Londres : la foire d’art contemporain africain 1:54 fête en beauté son cinquième anniversaire

Née en 2012, la manifestation créée par la Marocaine Touria El Glaoui est désormais incontournable. Elle s’installera pour la première fois en Afrique, à Marrakech, en février 2018. Avant de retourner à New York, deux mois plus tard.

La cinquième édition de l’African Art Fair 2017 se tient à nouveau à la Somerset House. © Katrina Sorrentino

La cinquième édition de l’African Art Fair 2017 se tient à nouveau à la Somerset House. © Katrina Sorrentino

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 5 octobre 2017 Lecture : 5 minutes.

C’est officiel, l’âge de raison vient d’être ramené de 7 à 5 ans. Du moins en ce qui concerne la foire d’art contemporain africain 1:54 créée en 2012, à Londres, par la Marocaine Touria El Glaoui. Pour son cinquième anniversaire, célébré du 5 au 8 octobre à la Somerset House, au bord de la Tamise, la manifestation s’est offert de grands noms de l’art contemporain, à l’instar du Camerounais Pascale Marthine Tayou qui a installé dans la cour de l’édifice une œuvre monumentale baptisée Summer Surprise. « C’est un projet architectural, une construction faite de bois et de pierres, portrait de nos larmes de joie et de peine, le symbole de l’esthétique de nos défaites et victoires communes », écrit l’artiste à propos de son oeuvre placée au beau milieu des jets d’eau de la fontaine de la Somerset House.

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À l’intérieur, c’est le plasticien marocain Hassan Hajjaj qui bénéficie, avec La Caravane, d’une grande exposition personnelle appelée à se poursuivre au-delà de la foire puisqu’elle restera ouverte au public jusqu’au début de janvier 2018, permettant aux visiteurs de découvrir la large palette de cet artiste qui mélange aussi bien les médias – photo, vidéo, sculpture, design – que les iconographies occidentales et orientales.

"Kesh Angels" © DR

"Kesh Angels" © DR

Ailleurs, les esprits curieux seront sans doute fascinés par une sculpture de la Sud-Africaine Mary Sibande représentant son alter-ego imaginaire, Sophie, une domestique littéralement envahie par ses vêtements – sortes d’étranges vers violets se développant autour de ses membres…

42 galeries

« Cinq ans, je crois que c’est vraiment un cap important pour la foire, et je n’étais pas certaine à l’époque où je me suis lancée que nous serions encore là, confie Touria El Glaoui, toujours affairée à aider les uns et les autres, toujours souriante. Nous avons commencé avec 17 galeries, nous en avons 42 ici aujourd’hui. Les gens nous suivent et nous avons bâtit une relation forte avec la Somerset House, et nous faisons aujourd’hui partie intégrante de leur programme annuel. Grâce à cela, nous pouvons désormais envahir les lieux publics. Il y a cinq ans, il n’aurait pas été possible d’installer l’oeuvre de Pascale Marthine Tayou dehors, au milieu de la fontaine. » À l’équilibre, 1:54 annonce un budget compris entre 350 000 et 400 000 livres.

Marché international

Cette confiance acquise se ressent aussi dans l’ensemble des salles où sont installées les différentes galeries venues de nombreux pays du continent, offrant un très vaste panorama de la création contemporaine, de Tanger à Harare et d’Addis Abeba à Johannesburg. L’impression qui s’en dégage ? Forcément subjective, celle d’une grande maturité intellectuelle et esthétique. L’Afrique, si l’on ose ce terme générique, n’est plus le parent pauvre du marché international de l’art. Les artistes creusent leur sillon et s’imposent par-delà les frontières de leur pays d’origine, s’invitant dans les musées et les foires du monde entier.

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S’identifier comme « Africains » peut parfois être un choix, voire un besoin, ce n’est plus une nécessité pour attirer l’attention de collectionneurs en mal d’exotisme. Désormais, l’on vient déambuler entre les stands d’1:54 comme l’on vaque entre ceux de la foire londonienne Frieze. « Je crois que les galeries ont appris et compris comment fonctionnait le marché anglais, poursuit Touria El Glaoui. Elles choisissent ce qui marche le mieux localement, elles se sont adaptées. » Pour autant, les œuvres demeurent variées et souvent surprenantes, tant sur le fond que sur la forme. Hasard ou tendance, l’art figuratif domine très nettement la sélection, aux dépens de l’art abstrait, très peu présent, comme si ce dernier était arrivé au bout de ce qu’il avait à dire.

Dessin sur papier

En revanche, le retour au dessin et au travail sur papier semble incontestable tant sont nombreux les artistes choisissant ce medium – et lui faisant subir les pires tortures pour en tirer les plus beaux résultats. Ainsi, le Nigérian Victor Ehikhamenor perfore sa feuille à la main pour donner vie à The king’s first daughter, s’inspirant de la tradition et de l’esthétique Edo. L’Angolais Pedro Pires utilise le feu pour marquer le papier et créer des silhouettes plus ou moins complètes, faites de trous et de brûlures. Jouant du rasoir et des aiguilles, la Marocaine Safaa Erruas libère de sa feuille – ou les y cloue, selon le point de vue – des milliers de papillons blancs. Présenté par la galerie Sulger-Buel Lovell, le Marocain Mohamed Lekleti propose d’étonnantes variations oniriques avec des dessins vivants, toujours en mouvement, qui peuvent intégrer des photos ou même des oiseaux empaillés. Plus politique, le Zimbabwéen Dan Halter imprime sur papier des cartes ou des billets de banque, puis les découpe en fines bandelettes qu’il retisse ensuite entre elles, modifiant considérablement le motif d’origine. Appliqué à la carte de son pays, au billet d’un dollar ou au billet de 100 trillions de dollars zimbabwéens, le procédé prend tout son sens… Enfin (on pourrait poursuivre sans peine), pliant, peignant, dessinant, collant, la Sud-Africaine Marlise Keith produit des œuvres en relief, colorées, sorte de version délirante des livres pop-up qui séduisent tant les enfants.

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Une installation de Safaa Erruas. © Katrina Sorrentino

Une installation de Safaa Erruas. © Katrina Sorrentino

Cahiers d’écoliers

C’est d’ailleurs en référence à l’enfance que la Tunisienne Aïcha Snoussi produit l’une des installations les plus stimulantes de cette édition d’1:54. Présentés à plat sur des étagères, ses cahiers d’écoliers plongent le visiteur dans un monde en noir et rouge où l’organique, le végétal et le mécanique s’entrelacent. « Dans une rue marchande de Tunis, je suis tombé sur ces vieux cahiers qui étaient vendus au kilo, se souvient l’artiste. Ils sont, d’une certaine manière, le premier support de notre rapport au savoir. En dessinant dessus, en découpant, charcutant, déchirant, je construis une sorte d’anti-encyclopédie. » Le titre de l’oeuvre dit à peu près la même chose : Bugs (Anticodexxx). « C’est à la fois une référence aux insectes et aux bugs informatiques, c’est quelque chose de minuscule qui finit par gangrener tout l’espace », explique cette artiste qui travaille à Paris. Posés sur des porte-Coran, certain cahiers ne comportent aucun dessin, seulement des déchirures, comme s’il s’agissait de se tenir à distance des manuscrits enluminés, précieux et intouchables… « Cela ne me gêne pas que l’on touche les œuvres, au contraire », précise l’artiste.

À cinq ans, après avoir essaimé outre-Atlantique à New York, la foire 1:54 semble prête pour relever l’un de ses plus grands défis – et sans doute celui auquel Touria El Glaoui tient le plus – poser le pied en Afrique. Ce sera chose faite du 23 au 25 février 2018, à Marrakech, avec 17 galeries présentes.

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