999 et dont il fut l’une des chevilles ouvrières]. Un tiers de la Constitution est imprégné de la culture des droits de l’homme.
Comment peut-on expliquer une telle évolution ?
Je crois que cela reflète d’abord les évolutions silencieuses qui ont lieu dans notre société. Le Maroc a connu des changements sociaux profonds et dont le rythme s’est accéléré ces dernières décennies. Près de sept millions de Marocains sont aujourd’hui dans le système scolaire.
Il y a un décollage culturel réel bien que tardif, si on le compare par exemple à la Tunisie.
C’est un décollage culturel réel bien que tardif, si on le compare par exemple à la Tunisie. Puis, il y a la transition démographique : en 1970, le taux de fertilité était de sept enfants par femme contre 2,2 aujourd’hui. Par ailleurs, le taux d’urbanisation atteint presque 60 %. Ensuite, les Marocains sont davantage connectés au monde. Tous ces éléments contribuent à faire émerger l’individu comme catégorie sociale.
Quel est le rôle des partis politiques dans ce processus ?
Je pense que l’évolution constitutionnelle reflète une histoire politique particulière. La réforme a été amorcée bien avant 2011, et la singularité marocaine doit tenir compte d’une histoire faite de débats pluralistes. Le Maroc n’a pas connu le parti unique, il a même expérimenté un certain libéralisme syndical, partisan, linguistique, voire économique. Parfois contraint, mais réel.
Le jeu politique entre partis et monarchie évolue depuis les années 1990. À la fin du règne de Hassan II, il y a eu l’amnistie des prisonniers politiques, la libération des détenus… Cinq films importants sur la répression, bénéficiant de fonds publics, ont été produits entre 2000 et 2004. Et la littérature carcérale a été très riche.
>> À lire aussi : Mohammed VI s’engage pour les droits de l’homme au Maroc
La tendance est à la multiplication des instances participatives. Au détriment des élections et de la démocratie représentative ?
En encourageant ces institutions, le Maroc participe d’une mondialisation positive. La crise de la démocratie représentative est mondiale, ce dont témoignent l’abstention, la vigueur des mouvements contestataires et la montée du populisme. Le Maroc est en train d’installer des organes de démocratie participative pour épauler la représentation classique. Nous avons eu le médiateur, le Conseil consultatif des droits de l’homme (devenu CNDH), l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC).
Désormais, toutes ces instances sont constitutionnelles et leur nombre s’est même élargi. Si on y ajoute le droit de pétition et d’initiative législative, cela va dans le sens d’une plus grande capacité de participation politique et c’est l’une des ruptures introduites par la Constitution de 2011.
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Propos recueillis par Youssef Aït Akdim
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© ABDELHAK SENNA / AFP
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