Togo : une vache tuée par des militaires devient un symbole de la contestation
Jugée « menaçante » par une escouade de militaires, la vache d’un boucher a été criblée de balles à Kparatao, un village frondeur dans le nord du Togo. Un « assassinat politique », qui a fait de l’animal un symbole de la fronde contre le régime du président Gnassingbé.
Sur la photo, l’imposante bête à cornes gît sur le sol, où s’écoule un sang rouge vif. Des militaires l’ont abattue à bout portant, car l’animal « menaçait les forces de défense et de sécurité », selon un responsable de la gendarmerie. Depuis une semaine, la triste fin de cette vache fait le tour des réseaux sociaux et suscite des réactions passionnées. Elle s’est même invitée dans le Journal du 20 heures à la télévision nationale.
Retour sur la chronologie du crime : le 19 septembre, veille de grandes manifestations populaire contre le président Faure Gnassingbé, gendarmes et soldats effectuent une descente dans le village natal de Tikpi Atchadam, nouvelle figure de proue de l’opposition qui se dit « menacé » et se cache.
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« On a cru qu’ils étaient venus nous tuer »
Les pick-ups des militaires encerclent le village, peuplé d’environ 6 000 habitants, tandis que les bérets rouges, une unité d’élite, se déploient en nombre. « Certains étaient cagoulés, ils étaient très nerveux, raconte un notable local, Agoro Wakilou. On a cru qu’ils étaient venus nous tuer. » Interrogatoires, perquisitions… Ils passent chaque maison au peigne fin, jusque sous le lit du chef traditionnel, à la recherche des « armes de guerre ».
D’après le chef d’escadron de la gendarmerie, Abalo Yao, la pêche est plutôt fructueuse : « trois fusils d’assaut coréens » mais aussi des arcs, des flèches, des gris-gris, et 18 millions de FCFA en faux billets seront découverts – ce que les villageois contestent. Les militaires sont sur le point de plier bagages, lorsque le drame survient. La vache du boucher vient d’être assassinée de plusieurs balles.
Une « victime » du régime
Comme il fallait s’y attendre, les moqueries fusent aussitôt sur la toile : « Même les animaux réclament la Constitution de 1992 au Togo », tweete ainsi un internaute faisant référence à la principale revendication à l’origine de la mobilisation populaire. Certains rendent hommage à celle qu’ils considèrent être une « nouvelle victime de la répression du régime dictatorial des Gnassingbé », quand le site Togomédias.com évoque un « assassinat politique » sous le titre « La vache qui rit ».
L’épouse du boucher, qui se trouvait à l’intérieur, a été frôlée par une balle et, « prise de malaises », a dû être hospitalisée pendant trois jours
Un incident anecdotique ? Pas vraiment, si l’on en juge le mur criblé d’impacts de balles de la maison du boucher, près duquel se trouvait l’animal abattu. Son épouse, qui se trouvait à l’intérieur, a été frôlée par une balle et, « prise de malaises », a dû être hospitalisée pendant trois jours. « Après les perquisitions, les intimidations, c’était la goutte d’eau. Le chef est parti voir le préfet pour que le boucher soit dédommagé », raconte M. Wakilou. C’est désormais chose faite.
L’esprit d’Atchadam
Les anciens de Kparatao, où l’opposant Atchadam a cru bon de mettre sa famille à l’abri, disent aujourd’hui vivre « la peur au ventre ». « Ils (le pouvoir) nous menacent parce que c’est de là que vient le leader », murmure un vieillard dans une longue tunique blanche, les yeux voilés par la cataracte.
Pour les militaires, l’esprit d’Atchadam a pu s’incarner dans le corps du bœuf, analyse Comi Toulabor, directeur de recherche au LAM (Les Afriques dans le Monde) à Sciencespo Bordeaux. « Les croyances animistes sont encore très présentes au Togo. »
« Chaque 13 janvier à minuit pile… »
Ce spécialiste du pays établit un lien direct entre cet incident et une légende – rapportée comme vraie par plusieurs hauts gradés de l’armée, selon lui – connue à Lomé du temps du père de l’actuel chef de l’État, le général Gnassingbé Eyadéma, qui a régné d’une main de fer sur le pays pendant 38 ans. « Chaque 13 janvier à minuit pile depuis 1963, le vieux Eyadéma rassemblait ses officier au ‘camp RIT’ à Lomé, et tirait sur un bœuf pour commémorer l’assassinat de Sylvanus Olympio – le premier président du Togo indépendant », qu’il a lui-même orchestré pour s’emparer du pouvoir.
Le père était « toujours entouré de toutes sortes de féticheurs et de marabouts », poursuit Comi Toulabor. Pour le chercheur, pas de doute, « les militaires ont voulu tuer symboliquement Tikpi Atchadam »… Ou lui donner un avertissement.
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