« Captain Africa » : le mythe Sankara sur un continent en panne de héros

Il est à la « génération consciente » (copyright Claudy Siar) africaine francophone ce que Che Guevara fut et demeure pour beaucoup de jeunes Latino-Américains : un mythe.

Thomas Sankara à Ouagadougou au Burkina Faso, le 26 février 1987. © Archives Jeune Afrique-REA

Thomas Sankara à Ouagadougou au Burkina Faso, le 26 février 1987. © Archives Jeune Afrique-REA

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Publié le 9 octobre 2017 Lecture : 4 minutes.

Détail d’une sérigraphie à l’effigie de Thomas Sankara. © Photo : Sophie Garcia / HansLucas
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Qui a tué Sankara ? Retour sur une affaire d’État, 30 ans après…

Le 15 octobre 1987, le président burkinabè Thomas Sankara était assassiné avec douze de ses compagnons. Trente ans après, alors que le doute sur le commanditaire plane encore, le souvenir du leader de la révolution du Burkina Faso est toujours présent dans l’esprit de ses proches, comme dans celui de nombreux Burkinabè.

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Trente ans après son assassinat, Noël Isidore Thomas Sankara, à qui nous consacrons notre « Grand angle » de la semaine, est plus qu’un poster de chambre d’étudiant, plus qu’un flocage de tee-shirts : il rassemble les foules. Ils étaient des milliers sur les gradins du stade de Ouagadougou, au soir du 2 octobre, venus de toute l’Afrique de l’Ouest, mouvements citoyens en tête, lancer, sous la houlette de Jerry Rawlings et du président Kaboré, lui-même ancien sankariste, une souscription internationale pour la construction d’un mémorial consacré à « Captain Africa ».

Sur un continent en panne de héros, les leaders foudroyés avant d’avoir déçu, de risquer l’embourgeoisement et d’expérimenter la mal-gouvernance, bref de mal vieillir, font toujours recette. Le martyrologe des trentenaires fauchés en plein vol est long : Lumumba (35 ans), Biko (30 ans), Ngouabi (38 ans), Moumié (35 ans), Ben M’Hidi (34 ans), Rwigema (33 ans), Outel Bono (39 ans), Sankara bien sûr (37 ans). Et presque autant celui des quadras, de Ouandié à Mondlane, de Cabral à Um Nyobè.

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Le fait de mourir jeune et assassiné est un drame, mais aussi une garantie d’éternité. Le Che avait 39 ans quand les militaires boliviens l’ont criblé de balles. Imaginons qu’il ait vécu quatre décennies de plus et soit mort dans son lit, perclus de rancœurs, d’inévitables échecs et de rhumatismes : qui ferait-il vibrer ? Certes, direz-vous, toute vieillesse au pouvoir n’est pas synonyme de naufrage, avez-vous oublié Mandela ? Non, bien sûr.

Les tchadiens interdits d’accès aux Etats-Unis

Mais Madiba a fait ses premiers pas d’homme libre à l’âge de 70 ans. L’icône n’a donc pas eu le temps de se flétrir. Lui a 71 ans et démontre chaque jour qu’il n’aurait jamais dû entrer par effraction sur la scène politique mondiale. De toutes les décisions qu’il a prises depuis son arrivée à la Maison-Blanche, celle interdisant aux ressortissants tchadiens de se rendre aux États-Unis à partir du 18 octobre est l’une des plus incompréhensibles qui soient et des plus « déroutantes », pour reprendre le terme choisi par l’ancien patron d’Africom, le général Carter Ham, qui avoue être « tombé de sa chaise » en l’apprenant.

Explication officielle : le Tchad « ne partage pas de façon adéquate l’information concernant la sécurité publique et le terrorisme ». Voici donc le pays d’Idriss Déby Itno, que l’on croyait pourtant en première ligne dans le combat contre les terroristes au Sahel et au Nigeria, dont la capitale abrite le siège de l’opération Barkhane et de la force conjointe de lutte anti-Boko Haram, ainsi qu’une base de drones américains, placé sur la même liste noire que la Corée du Nord, le Venezuela, la Somalie ou le Yémen. Et ce alors même que le Soudan, qui offrit asile à Ben Laden et dont le président est poursuivi par la Cour pénale internationale, vient d’en être retiré.

Une histoire de pétrole

Pourquoi le Tchad donc et pourquoi pas le Mali, le Niger, l’Algérie, le Maroc, l’Arabie saoudite, le Qatar ou la France ? Après tout, les Tchadiens évoluant ou ayant évolué dans les rangs de Daesh sont infiniment moins nombreux que les Français… « Pure incompétence », répond dans Newsweek un ancien ambassadeur américain au Nigeria. C’est effectivement une possibilité, disons réaliste, vu le niveau moyen de l’administration Trump. Mais il en est une autre, soulevée par une enquête de la très sérieuse radio américaine NPR, qui mérite qu’on s’y arrête : le pétrole.

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En 2016, le gouvernement de N’Djamena et la société ExxonMobil, qui exploite le gisement de Doba, sont entrés en conflit ouvert, le premier réclamant à la seconde plus de 800 millions de dollars de redevances impayées avant de lui infliger une amende astronomique de quelque 74 milliards de dollars. Il y a cinq mois, les deux parties ont conclu un accord aux contours opaques mettant fin au litige.

Tout au moins officiellement. Car il se dit que le PDG d’ExxonMobil jusqu’à fin 2016 n’aurait toujours pas digéré l’affront. Son nom : Rex Tillerson, actuel secrétaire d’État de Donald Trump. Si cette dernière hypothèse est la bonne, il reste un solide espoir aux Tchadiens désireux de se rendre aux États-Unis : au rythme quasi quotidien où Trump contredit son ministre, lequel n’a toujours pas démenti l’avoir traité de moron (au choix : crétin, idiot, minus, abruti) lors d’une récente réunion au Pentagone, il n’est pas exclu que ce décret aberrant fasse long feu.

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La Cour Pénale Internationale

Qu’aurait pensé Sankara de la Cour de La Haye ? Se serait-elle saisie du dossier de son assassinat ? Impossible de refaire l’Histoire. Deux réflexions toutefois, à la lecture des documents troublants sur la CPI diffusés la semaine dernière par les médias regroupés au sein de l’European Investigative Collaborations.

La première est qu’ils confirment ce que disait dans nos colonnes en 2014 le juriste Albert Bourgi : la Cour, particulièrement à l’époque où officiait le procureur argentin Luis Moreno Ocampo – qui ne sort pas à son avantage de ces révélations –, a été, dès son origine, influencée, si ce n’est instrumentalisée, par ce que l’on appelle le P3 (France, Royaume-Uni, États-Unis) au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.

La seconde concerne la Côte d’Ivoire : le problème n’est pas de savoir s’il fallait ou non juger Laurent Gbagbo devant la CPI, mais de savoir pourquoi les deux procureurs successifs ne se sont intéressés qu’à un seul camp (celui du vaincu) et à une seule séquence, la crise postélectorale, alors même que la chambre préliminaire les avait autorisés à enquêter sur les deux parties, ainsi que sur la période 2002-2010, presque aussi fertile en crimes de tout acabit. Plus que jamais, pour Fatou Bensouda, le vrai défi est celui de la crédibilité.

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