Tunisie : Ali Laarayedh… consensuel, vraiment ?
Son passage au gouvernement n’a pas laissé que des bons souvenirs aux Tunisiens, entre échec économique et complaisance envers les salafistes. Pourtant, Ennahdha a fait d’Ali Laarayedh son numéro deux.
Presque six mois : c’est le temps qu’il aura fallu aux islamistes d’Ennahdha pour trouver un successeur à Hamadi Jebali, leur ancien secrétaire général, qui avait présenté sa démission fin janvier. Ali Laarayedh, son remplaçant, a été désigné le 13 juillet par le Majlis el-Choura, l’instance décisionnelle suprême du parti. Un chassé-croisé qui en rappelle un autre : Laarayedh avait déjà remplacé Jebali, le 22 février 2013, comme chef du gouvernement.
Le divorce entre Hamadi Jebali et le mouvement islamiste remonte d’ailleurs à cette époque. Jebali, pour restaurer la confiance après l’assassinat de l’opposant Chokri Belaïd, avait proposé la formation d’un "gouvernement de compétences, neutre et apolitique". Désavoué par Ennahdha, il avait alors préféré démissionner. Aujourd’hui, il caresse l’espoir de se présenter comme candidat indépendant à l’élection présidentielle du 23 novembre.
Ennahdha privilégie une autre option : elle veut apporter son soutien à une "personnalité consensuelle extérieure au mouvement" et se concentrer sur le scrutin législatif du 26 octobre. Ali Laarayedh sera donc chargé de mettre en musique cette nouvelle stratégie.
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Laarayedh a payé le prix de son militantisme
Cadre historique du Mouvement de la tendance islamique, qu’il a rejoint en 1977, Laarayedh a payé le prix de son militantisme. Cet ingénieur de la marine marchande, né près de Zarzis, dans le Sud tunisien, a été condamné à mort par contumace par la Cour de sûreté de l’État durant l’été 1987. Gracié par Ben Ali en novembre de la même année, son répit sera de courte durée.
Arrêté en 1990, il écopera de quinze ans de prison. Une peine ponctuée par d’épouvantables séances de torture et qu’il purgera dans son intégralité, passant dix années entières à l’isolement. Un traitement qui n’est pas sans rappeler celui infligé à Jebali (seize ans d’incarcération, dont dix à l’isolement). Considéré comme un doctrinaire lors de son arrestation, Laarayedh offre aujourd’hui un visage en apparence plus modéré.
C’est lui qui a ordonné la répression de Siliana et laissé la police tirer à la chevrotine dans les yeux des manifestants.
Il reste un cacique du parti islamiste, qui l’a imposé au ministère de l’Intérieur au lendemain des élections du 23 octobre 2011. Sa désignation comme secrétaire général du mouvement peut interpeller, car son nom symbolise aujourd’hui, aux yeux d’une large frange de l’opinion, l’échec de la gouvernance d’Ennahdha. Ministre de l’Intérieur, c’est lui qui a ordonné la répression de Siliana et laissé la police tirer à la chevrotine dans les yeux des manifestants.
Il n’a pas su déjouer l’attaque de l’ambassade américaine, le 14 septembre 2012, ni le meurtre de Chokri Belaïd. Accusé de complaisance à l’égard des salafistes d’Ansar El Charia, il avait renoncé à faire arrêter leur chef, Abou Iyadh, pourtant encerclé par la police dans la mosquée d’Al Fath, à Tunis, le 17 septembre 2012. Premier ministre, il n’aura pu empêcher le meurtre de Mohamed Brahmi, ni enrayer l’explosion des déficits et de la dette publique.
Troublante sur le plan de la communication politique, surtout après l’annonce du nouveau carnage terroriste dans la région de Kasserine – au moins seize militaires tués dans une double attaque, le 15 juillet -, la promotion d’Ali Laarayedh doit s’analyser à l’aune de la logique interne du parti. Laarayedh dispose de deux atouts : une légitimité militante à toute épreuve et le fait qu’il se situe au point d’équilibre entre l’aile ultraconservatrice et l’aile "réaliste", maintenant emmenée par Rached Ghannouchi, président et leader emblématique d’Ennahdha.
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