Air France : sur le Paris-Bamako, « nous n’avons jamais interrompu notre desserte »

Malgré les problèmes sécuritaires, les taxes élevées et la concurrence d’Aigle Azur, le trafic sur la ligne Paris-Bamako ne cesse de croître. À l’occasion du 80e anniversaire de cette desserte, le patron de la compagnie française fait le point sur les activités, au Mali et dans le reste de l’Afrique.

Franck Terner, directeur général d’Air France. © Air France

Franck Terner, directeur général d’Air France. © Air France

KATIA TOURE_perso

Publié le 5 octobre 2017 Lecture : 7 minutes.

Air France a célébré en grandes pompes les 80 ans de la ligne Paris-Bamako, lundi 2 octobre dans la capitale malienne. L’occasion pour Franck Terner, directeur général d’Air France, de réaffirmer l’attachement de la compagnie à cette desserte de la zone sahélienne.  Rencontre.

Jeune Afrique : Air France dessert Bamako depuis quatre-vingts ans. Que représente la cette ligne pour la compagnie ?

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Franck Terner : Cette ligne a été ouverte en novembre 1937 avec un premier vol d’Air France effectué par Antoine de Saint-Exupéry, en février de la même année. Pour nous, cela tient de la grande histoire.

Peu importe les événements qui ont pu survenir, conflits ou situations sécuritaires mouvementées, nous n’avons jamais interrompu notre desserte et continuerons à être fidèles à cette destination. Hormis le Concorde qui est allé à Dakar, tous les avions de notre flotte se sont rendus à Bamako : du DC-3 au 747 en passant par le DC-4, « Constel », Caravelle, etc.

Cet été, nous sommes passés au Boeing 777 et le 8 octobre, l’avion le plus moderne de notre flotte, le Boeing 787, prendra le relais. Nous comptons trois appareils de ce type, dont le premier a été mis en service il y a un peu plus d’un an par KLM sur la ligne du Caire, rattachée à la zone Moyen-Orient.

Il s’agira donc du premier vol du Boeing 787 sur la zone Afrique. Nous en sommes très fiers, car nous considérons cette ligne comme importante dans la mesure où une grande communauté malienne vit en France.

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Comment évolue le trafic sur cette desserte ?

Nous ne cessons de monter en fréquence et en taille. Au début, quatre ou cinq escales desservaient Bamako chaque semaine. Aujourd’hui, nous assurons des vols quotidiens avec des avions de très grosse taille et des taux de remplissage élevés.

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La croissance du trafic sur Bamako est régulière, si l’on excepte la période de crise et l’opération militaire française qui a suivi, pendant laquelle nous avions réduit la fréquence de nos vols à quatre à cinq, voire six, par semaine. Par la suite, le trafic a repris de façon régulière, et progresse désormais.

Comptez-vous accroître ces fréquences ?

Pas à court terme. Nous gardons le vol quotidien. Mais en fonction de la demande, nous adaptons le module avion. Cet été par exemple, avec le 777, nous proposions 300 sièges, et le 787 dispose d’une taille presque équivalente, avec 276 sièges.

Notre politique tarifaire dépend de nos coûts d’exploitation, qui sont élevés en Afrique de l’Ouest

Quel est le taux d’occupation de la desserte Bamako ? Est-elle bien placée parmi les destinations de la compagnie ?

Ce sont des données confidentielles. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il s’agit d’une ligne très saisonnière, prisée par la diaspora pendant l’été. Les taux de remplissage sont très élevés de juin à septembre. L’hiver, c’est un peu plus calme.

Vos billets ne sont-ils pas trop chers pour des passagers souvent plutôt modestes ?

Nous appliquons une politique tarifaire qui dépend de la demande, mais aussi de nos coûts d’exploitation, qui sont élevés en Afrique de l’Ouest. Cela pour plusieurs raisons : les redevances, des coûts d’opération au sol plus élevés qu’ailleurs, le carburant et dépenses engagées pour la sécurité des biens et des personnes.

Toutefois, nous proposons beaucoup de promotions, comme actuellement, avec un vol Paris-Bamako à moins de 600 euros. Prochainement, nous allons lancer sur Bamako une promotion en proposant la destination Paris à 460 000 francs CFA (701 euros).

Notre objectif est d’optimiser le remplissage des avions. Quand les prévisions l’estiment un peu plus faible, nous adaptons notre grille tarifaire pour stimuler la demande. Nous prenons aussi en compte les vacances scolaires et les grands événements comme le sommet Afrique-France de janvier 2017.

La situation sécuritaire n’est-elle pas un frein à votre développement dans la région sahélienne ?  

Il est certain que cela rend les choses plus compliquées, mais cela ne nous empêche pas d’être présents. Nous restons extrêmement attentifs à la sécurité de nos équipages et des clients que nous transportons. Par exemple, nous n’hébergeons pas nos équipages à Bamako mais dans des pays frontaliers, à Conakry ou Abidjan.

Nous avons aussi des dispositifs de sécurité coordonnés avec les instances gouvernementales. Nous pouvons moduler notre activité en fonction des événements sur place, interrompre un vol par exemple. Mais cela fait évidemment peser une contrainte significative sur les coûts d’exploitation. D’où le constat que nos tarifs sont élevés.

Pour les ailes françaises, il vaut mieux que la concurrence soit française plutôt qu’étrangère

Quels sont les ressorts économiques de la région dont vous pourriez tirer profit ?

La diaspora reste importante, mais nous comptons aussi sur les entreprises françaises ou étrangères et les gouvernements qui voyagent. Le gouvernement est d’ailleurs notre plus grand client au Mali.

Nous ciblons également les commerçants qui vont acquérir leurs marchandises en Asie ou ailleurs, même si nous sommes très concurrencés par d’autres compagnies sur l’Asie.

Au Sénégal, nous comptons parmi nos grands clients des entreprises françaises comme Eiffage. Nous misons aussi sur les gisements de gaz qui vont entrer en production, d’ici quelques années. En Côte d’Ivoire, le retour de la Banque africaine de développement va créer pas mal de connexions.

Toujours à Abidjan, notons la relocalisation du Centre international du cacao, jusque-ici basé à Londres. Tout ce qui crée de l’activité et des centres de décisions en Afrique génère du trafic, vers la France mais aussi vers le reste du monde, notamment via notre hub de Roissy-Charles de Gaulle.

Comment affrontez-vous la concurrence d’Aigle azur au Mali ?

Leur impact sur nos activités est faible : nous n’offrons pas le même service. Nous sommes une compagnie de réseaux qui connecte à peu près plusieurs points du globe. Quand on prend Air France depuis le Mali, on a un billet unique pour aller aux États-Unis, en Chine ou dans n’importe quel point d’Europe, alors que notre concurrent vend un billet pour Orly.

En termes de qualité, Aigle Azur offre du moyen courrier, avec des Airbus A321, quand nous avons du long courrier avec le 777 et prochainement le 787. Ces deux avions sont pourvus, en classe affaire, de nos nouvelles cabines Best mises en ligne vers le Mali. Ce n’est pas tout à fait ce que peut proposer la cabine affaire d’un Airbus A321.

De plus, les vols d’Aigle azur sont circulaires, tandis que les nôtres sont sans escale. Mais c’est une bonne chose qu’il y ait de la concurrence française, cela crée une émulation sur le marché. Pour les ailes françaises, il vaut mieux que la concurrence soit française plutôt qu’étrangère car, sinon, le trafic peut passer par d’autres hubs comme ceux de Casablanca ou Istanbul.

Corsair a une démarche très opportuniste

Et comment affrontez-vous la concurrence de Corsair sur Dakar et Abidjan ?

La concurrence de Corsair est différente de celle d’Aigle Azur, car il s’agit de vols long courrier et d’une grande compagnie.

Mais nous travaillons en Afrique depuis quatre-vingts ans alors que Corsair a une démarche très opportuniste. Ils ont commencé début 2013 la desserte d’Abidjan, l’ont arrêtée pendant une saison puis sont revenus. En fonction des aléas, ils ouvrent ou ferment leurs réseaux.

Nous, nous attachons au contraire à ce que notre programme reste régulier. Pour autant, nous respectons cette concurrence que nous jugeons saine.

Il y a plusieurs projets de développement de compagnies dans la région comme Air Burkina, Mauritania Airways, Air Tchad (qui se relance avec Ethiopian Airlines), Air Sénégal. Vous engagez-vous à leur côté ?

Nous étudierons les choses si nous sommes sollicités. Nous avons fait de belles choses avec Air Côte d’Ivoire. Nous sommes montés au capital, maintenons les avions de la flotte et pensons même mettre des numéros d’Air France sur les réseaux d’Air Côte d’Ivoire et vice-versa, pour renforcer la puissance sur la région.

Nous ne serons pas partie prenante d’Air Sénégal

Mais nous ne pouvons pas nous disperser. Il n’est pas possible de saupoudrer à gauche et à droite. Le rôle d’Air France est de fédérer les petites compagnies africaines et non d’aider chacune d’entre elles. Ce serait en pure perte. Nous ne serons pas partie prenante d’Air Sénégal.

En dehors d’Air Côte d’Ivoire, vous ne semblez plus vouloir développer de partenariat capitalistique avec des compagnies. N’avez-vous pas l’impression de laisser ce rôle à Ethiopian Airlines ?

L’idée est que nous maintenions nos deux pivots, Air Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est Kenya Airways, dont notre compagnie sœur, KLM, est actionnaire. Notre souhait est qu’il y ait un équilibre des alliances entre ces deux compagnies clés. Il est d’ailleurs possible qu’il y ait des coopérations entre Air Côte d’Ivoire et les compagnies africaines citées précédemment.

Kenya Airways fait face à des difficultés financières d’envergure depuis plusieurs années. N’est-ce pas une épine dans le pied d’Air France–KLM sur le continent ?

Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais nous assumons nos responsabilités. Nous travaillons beaucoup avec Kenyan Airways pour faire en sorte qu’elle aille mieux, malgré un environnement politico-économique compliqué. Sans compter une vive concurrence au nord. C’est une très belle compagnie et un marché intéressant, géographiquement bien placé. Air France, KLM, Kenya Airways et Air Côte d’Ivoire ont tout intérêt à ne pas se laisser dévorer par Ethiopian Airlines.

Air France lance une ligne Paris-Nairobi en 2018. Comment s’insère-t-elle dans la stratégie du groupe ?

L’idée est de s’intégrer au partenariat entre Kenya Airways et KLM. Cela renforcera la desserte vers le Kenya : nous allons plus que doubler le nombre de dessertes possibles en connectant Paris à Nairobi. Cela nous ouvrira aussi les portes du sud-est de l’Afrique.

Nous pensons notamment à Lubumbashi, en République démocratique du Congo. Nous travaillons à la mise en résonance des deux hubs que sont Nairobi pour Kenya Airways et Roissy-Charles de Gaulles pour Air France.

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