Nadine Gordimer, celle qui tient tête
Frêle mais jamais fragile, l’écrivaine engagée aura affiché une volonté à toute épreuve, refusant les faux-fuyants. Portrait.
Nadine Gordimer a vécu 90 ans, elle aurait atteint les 110 ans que je ne serais pas étonné. Elle est faite d’un métal particulier, comme son ami Mandela. Corps bien ciselé de petite danseuse précoce. Vers la toute fin, elle sera frêle mais jamais fragile. La volonté, intacte. Pour elle tout se joue au-dessus des épaules. Ce visage qui n’a presque pas changé au fil du temps. Le nez ? L’impression qu’elle retient sa respiration pour traverser ce fleuve de boue et de sang. Le regard ? Des yeux à peine posés sur un visage impassible. Des yeux qu’elle ne baisse pas souvent.
Quand elle penche la tête légèrement de côté pour vous observer avec ce menton aigu, si avide de comprendre, on pense à ses parents épuisés par les brûlantes questions d’une petite fille qui a vite percé à jour l’hypocrisie d’une société bien-pensante gangrenée par l’injustice. La bouche ? Cette bouche bien dessinée avec parfois ce sourire monalisien qui donne une idée de sa fine séduction.
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Droite, raide, elle refuse les faux-fuyants. Cette manière abrupte fera plus tard d’elle la terreur des mondains et des journalistes mal préparés. Pas de temps à perdre. Et les questions reviennent jusqu’à ce qu’elle obtienne la bonne réponse. Sa vision de ce qui est juste reste sans ambiguïté. On trouve cette obsession de la vérité dans ses livres, et cela malgré l’effort qu’elle déploie pour se tenir loin de la propagande.
C’est par la lecture qu’elle a pu entendre la rumeur de la rue. L’écriture lui a permis de descendre au fond de la mine. Elle n’a pas le sourire de Mandela, ce sourire qui semble parfois comprendre les excès du monde. Nadine Gordimer est loyale sans être aveugle. Elle dénonce les dérives de l’ANC sans pour autant changer de camp, refusant de désespérer ceux à qui il ne reste que le rêve.
Toujours discrète sur sa vie intime
Malgré le Nobel de littérature, on ne semble retenir d’elle que cette conscience morale de l’Afrique du Sud qu’elle était devenue. En fait, elle ne fut qu’une éponge gorgée d’angoisses, toujours discrète sur sa vie intime. Si on suit la piste de son enfance faite de contraintes imposées par une mère possessive, en oubliant pour une fois l’apartheid, on risque de découvrir une romancière plus subtile, et peut-être plus durable, que celle qu’on connaissait.
J’ai souvent croisé Nadine Gordimer dans les festivals littéraires, sans jamais oser l’aborder par respect pour la petite fille qui avait osé tenir tête à l’apartheid quand, dans son univers de privilégiés, on fermait encore les yeux. Elle fut la première à hurler de honte. Ce cri résonne encore en nous.
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