Algérie : coup de balai à El-Mouradia
Si le mois de ramadan était jusqu’ici utilisé par Abdelaziz Bouteflika pour examiner les performances de ses ministres, cette année ce sont ses conseillers qui ont été passés au crible. Résultat : quatre limogeages.
Si son état de santé ne lui permet plus de consacrer les longues soirées de ramadan à passer en revue ses ministres et leurs bilans, comme il avait l’habitude de faire, le président Abdelaziz Bouteflika n’en demeure pas moins actif durant le mois de jeûne. Hélas pour ses conseillers, cette fois, il s’est penché sur leurs cas… Le 12 juillet, Ennahar TV annonce que le chef de l’État a décidé de mettre fin aux fonctions de certains de ses plus proches collaborateurs.
Mais depuis, aucune confirmation officielle. Toutefois, la nouvelle a été confirmée à Jeune Afrique par deux ministres en exercice, qui préfèrent garder l’anonymat.
Ce grand ménage à El-Mouradia, s’il ne déchaîne pas les passions, soulève un certain nombre de questions.
Abdelaziz Bouteflika ne s’est jamais senti obligé d’expliquer à l’opinion, et encore moins à la classe politique, le bien-fondé de ses décisions. Et ce n’est pas à son âge (77 ans et 4 mois) qu’il va changer. Pourtant, l’identité des conseillers limogés pourrait à elle seule justifier la nécessité d’un éclaircissement. Qu’on en juge.
Au coeur du système algérien depuis plus d’un quart de siècle
Lamine Kherbi, certes septuagénaire, dirigeait la cellule diplomatique, une des structures les plus dynamiques de la présidence de la République. Ancien ambassadeur à Washington, il avait succédé à ce poste au compagnon au long cours d’Abdelaziz Bouteflika, l’octogénaire Abdelatif Rahal, aujourd’hui représentant de l’Algérie auprès de l’Unesco, à Paris. Durant la longue convalescence d’Abdelaziz Bouteflika, cette cellule diplomatique s’était montrée plutôt efficace. Aucune fête nationale d’un pays tiers – même la Micronésie ou Trinité-et-Tobago – n’était occultée. Abdelaziz Bouteflika adressait même à ses pairs des messages de félicitations depuis son lit d’hôpital au Val-de-Grâce ! La permanence diplomatique n’a donc failli à aucun moment.
Le colonel Rachid Aissat, ancien du contre-espionnage, a rejoint le président dès 1999. Sa nomination en tant que conseiller a été l’un des tout premiers décrets présidentiels signés par Bouteflika. Aissat accompagnait le président durant tous ses voyages, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Mais peu à peu, la visibilité du colonel s’est estompée. Son brutal limogeage le 12 juillet le rappelle au bon souvenir de l’opinion, qui avait fini par l’oublier.
Le général major Mohamed Touati, lui, présenté comme l’éminence grise de l’armée (il avait hérité du sobriquet El Mokh, "le cerveau"), semblait indéboulonnable. Janviériste (terme désignant les généraux qui avaient décidé, en janvier 1992, d’interrompre le processus électoral promis au FIS, le Front islamique du salut), il incarnait le courant le plus intransigeant à l’égard des intégristes au sein de la haute hiérarchie militaire.
Parce qu’il se trouvait au coeur du système algérien depuis plus d’un quart de siècle, ses fonctions de conseiller pour les affaires sécuritaires en faisaient, même s’il n’en avait pas officiellement le titre, le secrétaire permanent du Haut Conseil de sécurité national (HCSN), l’une des institutions les plus importantes de la République. Son limogeage survient au lendemain de la disparition d’une autre grande figure : le général de corps d’armée Abbas Ghezaïel, conseiller spécial d’Abdelaziz Bouteflika, décédé le 6 juillet. La mort de ce dernier et le limogeage du général major Mohamed Touati font du général de corps d’armée Mohamed Mediène, patron du Département Recherche et Sécurité (DRS, services secrets), le dernier des janviéristes encore en fonction.
La mise à l’écart de Mohamed Touati interpelle également sur un tout autre plan. Depuis sa réélection en avril 2014, Abdelaziz Bouteflika a relancé l’idée d’une nouvelle Constitution en lançant une large concertation menée par son directeur de cabinet, Ahmed Ouyahia. Or, cette concertation a pour document de base un projet élaboré en juin 2011 grâce au travail de la commission Bensalah, du nom du président du Conseil de la nation (Sénat), secondé par… le général Touati.
Y a-t-il un lien de cause à effet ? Amara Benyounès, le ministre du Commerce, par ailleurs président du Mouvement populaire algérien (MPA, mouvance présidentielle), minimise. "Il n’y a aucune incidence sur le processus en cours. La commission Bensalah a achevé sa mission en remettant son rapport au président de la République en juin 2011."
Le dernier conseiller cité parmi les limogés d’El-Mouradia est sans doute la personnalité la plus sulfureuse. Mohamed Megueddem est l’une des dernières survivances de l’ère Chadli Bendjedid. Ancien journaliste à la télévision nationale, le natif de Bordj Bou Ariredj, en Petite Kabylie, est bombardé au début des années 1980 à la tête de la cellule communication de la présidence de la République. Megueddem devient le marionnettiste en chef durant les années Chadli. Malgré sa réputation (suspicion de trafic d’influence, affaires scabreuses, etc.), Bouteflika l’a conservé en le nommant chargé de mission. Une chose est sûre cependant : quel que soit l’état de santé du chef de l’État, pas la peine d’attendre des explications officielles…
La république au ralenti ?
Quand le maalem ("le patron") n’est pas là, les souris dansent. Abdelaziz Bouteflika ayant déserté son bureau à El-Mouradia depuis son AVC, survenu le 27 avril 2013, le siège de la présidence de la République tourne au ralenti. Les audiences présidentielles se déroulent désormais dans la résidence de Sidi Fredj. Seul le processus de concertation autour de la révision constitutionnelle, durant cinq semaines, a légèrement modifié ce rythme. Entamé le 2 juin et mené par le directeur de cabinet, l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia, avec les chefs de parti, personnalités nationales et représentants de la société civile, il s’est achevé le 8 juillet. Depuis, El-Mouradia a retrouvé son calme. Avec un point positif pour les habitants du quartier : le dispositif sécuritaire s’est allégé.
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Cherif Ouazani, envoyé spécial à Alger
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