Blandine Thieba : au Burkina, « beaucoup de mariages forcés ou précoces ne sont pas dénoncés »

D’après Amnesty International, le Burkina Faso a l’un des taux les plus élevés de mariages précoces et forcés dans le monde. Dans certaines régions de ce pays, plus de la moitié des filles âgées de 15 à 17 ans sont déjà mariées.

Blandine Thieba, gynécologue-obstétricien au Burkina Faso © Fatma Ben Hamad / JA

Blandine Thieba, gynécologue-obstétricien au Burkina Faso © Fatma Ben Hamad / JA

Publié le 4 octobre 2017 Lecture : 4 minutes.

Blandine Thieba, gynécologue-obstétricien, présidente de la société des gynécologues et obstétriciens du Burkina Faso, dénonce une pratique qui vole l’innocence et l’enfance de millions d’enfants et adolescentes. De passage à Paris, à l’occasion de la conférence « Le droit de dire NON au mariage forcé ! » organisée le 10 septembre dernier par l’ONG Amnesty International, elle a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Qu’est-ce que le mariage précoce et forcé ?

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Blandine Thieba : Le mariage forcé est une union sans le libre consentement des deux futurs époux. Le mariage précoce, quant à lui, est une union durant laquelle au moins l’un des deux époux n’a pas l’âge minimum légal requis pour le mariage. C’est dix-sept ans pour les filles et vingt ans pour les garçons au Burkina Faso.

Quelle est la situation actuelle au Burkina Faso concernant le mariage forcé ?

La situation est difficile à évaluer parce que nous n’avons pas de chiffres officiels. Il y a beaucoup de mariages forcés et/ou précoces qui ne sont pas dénoncés. Ce sont le plus souvent des mariages traditionnels ou religieux. 

Cependant, des études ont montré qu’il y a 20 à 52% de jeunes filles mariées avant l’âge de dix-sept ans dans le pays. La prévalence varie d’une région à une autre.

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Le mariage forcé est très répandu dans les zones rurales, mais cela ne veut pas dire que les zones urbaines et périurbaines sont épargnées par ce phénomène.

On accuse généralement la mère d’avoir encouragé sa fille à fuir alors elle n’y est souvent pour rien

Certains jeunes s’enfuient-ils avant le mariage ? Dans ce cas-là, coupent-ils les ponts avec leurs proches?

Oui, souvent, les jeunes filles fuient avec leurs petits copains. Certains restent au Burkina Faso et d’autres partent s’installer à l’étranger. Beaucoup de jeunes coupent les ponts avec leurs familles et leurs proches.

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On accuse généralement la mère d’avoir encouragé sa fille à fuir alors elle n’y est souvent pour rien. Quand il y a des intérêts financiers, la famille de la mariée est obligé de rembourser la dot en compensation de la perte de l’ancienne future épouse.  

Une grossesse avant le mariage est une honte et un déshonneur pour beaucoup de familles

Qu’est-ce qui pousse les parents à marier leurs enfants aussi tôt ?

C’est ancestral. Ce sont souvent pour des raisons sociales, culturelles et parfois économiques. Encore aujourd’hui, une grossesse avant le mariage est une honte et un déshonneur pour beaucoup de familles. Pour éviter cette situation, les familles préfèrent donner leurs filles en mariage dès que les premières menstruations apparaissent. 

Quelles sont les conséquences sur l’éducation et la santé des jeunes filles ?

En général, les jeunes filles mariées sont contraintes d’arrêter leurs études pour s’occuper de leurs foyers. Au Burkina Faso, nous avons la chance d’avoir une loi qui protège les filles qui tombent enceintes durant leur scolarité. Mais avant que cette loi ne soit adoptée les filles enceintes étaient renvoyées de l’école, pour éviter qu’elles ne deviennent un exemple pour les autres. La pauvreté amène aussi certaines jeunes filles à abandonner l’école.

Chaque année au Burkina Faso, des milliers de jeunes femmes meurent des suites d’un avortement clandestin

Les conséquences sont parfois très graves pour la santé. Une jeune fille peut-être victime de lésions génitales importantes, surtout si le conjoint – qui est le plus souvent un homme mature ne parvient pas à s’y prendre avec douceur.

Ce jeune corps qui subit une grossesse n’a pas fini de se développer, ce qui engendre des complications (accouchement prématuré, rupture utérine, fistule obstétricale…). Chaque année au Burkina Faso, des milliers de jeunes femmes meurent des suites d’un avortement clandestin.

Nous n’avons pas de chiffres officiels, parce que nous recevons que les femmes qui ont décidé de venir à l’hôpital suite à des complications. L’avortement au Burkina n’est pas légalisé donc beaucoup avortent dans de mauvaises conditions, ce qui provoque des hémorragies et des infections.

Les femmes ont parfois besoin de l’accord de leur mari pour obtenir un contraceptif

Est-ce qu’il y a un problème de contraception au Burkina Faso ?

Exactement. Quand bien même la contraception est disponible au Burkina Faso, l’information n’est pas portée où il se doit ou les services ne sont pas accessibles.  Une jeune femme qui vit dans un milieu où la contraception n’est pas acceptée, sera exposée à des grossesses répétées.

Les femmes ont parfois besoin de l’accord de leur mari pour obtenir un contraceptif. Il est dit qu’il faut espacer les naissances pour permettre à l’organisme de retrouver une santé qui puisse être propice à la venue d’une nouvelle grossesse. Si cet espace de temps n’est pas respecté, il y a un risque pour la mère, mais également pour l’enfant.

Que pensez-vous des actions du gouvernement pour stopper les mariages forcés dans le pays ?

Une belle stratégie qui a été mise en place, mais il reste la mise en œuvre. L’État seul ne peut pas faire face à tous ces problèmes. Les associations de la société civile doivent accompagner l’État dans les actions de plaidoyer, de mobilisations de ressources et dans la création de centres d’accueil pour les jeunes femmes et les filles victimes de mariages forcés.

Il faudrait également favoriser l’accès à l’éducation de ces jeunes filles. En allant à l’école, elles pourront mieux comprendre leurs droits et être informées sur certaines pratiques qui sont néfastes à leur santé.

Comment diffuser ce message au niveau national ?

Les médias peuvent y contribuer. Le gouvernement et la société civile à travers des actions de sensibilisation pour informer les communautés des risques encourus par les femmes et les filles.

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