Un Macron tunisien ?
«C’est la crise ! » Puis, « c’est bon, nous en avons pris toute la mesure et gérons au mieux la tempête ». « C’est encore la crise ! » Rebelote : « Nous avons enfin compris et mis en place un gouvernement d’action et de réformes, ça va aller… »
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 2 octobre 2017 Lecture : 3 minutes.
Alerte au tsunami, mer d’huile, ouragan force 4, mer d’huile : ce cycle, décrété par les politiques, berce la Tunisie depuis la révolution de 2011, et plus encore depuis les élections de 2014. Après la chute de Ben Ali, le pouvoir s’est dilué. Entre Carthage, la Kasbah, le Bardo et les deux partis ultramajoritaires, les islamistes d’Ennahdha, d’un côté, et les « modernistes » de Nidaa Tounes, de l’autre. Résultat : pas de véritables réformes ni de réalisations importantes. Le navire prend l’eau mais ne coule pas (encore), certains partenaires extérieurs s’échinant à écoper régulièrement. Sauf qu’à défaut d’un changement de cap à 180 degrés sur le plan économique le naufrage paraît, à plus ou moins long terme, inexorable.
Les différents capitaines et officiers qui se sont succédé à la barre en sont bien sûr les premiers comptables. Mais les passagers, les Tunisiens eux-mêmes, ont également leur part de responsabilité. Chassez le naturel, il revient au galop : après les espoirs suscités par la révolution, les mauvaises habitudes ont rapidement repris le dessus. Ce que résume, en forçant un peu le trait, un ami, ancien ministre : « Les Tunisiens ont trois principaux défauts, qui les empêchent d’avancer et qui ne datent pas d’aujourd’hui. Ils ne voient qu’à court terme, sont versatiles – chez nous, on ne retourne pas sa veste, précise-t-il, on la remet à l’endroit – et inorganisés, donc peu efficaces. »
À quand une personnalité neuve ?
Peut-on s’attendre à un sursaut ? À une vaste prise de conscience nationale qui inciterait les uns et les autres à sceller l’union sacrée, à consentir des sacrifices et, pour certains, à mettre une sourdine à leurs ego hypertrophiés afin que soient menées les réformes indispensables (entreprises et masse salariale du secteur public, fiscalité, secteur bancaire, biens confisqués, partenariat public-privé, âge de la retraite, etc.) ? Peu probable avant les prochaines élections, présidentielle et législatives, de 2019. Car, dans un contexte de défiance généralisée vis-à-vis de la classe politique – « tous les mêmes », pensent les Tunisiens –, l’intérêt du duo Nidaa-Ennahdha n’est pas de renverser la table. Au contraire, le statu quo les arrange : ils restent les plus forts, et de loin. Les autres, une kyrielle de partis et de personnalités, lesquels certes pèsent, mais peinent à dépasser la taille critique, ne peuvent espérer l’emporter. Citons, entre autres, Mohsen Marzouk (Machrou Tounes) ou Yassine Brahim (Afek Tounes).
Toutes proportions gardées, peut-on assister, dans un laps de temps aussi court, à l’émergence d’un « Macron tunisien », une personnalité neuve qui incarnerait cette troisième voie susceptible de séduire les électeurs ? Il y a bien l’ancien Premier ministre Mehdi Jomâa, 55 ans. Probablement, sur le papier, le meilleur candidat pour 2019. Son bilan positif à la primature (janvier 2014-février 2015), unanimement reconnu, plaide pour lui. Son expérience du monde de l’entreprise et sa maîtrise de l’économie, encore une fois le vrai problème de la Tunisie, également. Le natif de Mahdia a en outre su se tenir à égale distance des partis, des lobbys et des partenaires sociaux pour appliquer son programme et organiser des élections transparentes ou résister aux foucades du président de l’époque, Moncef Marzouki (qui l’a tout de même accusé, dans un accès de paranoïa, d’ourdir un coup d’État !).
Enfin, nombreux sont ceux qui attendent qu’il affiche enfin ses ambitions au grand jour pour se ranger derrière lui. En revanche, sa méconnaissance des us et coutumes pas toujours reluisants de la politique politicienne, sa relative naïveté face à la rouerie de ses principaux concurrents, comme le fait qu’il ne semble pas prêt à tout (ou presque) pour parvenir à Carthage constituent de sérieux handicaps. Son parti est pour l’instant à l’état embryonnaire, ses troupes brillant davantage dans le qualitatif que dans le quantitatif. Surtout, il ne dispose guère de moyens financiers, le nerf de la guerre en matière électorale. Mais, après tout, n’est-ce pas ce que l’on disait d’Emmanuel Macron moins d’un an avant son élection ?
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