Eranove a-t-il assez d’énergie pour devenir un leader continental ?

Le holding veut s’imposer comme le premier opérateur privé africain dans son secteur. Mais certains experts doutent des capacités industrielles du groupe adossé à un fonds d’investissement.

CNPS a notamment investi en 2017 chez Eranove, producteur d’éléctricité. Ici, la centrale thermique Ciprel, Côte d’Ivoire. © Eranove

CNPS a notamment investi en 2017 chez Eranove, producteur d’éléctricité. Ici, la centrale thermique Ciprel, Côte d’Ivoire. © Eranove

Publié le 15 décembre 2014 Lecture : 5 minutes.

En février 2013, cinq ingénieurs sénégalais spécialistes de l’eau sont arrivés à Kinshasa, au chevet de la Regideso. Leur mission : apporter pendant trois ans une assistance administrative, financière et technique à la compagnie publique des eaux de la RD Congo en s’appuyant sur le savoir-faire de leur entreprise, la Sénégalaise des eaux (SDE). Ce projet est désormais porté tel un étendard par le propriétaire de la SDE, le holding Eranove, basé à Paris. Et pour cause, celui qui gère aussi l’eau et l’électricité en Côte d’Ivoire (via la Sodeci et les compagnies CIE et Ciprel) ne cache pas son ambition : devenir le premier opérateur privé du continent dans ces deux secteurs.

ADN local

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C’est pour marquer ce tournant que le groupe, autrefois Finagestion, a choisi un nouveau nom afin de se défaire de son étiquette financière et un nouveau logo symbolisant rien de moins qu’une carte de l’Afrique. Son directeur général, Marc Albérola, un Français élevé à Dakar, veut en revanche conserver l’organisation du groupe : un holding de tête, jouant un rôle de plateforme, et des entités commerciales spécifiques, chacune adaptée aux attentes et à l’ADN locaux.

Selon lui, Eranove, qui a réalisé 411 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier, n’imposera pas non plus un type d’énergie.

Si son expertise s’est construite sur l’exploitation des centrales thermiques au gaz et des barrages ivoiriens, il étudie aussi des projets dans le solaire, la biomasse et n’exclut pas le charbon, dans la mesure où des technologies « propres » pourront être développées.

« Il faut s’intéresser à la compétitivité des énergies, différente si l’on se trouve dans un pays qui doit importer des hydrocarbures, comme le Burkina Faso, ou au sein d’un État qui possède des ressources hydrauliques et du gaz tel que la Côte d’Ivoire », souligne Marc Albérola, dans son bureau situé au coeur des tours du Plateau, à Abidjan.

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Besoins croissants

Cette ambition « continentale » s’illustre pour l’instant dans l’ouest et le centre de l’Afrique.

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Au Ghana, Eranove a récemment pris une part minoritaire – dont il ne souhaite pas communiquer le montant – au sein d’un projet de 1 000 mégawatts (MW) de General Electric, son principal partenaire sur le continent. Des projets sont à l’étude au Cameroun, au Mali, au Nigeria et, selon nos informations, également au Gabon. Et le marché devrait s’étendre.

À quelques exceptions près, les États, confrontés à des besoins croissants et aux difficultés des compagnies publiques, réalisent l’intérêt de développer des partenariats public-privé. Mais peu d’entreprises locales répondent aux appels d’offres des gouvernements. Concernant le contrat de Kinshasa, « nous étions les seuls Africains », note Vincent Le Guennou, président du conseil d’administration d’Eranove.

Si l’entreprise est basée à Paris, ses filiales sont toutes africaines. Pour le contrat de la Regideso, c’est d’ailleurs un consortium Eranove-SDE qui a été présenté, jouant sur l’étiquette locale. Mais face à des concurrents internationaux, c’est avant tout l’offre financière qui a fait la différence. « Parce que, poursuit-il, un ingénieur sénégalais coûte moins cher qu’un expatrié canadien ou américain. »

Acteur panafricain

Cofondateur du capital-investisseur Emerging Capital Partners (ECP), Vincent Le Guennou dit avoir eu très tôt la conviction qu’un acteur panafricain manquait au secteur.

En 2004, lorsque le groupe Bouygues vend la Saur, sa filiale spécialisée dans les métiers de l’eau, les actifs sénégalais et ivoiriens lui restent sur les bras. Il les place alors dans une coquille appelée Finagestion.

En 2008, ECP rachète 30 % de cette entité à Bouygues, entamant une phase de transition qui a mené à une prise de contrôle par le fonds d’investissement, actuellement majoritaire à 57 %.

Aujourd’hui, le management, les employés et des investisseurs africains en détiennent environ 20 %, de même que le groupe français. Mais la présence de Bouygues, jugée « extrêmement précieuse » jusqu’ici, n’est plus aussi pertinente depuis que les contrats de concession en Côte d’Ivoire et au Sénégal ont été renouvelés. « La vocation de Bouygues est de sortir du capital et ils ne s’en cachent pas », note Vincent Le Guennou, précisant que l’échéance reste à déterminer.

ECP apparaît comme un atout de taille, mais le capital-investisseur ne possède aucun autre actif dans l’énergie à son portefeuille. L’année dernière, il a perdu avec Finagestion l’appel d’offres pour le rachat de l’électricien camerounais Sonel face à son concurrent Actis. Le holding, qui compte peu de collaborateurs en dehors des 7 500 employés des filiales, aura-t-il les moyens de ses ambitions ?

Horizons

Certains spécialistes en doutent : « Un fonds d’investissement ne s’inscrit pas dans des horizons de temps long propres aux services publics, d’autant plus que le fonds Africa II, géré par ECP et qui détient Eranove, a été levé auprès d’autres investisseurs en leur promettant un « retour » à une échéance qui devrait bientôt arriver », explique l’un d’entre eux.

Mais ECP assure vouloir conserver Eranove dans son portefeuille. « Nous réfléchissons à des moyens, avec nos fonds successeurs, d’y participer dans la durée, mais on peut aussi imaginer une cotation en Bourse pour lever plus de fonds. Toutes les options sont possibles », ajoute Vincent Le Guennou.

Situations de crise

Pour une autre source industrielle, le profil financier se conjugue mal avec l’expertise opérationnelle et la capacité à faire face aux crises. En septembre 2013, au Sénégal, Dakar a été privé d’eau pendant quinze jours après la rupture d’une grosse canalisation en sortie d’usine.

Une opinion qui n’est pas partagée par la Société financière internationale (IFC), partenaire d’Eranove sur plusieurs projets comme la centrale au gaz de Ciprel à Abidjan. « Ils ont vraiment développé un savoir-faire africain, tant du côté production que distribution. Et, s’ils bénéficient du soutien d’ECP, ils restent d’abord des industriels », explique Bertrand de la Borde, directeur du département Infrastructures Afrique.

« Des concurrents, il y en a beaucoup, certains excellents, mais Eranove se démarque avec la combinaison de cette expertise technique de terrain et cet ancrage africain très forts », précise l’expert de la SFI. Eranove n’est d’ailleurs pas le seul développeur d’énergie à être adossé à un fonds d’investissement. C’est aussi le cas de Globeleq (présent dans cinq pays africains), créé par le capital-investisseur Actis, ou de ContourGlobal, dont l’un des fondateurs est le gestionnaire de fonds Reservoir Capital Group, basé à New York.

Dans sa conquête, Eranove devrait trouver l’appui de la Côte d’Ivoire, berceau du groupe, qui ambitionne elle aussi de devenir un acteur énergétique de premier plan en Afrique de l’Ouest. Avec, pour vitrine, leurs réalisations communes.

MARC ALBEROLA, UNE CARRIERE 100% AFRICAINE

Sa carrière débute à la fin des années 1980, avec un VIE (volontariat international en entreprise) au Burkina Faso, où il est chargé de mettre en place une pompe à eau solaire. Dès lors, il ne quitte plus le secteur de l’eau et de l’énergie.

Stagiaire à la Saur, il devient ensuite directeur technique de la Compagnie ivoirienne de l’électricité (CIE) entre 1992 et 1997. Il y rencontre Vincent Le Guennou, alors directeur financier.

Marc Albérola prendra par la suite des responsabilités dans le secteur en Guinée, au Tchad et au Gabon avant d’entrer chez Veolia. Lorsque ECP prend le contrôle de Finagestion, en 2009, le capital-investisseur place cet opérationnel expérimenté au poste de DG.

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