Maroc : Mohammed VI, pionnier en son royaume

En quinze ans de règne, le visage de la monarchie a profondément changé. En rupture avec l’héritage de son père, Hassan II, le jeune roi Mohammed VI a réconcilié le pays avec son passé et ses racines, l’a modernisé et s’est attaqué aux grands défis sociaux.

Le 30 juillet 1999, Mohammed VI est couronné à l’âge de 35 ans. © ABDELHAK SENNA / AFP

Le 30 juillet 1999, Mohammed VI est couronné à l’âge de 35 ans. © ABDELHAK SENNA / AFP

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 5 août 2014 Lecture : 5 minutes.

Il faudrait être aveugle, de mauvaise foi ou les deux ensemble, phénomène hélas récurrent en ce qui concerne le Maroc, pour ne pas reconnaître qu’en quinze ans le royaume a profondément changé – et victime d’une incurable allergie à la monarchie pour ne pas rendre à Mohammed VI la part essentielle qui lui revient dans cette spectaculaire transformation.

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Pour ceux qui ont connu, parcouru, vécu le Maroc d’avant le 23 juillet 1999, quatre évolutions critiques parmi d’autres méritent d’être soulignées, tant elles sont synonymes du changement irréversible voulu par ce roi au seuil de ses 51 ans, dont les pouvoirs sont aussi étendus que ceux de son père et la popularité, incontestablement supérieure.

Le travail de mémoire, d’inventaire et finalement de réconciliation avec le passé des "années de plomb" tout d’abord. Entamée dès les premières années du nouveau règne, cette introspection pionnière dans la région est l’une des raisons pour lesquelles le régime a pu, en grande partie, faire l’économie de la vague des printemps arabes.

La lutte contre l’indigence et l’exclusion sociale est pour Mohammed VI le chantier prioritaire d’un règne.

Si le Mouvement du 20-Février, apparu en 2011, a eu pour seul effet concret d’accélérer la mise en place d’une nouvelle Constitution en gestation, c’est bien parce que le monarque avait perçu dès le début des années 2000 la nécessité d’une démarche proactive, participative et inclusive. Qui ne s’aperçoit qu’au Maroc l’État a perdu le monopole de l’espace et du débat public, desserré le carcan de la pensée unique et permis la libre expression de sujets hier tabous, tels les droits de l’homme ou la peine de mort ?

La lutte contre l’indigence et l’exclusion sociale ensuite : elle est pour Mohammed VI le chantier prioritaire d’un règne. Dès son arrivée sur le trône (et sans doute avant), le roi fait le constat des carences et des déséquilibres à la limite du supportable qui minent le pays et menacent la stabilité de son pouvoir.

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La naissance en 2005 de l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain), dont les réalisations sont depuis suivies quasi quotidiennement par le souverain, vient de là, tout comme la frénésie inauguratrice d’un homme qui ne rechigne pas à parrainer des projets parfois très modestes – un centre social de quartier, une maison pour enfants handicapés, un canal d’assainissement – mais dont il a perçu l’impact de proximité et la charge d’exemplarité.

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Des progrès remarquables

À l’évidence, le Maroc est loin d’avoir résorbé en quinze ans ses inégalités, y compris les plus choquantes, tant était profond le déficit en ce domaine. Mais les progrès – salués en juin 2014 par l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), laquelle a publiquement félicité le royaume pour avoir atteint avec deux années d’avance les objectifs du millénaire en terme de lutte contre l’extrême pauvreté – sont remarquables.

Tout comme est évidente la troisième évolution majeure de l’ère M6 : l’émergence d’une classe moyenne moderne, ouverte et urbanisée, socle et acteur à part entière du développement. Cette apparition, fruit des mutations économiques, ne doit certes rien au monarque. Mais l’accélération de projets urbains innovants et respectueux de l’environnement à Tanger, Salé, Marrakech, Casablanca et Rabat – décrétée ville verte et ville lumière -, destinés à fournir à cette classe moyenne des conditions adaptées à ses revenus et à ses exigences, provient de sa volonté.

La reconquête de l’Afrique passe par le business

Dernier mouvement significatif enfin : celui qui, peu à peu, a ramené le Maroc vers ses racines nourricières, l’Afrique. Patiemment, Mohammed VI a renoué les fils distendus sous son père, lequel, outré par la reconnaissance d’une indépendance sahraouie fictive, avait fini par tourner le dos au continent, accentuant l’insularité et le tropisme européen – largement artificiel – de son pays.

De cette amertume, son fils n’a pas hérité, n’hésitant pas à voyager fréquemment au sud du Sahara, privilégiant l’humanitaire et l’économie. Plutôt que de se lancer dans une épuisante bataille diplomatique au sein de l’Union africaine, M6 a choisi de contourner l’obstacle en incitant les entrepreneurs chérifiens à mettre leurs pas dans ceux de leurs ancêtres. Vue de Rabat, la reconquête de l’Afrique passe par le business.

Bien sûr, chacune de ces évolutions doit aussi se lire sous le prisme du politique. En quinze ans, le souverain a dû faire face aux formes modernes de siba – la nébuleuse du 20-Février notamment -, au bourgeonnement de l’islamisme radical, aux menaces, voire aux actes terroristes. Les réponses d’un appareil sécuritaire peu familier du maintien démocratique de l’ordre ont été souvent critiquées, même si, par rapport au règne précédent, celui-ci fait un usage nettement plus modéré de la violence légitime dont tout État est détenteur.

Mais, chacune à sa manière, la réconciliation avec le passé, la lutte contre la pauvreté, l’émergence d’une classe moyenne à la fois citoyenne et fière de sa monarchie et la renaissance d’un royaume africain participent à la consolidation d’un régime qui a eu l’intelligence d’évoluer. Au Maroc, où l’allégeance au souverain n’a jamais été inconditionnelle, chaque nouveau monarque se doit de conquérir son trône.

C’est peu dire que, en quinze ans, ce prince héritier à qui une escouade d’observateurs mal avisés ne prêtaient aucune appétence pour le job au point de lui accorder six mois de survie, a su relever le défi.

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