Passeportgate en RDC : les « mesures de facilitation » annoncées suffiront-elles à calmer les esprits ?
Appelé à s’expliquer devant l’Assemblée nationale sur le bien-fondé de la mesure invalidant les passeports semi-biométriques en RD Congo, le vice-Premier ministre Léonard She Okitundu a mis en avant lundi les motivations sécuritaires et annoncé quelques « mesures de facilitation ». Loin de satisfaire l’auteur de la question orale.
« Satisfecit » pour les uns
« Suite aux mesures d’accompagnement annoncées hier [2 octobre] sur le délai élargi et le prix, un satisfecit est clairement perceptible dans l’opinion publique et dans les réseaux sociaux », commente un proche collaborateur de Léonard She Okitundu, vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères.
Devant les députés nationaux, le chef de la diplomatie congolaise, répondant à une « question orale avec débat », a en effet indiqué quelques assouplissements à la décision controversée d’invalider, avant leur terme, les passeports électroniques – dits « semi-biométriques » en RDC – sur toute l’étendue du territoire national.
Parmi ces « mesures de facilitation », She Okitundu a annoncé « la prolongation de la date de mise en application de la mesure gouvernementale ». Au lieu du 16 octobre comme initialement décidé, la durée de vie des passeports semi-biométriques s’étendra finalement « jusqu’au 14 janvier 2018 », soit trois mois supplémentaires accordés à leurs détenteurs.
Outre la durée, Kinshasa recule également sur le prix : « Pour le détenteur de l’ancien passeport dont la date d’expiration arrive à échéance dans les années 2019 et 2020, l’acquisition du nouveau passeport se fera moyennant paiement d’un forfait de 100 dollars américains, au lieu du prix coûtant de 185 dollars. » Frais connexes et bancaires non inclus.
Vpm devant @AssembleeN pour répondre à question orale sur #passeport #Congo #RDC pic.twitter.com/gsV25p5C5l
— RDCongoDiplomatie🌍 (@DiplomatieRdc) October 2, 2017
Le gouvernement préconise aussi de faire bénéficier au détenteur d’un passeport semi-biométrique avec visas valables d’un « scellé consulaire qui lui permettra de circuler librement jusqu’à l’expiration de son visa ».
Mais le concerné a « l’obligation de se procurer [le] passeport biométrique » pour pouvoir profiter de cette « facilitation ». D’autant que « pour sortir du pays, le détenteur de l’ancien passeport avec visa devra obligatoirement avoir un passeport biométrique couplé avec le scellé consulaire » apposé sur le document de voyage électronique.
D’après nos informations, d’âpres tractations ont été nécessaires au sommet de l’État pour obtenir ces quelques aménagements. Au départ très obstinée à maintenir la mesure telle quelle, la présidence de la République a finalement entendu raison. Du moins partiellement.
Insatisfaction pour les autres
Car des « mesures de facilitation » annoncées sont encore « loin de rencontrer [l’] assentiment » de Juvénal Munubo. Ce jeune député de l’Union pour la nation congolaise (UNC) s’est fait le porte-voix de ceux qui s’opposent contre la décision d’invalider les passeports semi-biométriques.
Ces derniers jours, plusieurs jeunes ont été interpellés et brièvement arrêtés alors quils manifestaient devant le ministère des Affaires étrangères à Kinshasa, munis de banderoles sans équivoque : « Mon passeport est valide. Arrêtez d’arnaquer le peuple. » Allusion implicite au scandale de passeports biométriques impliquant un proche du président Joseph Kabila, révélé en avril dernier par l’agence de presse britannique Reuters.
La décision d’invalider les passeports semi-biométriques doit être tout simplement retiré
La Lutte pour le changement (Lucha) n’a pas non plus été convaincu par les assouplissements annoncés. « On n’allège pas l’injustice d’une mesure absurde, on y met fin simplement », a fait savoir ce mercredi le mouvement citoyen congolais.
#PasseportRDC: On n'allège pas l'injustice d'une mesure absurde, on y met fin simplement - Notre communiqué. @DiplomatieRdc @juvenalmunubo pic.twitter.com/x5sWHusp5y
— LUCHA 🇨🇩 (@luchaRDC) October 3, 2017
Abondant dans le même sens, l’auteur de la question orale maintient également sa position. « La décision d’invalider les passeports semi-biométriques doit être tout simplement retirée », persiste le député Juvénal Munubo qui se dit « insatisfait » par les réponses de Léonard She Okitundu. Ce dernier avait pourtant détaillé à l’Assemblée nationale les motivations sécuritaires qui auraient poussé son gouvernement à prendre cette mesure tant décriée.
Pour le vice-Premier ministre en effet, se référant aux « services spécialisés » de la RDC, « la fiabilité des anciens passeports dits semi-biométriques est remise en question », notamment par le fait qu’ils seraient détenus par « un nombre impressionnant des ressortissants des pays voisins », des « trafiquants de drogues » arrêtés en Colombie et au Brésil, des « chefs de groupes terroristes et leurs affidés qui opèrent sur le territoire national »…
« M. She Okitundu a trop parlé du terrorisme pour justifier la décision du gouvernement, mais il n’a apporté aucune preuve de ses allégations », rétorque Juvénal Munubo. Le député confie à Jeune Afrique qu’il se réserve désormais « le droit d’aller plus loin » si le retrait de la mesure n’est pas acté lors de la seconde intervention du vice-Premier ministre prévue le 4 octobre à l’hémicycle. Une interpellation ou une motion de défiance n’est donc pas exclue.
« Se radicaliser alors qu’on est dans une période préélectorale consensuelle n’est pas opportun », soupire-t-on dans l’entourage de She Okitundu. Pour ce dernier, sauf grand revirement de dernière minute, le retrait de la mesure n’est pas à l’ordre du jour. En attendant, le dossier, très suivi au sommet de l’État, demeure délicat et son issue incertaine.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?