Maroc : Mohammed VI, 15 ans de règne en 15 points

En quinze ans de règne, le visage de la monarchie a profondément changé. En rupture avec l’héritage de son père, Hassan II, le jeune roi Mohammed VI a réconcilié le pays avec son passé et ses racines, l’a modernisé et s’est attaqué aux grands défis sociaux. Le bilan de ses quinze premières années de règne en quinze points.

Les avancées du Maroc depuis le couronnement de Mohammed VI sont importantes. © ISSOUF SANOGO / AFP

Les avancées du Maroc depuis le couronnement de Mohammed VI sont importantes. © ISSOUF SANOGO / AFP

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Publié le 5 août 2014 Lecture : 17 minutes.

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1. Droits des femmes

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 La route est longue

Mars 2000. Le Maroc connaît sa première manifestation de rue depuis l’avènement de Mohammed VI. Deux marches, qui opposent islamistes et progressistes. Sujet de discorde : le code de la famille élaboré par le social-démocrate Saïd Saadi, alors secrétaire d’État. Quatre points en particulier ne plaisent pas aux islamistes : le relèvement de l’âge légal du mariage à 18 ans pour les filles, l’abolition de la polygamie, la substitution du divorce judiciaire à la répudiation et le partage des biens en cas de divorce.

Face au risque d’une crise politique, le roi, Commandeur des croyants, se saisit du dossier et donne raison aux modernistes, faisant montre d’un ijtihad (effort de réflexion) sans précédent dans le monde arabe. C’est ainsi que la Moudawana – ou code du statut personnel, le droit de la famille marocain – est révisée en 2004. Une belle loi très vite confrontée au manque de formation des juges. Une mesure censée être exceptionnelle comme l’autorisation du mariage des filles mineures devient ainsi presque une règle, avec 85 % de jugements favorables.

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Si le Maroc a vraiment connu des progrès majeurs sur le dossier du droit des femmes – loi sur la nationalité, instauration d’un quota au Parlement, égalité constitutionnelle -, le rythme des avancées s’est ralenti ces dernières années. En parallèle, de nouvelles problématiques ont surgi, qui réclament un réel courage politique – et une décision royale, pour celles à caractère religieux : la question du viol, l’égalité en matière d’héritage, le droit à l’avortement… Autant dire que la route pour l’égalité des femmes et des hommes est encore longue


Manifestation pour les droits des femmes. © FADEL SENNA / AFP

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  2. Génération M6

Au royaume des jeunes

Mais que veut dire le terme "génération M6", qui a fait florès ces quinze dernières années ? Derrière cette expression consacrée par les médias existe un réel phénomène social, celui de l’émergence d’une nouvelle jeunesse, difficile cependant à attribuer à une politique définie par Mohammed VI. Pour l’expliquer, plusieurs paramètres : la modernisation d’un pays où les 10-24 ans représentent plus de 30 % de la population, l’essor d’une société de consommation et des loisirs, l’apparition d’une nouvelle scène culturelle… sans oublier, à titre de symbole, l’identification à un roi dynamique.

La génération M6 correspond à un rajeunissement à tous les étages du royaume, depuis les conseillers du roi et les directeurs d’entreprises stratégiques – camarades de classe de Mohammed VI ou anciens élèves de grandes écoles américaines et françaises – jusqu’aux bénévoles de la société civile et aux artisans de la movida culturelle. Tous ont un même objectif : construire le nouveau Maroc.

Mais cette génération est confrontée au chômage, résultat du retard pris par la réforme du système d’enseignement et de la réalité complexe de la pauvreté. Près de 30 % des 15-29 ans sont sans emploi (selon un rapport de la Banque mondiale publié en juin 2012), ce qui les place à la merci de l’informel et de l’extrémisme. Ce revers de la médaille exige de rassembler toutes les initiatives en faveur de la jeunesse dans le cadre d’une politique claire et intégrée.


Un jeune couple fête la Saint Valentin à Rabat. © ABDELHAK SENNA / AFP

3. Pauvreté

La main tendue

Cent trentième sur 187 pays répertoriés : le Maroc stagne dans le bas du classement des Nations unies suivant l’indice de développement humain (IDH). Et il n’évolue guère. Rien n’aurait donc été fait pour améliorer les conditions de vie ces dernières années ? L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) en témoigne autrement. En lançant ce grand projet en mai 2005, Mohammed VI indiquait que la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale serait le "chantier de [son] règne".

Principaux axes : plusieurs programmes visant à faciliter l’accès des populations démunies aux services et infrastructures de base (éducation, santé, routes, eau, électricité…) et un soutien de plus en plus important aux activités génératrices de revenus. Neuf ans plus tard, le bilan est tout sauf insignifiant. Quelque 29 000 projets ont été mis en place au profit de près de 8 millions de bénéficiaires. Dans le domaine de la santé, des avancées significatives ont été enregistrées. La mortalité infantile est ainsi passée de 35 décès pour 1 000 naissances en 2005 à 27 en 2012. La grande pauvreté a également reculé. Le gros point noir reste l’éducation, qui accuse encore du retard.

Au-delà des réalisations matérielles, l’INDH a eu le mérite de favoriser un nouveau type de relations entre l’administration et la population. Comme les collectivités locales, les associations contribuent aux programmes nationaux, de leur conception à leur mise en oeuvre. Sur le plan de la gouvernance, le Maroc a amorcé une petite révolution.


Une famille dans les décombres de leur maison, à Casablanca. © FADEL SENNA / AFP

4. Médias

Hyperconnectés

Le temps où il suffisait de se pencher sur l’étal d’un kiosque à journaux pour évaluer l’offre médiatique au Maroc est révolu. En quinze ans, la diversification audiovisuelle et l’explosion du nombre de sites internet ont bouleversé le rapport des Marocains à l’information. Avec près de 17 millions d’internautes, le royaume est le pays le plus connecté d’Afrique. Selon une étude réalisée en 2012 par l’institut Averty, un Marocain sur deux passe plus de quatre heures par jour sur le web. Ils sont 7,2 millions à posséder un compte Facebook et près de 77 000 inscrits sur Twitter.

Avec quelque 500 sites d’information, la Toile marocaine est riche, mais très hétérogène. L’absence de modèle économique, les arrestations de blogueurs et de journalistes ainsi que le manque de professionnalisation menacent encore l’existence des journaux en ligne. Reste que certains sites connaissent un succès considérable, à l’image d’Hespress.com, plateforme d’information et de vidéos arabophone, sacrée troisième plus gros portail d’information du monde arabe par le magazine Forbes Middle East.

Autre changement majeur de ces dernières années : l’octroi de licences à onze radios privées en 2006. Loin de l’image sclérosée et ringarde qui lui a longtemps collé à la peau, la radio a gagné le coeur des Marocains de tous âges. Ton percutant, débats de société et programmation musicale de qualité sont les ingrédients du succès des nouvelles stations, comme Hit Radio, Atlantic ou Aswat.


Le journaliste Ali Anouzla a été arrêté pour avoir diffusé sur un site
d’information une vidéo d’Aqmi. © Fadel Senna / AFP

5. Diplomatie

Le Sahara, et au-delà

Le conflit au Sahara occidental reste le sujet numéro un de la diplomatie marocaine, domaine réservé de Mohammed VI. Même si, depuis 2012, deux "ministres politiques" – Saadeddine El Othmani (Parti de la justice et du développement, PJD), puis Salaheddine Mezouar (Rassemblement national des indépendants, RNI), en poste depuis octobre 2013 – ont hérité du portefeuille des Affaires étrangères, ce dossier est en réalité géré par des proches du roi. Notamment par son conseiller diplomatique Taïeb Fassi-Fihri, lui-même ancien chef de la diplomatie, et par Mohamed Yassine Mansouri, le patron de la DGED (service du renseignement extérieur).

Comme il l’a fait en novembre 2013 aux États-Unis, le roi prend son bâton de pèlerin pour défendre la proposition marocaine, laquelle prévoit une large autonomie pour les Sahraouis en échange de l’abandon de la voie de l’autodétermination. Ces dernières années, Mohammed VI, qui avait jusque-là semblé privilégier la doctrine "Taza avant Gaza" (autrement dit : priorité à la politique intérieure), s’est montré plus offensif sur le front diplomatique. Depuis 2012, il a multiplié les longues visites à l’étranger : Proche-Orient, pays du Golfe, Afrique subsaharienne, États-Unis, Tunisie.


Quinze dates clés. © Elena Blum pour J.A.

6. Royauté

Histoire de style

À l’origine était l’image du père, et la nécessité de la dépasser pour construire celle d’un jeune monarque moderne à l’écoute de son peuple. En 1999, Mohammed VI accédait au trône avec la lourde mission de marquer le changement tout en s’appuyant sur la tradition de ses ancêtres alaouites. Pas de rupture radicale, mais un style insufflé à dose homéopathique pour éviter les basculements porteurs de danger dans une société marocaine complexe et un contexte régional agité.

S’il a réussi à survoler les attentats terroristes de 2003 et de 2007, les révoltes arabes de 2011 et les tensions sociales, c’est parce qu’il a su imposer son image de monarque humain. Il épouse une roturière et l’expose en public, habitue son peuple aux images de sa petite famille fêtant les anniversaires et autres cérémonies dans sa résidence de Dar es-Salam à Rabat – il n’habite plus au Palais royal – et se laisse lui-même prendre en photo en tenue décontractée lors de ses voyages à l’étranger.

Il y a bien un style M6, très différent de celui de Hassan II. Du jet-ski aux voitures de sport, en passant par l’acquisition de tableaux d’art et les vacances d’hiver à Courchevel… chacun des loisirs du roi est suivi par un effet de mode. Même ses lunettes à montures noires, qu’il a commencé à porter il y a quelques années pour lire ses discours, ont depuis été adoptées par les jeunes citadins. Les Marocains s’identifient à leur roi, et c’est ce lien indéfectible qui a permis à Mohammed VI de continuer à exercer pleinement tous ses pouvoirs.


Le roi, son épouse Salma et le prince Moulay El Hassan fêtent l’anniversaire
de la princese Lalla Khadija à Rabat, en février 2011. © Niviere/Sipa

7. Politique intérieure

La voix du Nord

Qui ne se souvient du discours de Hassan II, au lendemain des protestations estudiantines de Nador en 1984, au cours duquel il qualifia les manifestants d’ "awbach [déchets de la société] vivant de la contrebande et du vol" ? C’est que ces émeutes rappelaient au défunt roi les soucis qu’il avait toujours eus avec ce Nord anciennement colonisé par les Espagnols. En particulier dans les montagnes du Rif, dont il avait violemment réprimé la révolte, entre 1957 et 1959, alors qu’il était encore prince héritier.

Bannies des plans de développement, Al-Hoceima, Nador, Tétouan, Ksar el-Kébir, les villes phares du nord du pays, sont rentrées dans un oubli programmé qui allait en faire une zone désespérément pauvre et une plaque tournante de la drogue et de la contrebande. La rupture dure jusqu’en 1995. Hassan II, déjà en fin de règne, décide alors de les réhabiliter sous la pression de l’Union européenne, inquiète du danger que commencent à présenter, pour la stabilité régionale, la culture et le commerce du cannabis marocain. Il crée l’Agence pour la promotion et le développement du Nord, une institution publique chargée de drainer les investissements vers cette région.

Mais cette nouvelle politique ne prend réellement qu’avec Mohammed VI, qui réconcilie la monarchie marocaine avec le Nord ainsi qu’avec l’Oriental – qui a toujours pâti du différend entre Maroc et Algérie – en leur consacrant son premier voyage officiel après son intronisation en 1999, lançant au passage de grands projets d’infrastructures.

Aujourd’hui, le nord du royaume ne se limite plus aux belles plages de Tanger, M’diq et Al-Hoceima, où le roi va souvent faire du jet-ski. Abritant le plus grand hub portuaire de l’Afrique de l’Ouest, Tanger Med, adossé à une zone franche, un réseau autoroutier et prochainement une ligne TGV entre Tanger et Casablanca, il est devenu un vrai pôle économique.


Le port Tanger Med, un point d’entrée devenu incontournable
pour les investisseurs étrangers. © Alexandre Dupeyron pour J.A.

8. Islamisme

Sous contrôle

Nommé par le roi en novembre 2011, le chef du gouvernement de Sa Majesté est un islamiste. Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, clame dès lors son allégeance. Il faut dire que les barbus n’étaient pas les partenaires de coeur du Palais, qui s’est surtout entouré de technocrates (gouvernements Jettou I et II, de 2002 à 2007). En 2007, un très proche du souverain, Fouad Ali El Himma (nommé conseiller royal fin 2011) créait un "Mouvement de tous les démocrates", prélude du Parti Authenticité et Modernité (PAM), ouvertement anti-islamiste.

La cohabitation entre le Palais et Benkirane est un compromis. D’un côté, la normalisation du PJD accrédite le changement promis par la Constitution ; de l’autre, son arrivée aux affaires désamorce son potentiel de contestation. Désormais, les islamistes d’opposition sont à chercher dans les rangs d’Al Adl Wal Ihsane, mouvement non reconnu légalement. Avec sa "réforme du champ religieux" – accélérée après les attentats terroristes du 16 mai 2003 -, le pouvoir contrôle et surveille les mosquées et les imams, en promouvant un "islam marocain", autour du soufisme, du rite malékite et de la doctrine achaarite.


La cohabitation entre le Palais et Benkirane est un compromis. © FADEL SENNA / AFP

9. Société civile

Mobilisés !

Le règne de Mohammed VI est aussi celui de la société civile. En quinze ans, le nombre d’associations s’est multiplié, leur domaine d’action s’est élargi et leur visibilité médiatique n’a cessé d’augmenter. On compte jusqu’à 60 000 associations en exercice dans le royaume – la plupart jeunes et dotées de moyens très faibles. Au coeur de l’action sociale, elles pallient les lacunes de l’État dans des domaines comme l’éducation, la lutte contre la pauvreté ou les services publics. Comme les nombreuses ONG qui agissent dans les zones rurales, les villages ou les bidonvilles.

L’expertise des acteurs du monde associatif est reconnue à tel point que c’est sur eux qu’a presque entièrement reposé l’INDH, grand projet royal de lutte contre la pauvreté. L’autre versant, plus militant, a pris la forme d’actions de lobbying auprès des autorités pour faire avancer certaines causes. Les droits de l’homme, l’égalité hommes-femmes, la lutte contre la corruption mais aussi la représentativité amazigh doivent ainsi beaucoup à la mobilisation de la société civile. Pour le politologue Mohamed Tozy, "la nouvelle Constitution a été l’occasion d’entériner [son] rôle central dans la vie publique, dans le contrôle du gouvernement et comme force de proposition auprès du Parlement".


Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des Droits de l’Homme. © ABDELHAK SENNA / AFP

10. Industrie

La grande oubliée

Le Maroc avait oublié son industrie. Pendant des décennies, il a suivi le modèle espagnol et profité de son soleil pour promouvoir avec succès le tourisme et l’immobilier, mais la conjoncture est devenue moins porteuse. Il a aussi compté sur sa main-d’oeuvre bon marché pour miser sur le textile, avant que la Chine ravage le secteur à partir de 2001, avec des coûts encore plus bas.

Le Maroc a réussi dans les services (banques, téléphonie, transports) mais la persistance du chômage en raison d’une forte proportion d’entreprises travaillant dans l’informel (30 %) et de la dégradation de la balance commerciale a persuadé le gouvernement de remettre l’industrie à l’honneur.

C’est chose faite à travers trois des six "métiers mondiaux du Maroc", l’automobile (Renault), l’électronique et l’aéronautique (Safran, Bombardier), qui augmentent leur production à un rythme accéléré. Mais cela profite surtout à Tanger et Casablanca et ne renforce pas un tissu industriel marocain très atomisé.

C’est pourquoi Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie et du Commerce, a lancé en avril un "plan d’accélération industrielle" épaulé par un fonds de 20 milliards de dirhams (environ 1,8 milliard d’euros). Sur le modèle des pôles de compétitivité français ou des clusters (grappes industrielles) italiens, ce plan entend faire coopérer, dans un environnement favorable, des PME désireuses d’exporter plus de valeur ajoutée. Objectif : 500 000 nouveaux emplois en sept ans. Ambitieux, car l’industrie n’en a créé que 75 000 au cours des dix dernières années.


L’usine Renault au Maroc. © FADEL SENNA / AFP

11. Environnement

Un souverain écolo

Les quinze ans de règne de Mohammed VI ont clairement été marqués par sa fibre "verte" et sa volonté de faire du Maroc un royaume écolo, où développement économique et protection de l’environnement feraient bon ménage. Peu de temps après son accession au trône, en 2002, il participe au Sommet mondial sur le développement durable, avant de ratifier le protocole de Kyoto la même année.

Une démarche "green" soulignée par le monarque lors de son discours du trône de 2009, et qui se traduit dans les faits par l’adoption d’une Charte nationale de l’environnement en 2010 ainsi que le lancement de grands projets "amis" de la nature. Le projet de ville verte Mohammed-VI à Benguerir, portée par OCP, l’un des plus grands groupes industriels du royaume, en est un exemple édifiant.

Ce n’est pas le seul. Dans le domaine de l’énergie, le pays, jusque-là grand consommateur de combustibles fossiles, mise désormais sur l’éolien et le solaire, avec un objectif pour le moins ambitieux : faire passer la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique du royaume à 42 % à l’horizon 2020. Un mégachantier suivi de près par Mohammed VI et dans lequel la Société nationale d’investissement (SNI), le ­holding royal qui contrôle Nareva, l’une des premières sociétés marocaines d’énergie éolienne, est directement impliquée.


Images de synthèse de la ville verte Mohammed-VI à Benguerir. © OCP

12. Urbanisme

Un pays en chantier

Les sociétés de bâtiment et de travaux publics ne se sont jamais aussi bien portées que sous Mohammed VI. Le monarque a fait du Maroc un chantier à ciel ouvert. Ports, aéroports, autoroutes, infrastructures ferroviaires, grands projets urbains…

En mai, il a lancé le programme de développement urbain et touristique "Rabat ville lumière, capitale marocaine de la culture" pour élever la cité au rang de grande métropole internationale.

Cette politique des grands travaux, financés à coups de centaines de milliards de dirhams par le budget public et par des financements internationaux, a été l’un des principaux moteurs de la croissance économique du pays. Elle a surtout favorisé l’émergence d’une classe moyenne qui consomme, voyage, s’ouvre sur le monde, se modernise…

>> À lire aussi : Urbanisme : Casablanca, capr sur 2030

Si ce new deal à la marocaine s’essouffle depuis quelques années à cause de la crise financière internationale, il a néanmoins eu le mérite de préparer le royaume à sa deuxième phase de croissance, fondée avant tout sur ses capacités à attirer des investissements industriels à forte valeur ajoutée et à s’exporter. Ainsi, si Renault a installé en 2012 sa plus grande usine hors Europe à Tanger, c’est parce qu’il y a eu au préalable le port Tanger Med, les autoroutes et bientôt la ligne à grande vitesse qui reliera les deux grands pôles économiques du pays : Tanger et Casablanca.


Les travaux de construction de la ligne à grande vitesse Tanger-Casablanca avancent. © LGV – ONCF

 

13. Gouvernance

Changement dans les rangs

Dans l’un de ses premiers discours, le 12 octobre 1999, Mohammed VI promettait un "nouveau concept de l’autorité". La fine fleur du ministère de l’Intérieur – walis, gouverneurs, directeurs de l’administration centrale – écoutait alors le jeune souverain lui énoncer ses responsabilités : "Assurer la protection des libertés, préserver les droits, veiller à l’accomplissement des devoirs et réunir les conditions nécessaires qu’exige l’État de droit." Aux représentants de la nation, Mohammed VI demandait des compétences économiques : encourager l’investissement, réduire les tracasseries administratives.

Un mois plus tard, le changement prenait surtout la forme d’un limogeage, celui de Driss Basri, vizir du roi Hassan II et ministre de l’Intérieur depuis 1979. Avec lui disparaissait une certaine "peur du flic". Le départ de cette pièce centrale du dispositif hassanien a précipité la refonte des services, à commencer par la Direction générale de la surveillance du territoire, la police (DGSN) et les renseignements extérieurs (DGED). Des profils plus technocratiques (juristes, diplômés de l’ENA) sont ainsi nombreux à l’Intérieur. Du changement, même si le ministère ne dispose toujours pas de site web et que les ONG nationales (Association marocaine des droits humains) et internationales (Amnesty) s’inquiètent encore de cas de mauvais traitements.


Driss Basri, vizir du roi Hassan II et ministre de l’Intérieur depuis 1979,
ici à Paris en 2004. Mohammed VI l’a limogé en 1999. © ABDELHAK SENNA / AFP

14. Culture

Le défi berbère

En 1999, la question amazigh était cantonnée aux cercles militants. Hormis quelques partis bien implantés dans les régions berbérophones, la revendication culturelle et linguistique était surtout portée par des associations, relativement connectées à l’international. Le 17 octobre 2001, Mohammed VI, portant l’habit berbère, prononçait le discours d’Ajdir, en pleine région zayane. Une première reconnaissance de la "composante amazigh" au sein de la culture marocaine, appuyée par la création de l’Institut royal de la culture amazigh (Ircam). En 2011, la langue était enfin officialisée, dans la foulée de la réforme constitutionnelle.

>> À lire aussi notre dossier : l’internationale berbère

Mais les défis restent nombreux : après la bataille de la graphie tifinagh (alphabet de la langue amazigh), les enseignants de l’idiome veulent généraliser son apprentissage et jugent les efforts de l’État insuffisants. Surtout, les Berbères, majoritaires, souffrent encore souvent des tares du sous-développement. Les motifs de grogne dans les régions amazighs sont d’abord d’ordre économique et social, que ce soit à Boumalne-Dadès (2008), à Sidi Ifni (2008) ou à Imider (depuis 2011). La question amazigh n’est pas seulement culturelle, elle reste politique.


Les berbères célèbrent la 2964ème année amazighe à Rabat. © FADEL SENNA / AFP

15. Politique

En quête de repères

Dans le royaume chérifien, il existe une contradiction préoccupante. Alors que les grands chantiers du pays avancent, sa classe politique régresse. Les partis sont toujours en crise, cristallisée autour de l’idéologie, du leadership ou du discours, devenu populiste à souhait. Les guerres de chiffonniers, par médias interposés, ont remplacé les débats de fond. Une polémique sans fin entre l’Istiqlal de Hamid Chabat, le PJD d’Abdelilah Benkirane et l’USFP (Union socialiste des forces populaires) de Driss Lachgar.

Le tableau n’est pas si noir : les évolutions sociales obligent les politiciens à soulever de nouveaux thèmes comme le viol, la légalisation du cannabis, le rôle de la femme ou la peine de mort. Pourtant, la classe politique dans sa globalité n’évolue pas au rythme souhaité. Tout au long de ces quinze dernières années, elle a donc été progressivement supplantée par les technocrates.

Il fallait bien gérer un pays en mouvement. Issus des grandes écoles ou du monde de l’entreprise, ces "managers" ont été placés dans des partis (essentiellement au sein du RNI, libéral), histoire de leur donner une couleur politique, avant d’être nommés au gouvernement. Jusque-là, ce processus de technocratisation a fonctionné. Mais peut-il perdurer ? Construire une démocratie nécessite d’abord de façonner sa classe politique.

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