Mohammed VI et les Marocains du monde
Quel est le rapport entre Gad Elmaleh et Miss Finlande 2012 ? Entre les enfants de Robin van Persie, footballeur néerlandais, et ceux de Fatou Bensouda, procureure générale gambienne de la Cour pénale internationale ? Entre la ministre française Najat Vallaud-Belkacem et David Lévy, ex-ministre des Affaires étrangères d’Israël ? Entre le DG des ventes de Boeing et Ruby, l’affolante "tombeuse" de Berlusconi ? Entre le maire de Rotterdam et le musicien suédois RedOne (deux Grammy Awards en 2010) ?
Vous l’avez deviné : ils sont tous Marocains. Ou du moins, ils ont tous vocation à l’être : il leur suffit de demander un passeport. En effet, on ne peut pas perdre la nationalité marocaine, sinon par décret royal – ce qui ne se produit jamais – et puisqu’elle se transmet automatiquement aux enfants, il y a des millions de Marocains potentiels dans le monde. Si on tient compte de la dispersion de ses sujets,réels ou virtuels, sur la surface du globe, on pourrait dire de Mohammed VI ce qu’on disait de Charles Quint : qu’il "règne sur un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais".
Oui, mais qu’en faire ?
Hassan II plaidait contre l’intégration des Marocains installés hors de leur pays. On se souvient qu’il leur avait demandé de ne pas voter aux élections françaises, sous Mitterrand. Quand les Pays-Bas accordèrent en 1983 le droit de vote à leurs ressortissants étrangers, Hassan II exigea de ses sujets installés dans les polders qu’ils n’en fissent pas usage.
Sous Mohammed VI, les choses ont changé. Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, organisme officiel rattaché directement au roi, déclarait dans une interview de 2008 : "Il faut que la politique générale du Maroc accompagne l’intégration des Marocains de l’étranger dans leurs sociétés d’accueil, et non qu’elle l’entrave."
Curieusement, l’article 163 de la Constitution dit quelque chose de légèrement différent : "Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger est chargé notamment d’émettre des avis […] permettant d’assurer aux Marocains résidant à l’étranger le maintien de liens étroits avec leur identité marocaine […] [et de] contribuer au développement humain et durable de leur pays d’origine […]."
Cette ambiguïté caractérise la situation actuelle. On n’est plus sous Hassan II, mais, entre assimilation dans les pays d’accueil et "maintien de liens étroits avec leur identité", on louvoie encore.
Il faut dire que les enjeux sont considérables. Ces Marocains d’ailleurs transfèrent, bon an mal an, près de 4 milliards d’euros vers leurs familles restées au pays, et tout le monde en profite, à commencer par l’État. C’est le premier poste dans les recettes de la balance des paiements, en alternance, certaines années, avec le tourisme. Or le tourisme dépend aussi, dans une large mesure, des Marocains du monde et de leurs descendants. L’assimilation amoindrirait sans doute ces deux flux.
Des Marocains du monde célèbres. © Elena Blum pour J.A.
Une équation compliquée
A contrario, le soft power que Mohammed VI pourrait exercer par l’intermédiaire de ses sujets suppose un degré avancé d’assimilation, sans lequel leur réussite serait impossible : Ahmed Aboutaleb, le maire de Rotterdam, sert d’abord les Pays-Bas, auxquels il donne des gages tous les jours. Même chose pour Najat Vallaud-Belkacem ou Audrey Azoulay, la conseillère "culture" de François Hollande, qui servent d’abord la République.
C’est donc une équation compliquée que Mohammed VI a essayé de résoudre pendant ses deux premiers septennats. Heureusement qu’il a quelques polytechniciens dans son entourage immédiat…
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© ABDELHAK SENNA / AFP
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