RDC : des essais cliniques de traitements contre Ebola sans l’approbation d’un comité d’éthique ?

En mai dernier, l’OMS a annoncé qu’une épidémie de la fiève hémorragique Ebola s’est déclarée en République démocratique du Congo (RDC).

Des chasseurs de virus dissèquent des chauves-souris, en novembre 1999 à Durba, en RDC. © Pierre Rollin/AP/SIPA

Des chasseurs de virus dissèquent des chauves-souris, en novembre 1999 à Durba, en RDC. © Pierre Rollin/AP/SIPA

Ege
  • Egide Bula Milung Onion

    Egide Bula Milung Onion est docteur en bioéthique, chercheur et prêtre congolais en ministère pastoral en Italie.

Publié le 11 octobre 2017 Lecture : 7 minutes.

Dans une déclaration lue à la TV publique congolaise, le 12 mai, le ministre congolais de la Santé a confirmé la survenue de la maladie localisée à Nambwa dans la zone de santé rurale de Likati, province du Bas-Uélé, à plus de 1 300 Km de Kinshasa, la capitale du pays. La RDC était ainsi à la 8e épidémie d’Ebola de son histoire depuis la découverte du virus Ebola sur le sol congolais en 1976. La dernière remonte à 2014.

Cette nouvelle apparition d’Ebola en RDC est survenue après l’épidémie de la fièvre hémorragique Ebola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Cette crise sanitaire ouest-africaine d’une ampleur sans précédent a constitué une véritable tempête, une hécatombe ayant causé la mort de milliers de personnes principalement dans trois pays de la région, à savoir la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia. Sur 28 646 personnes infectées et recensées, au moins 11 308 en sont mortes.

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Face à l’urgence sanitaire d’Ebola en RDC, l’OMS a fait savoir qu’il existait un vaccin expérimental prometteur dont les stocks pourraient être acheminés en quelques jours en RDC. En réponse à cette offre, le gouvernement congolais a donné un avis de non-objection autorisant par là la tenue éventuelle des essais cliniques des traitements non homologués anti-Ebola pendant cette épidémie. Après, silence total. Plus rien n’a filtré.

Nous avons appris en juillet dernier à Kinshasa que les essais cliniques sur les traitements non homologués ont effectivement eu lieu au cours du dernier épisode d’Ebola dans la province du Bas-Uélé. Ces essais cliniques ont été mis en route par un consortium de recherche dirigé par des institutions publiques et privées américaines, européennes, japonaises. Quels sont les traitements non homologués qui ont été testés en RDC ? Dans quelles conditions ces essais cliniques ont-ils été menés ? Les approbations réglementaires et éthiques ont-elles été obtenues des instances compétentes du pays comme en Afrique de l’Ouest ?

Les organisateurs de ces essais cliniques et le gouvernement congolais n’ont donné aucune information à ce sujet

Nous ne sommes pas en mesure de répondre à ces questions, parce que les organisateurs de ces essais cliniques et le gouvernement congolais n’ont donné aucune information à ce sujet. En ce qui concerne les approbations réglementaires et éthiques, qu’il nous soit permis de rappeler qu’il existe en RDC un Comité national d’éthique de la santé (CNES), créé en 2006, dont la mission consiste à «orienter les décisions du ministère de la Santé en matière de l’expérimentation et de l’application des progrès des sciences biomédicales », à « informer et conseiller le gouvernement au sujet des progrès accomplis dans les domaines de la santé, de la biotechnologie et de la biologie ».

Outre le CNES, il existe aussi un Comité d’éthique de la recherche (CER) à l’École de santé publique de l’Université de Kinshasa lequel a pour mission d’évaluer les protocoles de recherche impliquant des sujets humains dans le domaine de la santé. Le gouvernement congolais a-t-il saisi ces instances de régulation éthique pour demander leur avis sur l’acceptabilité éthique d’un tel projet de recherche ? Dans sa réponse de non-objection à l’OMS, rien n’indique qu’il a sollicité l’avis de ces comités. Tout porte à croire que l’approbation éthique n’a pas été obtenue. À l’OMS pourtant, ce n’est pas le Comité exécutif qui a décidé d’autorité, mais c’est un comité d’éthique qui a approuvé l’utilisation des traitements et vaccins non homologués dans le cadre de la lutte contre la fièvre hémorragique Ebola.

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L’avis de non-objection du gouvernement est une chose ; c’est une approbation réglementaire, c’est-à-dire une autorisation qu’accorde l’autorité compétente, en l’occurrence le ministère de la Santé, pour la mise en route d’un essai clinique. Tandis que l’avis d’un comité d’éthique en est une autre, c’est une approbation éthique. Celle-ci est accordée par un comité d’éthique compétent après avoir évalué la validité scientifique et l’acceptabilité éthique d’un projet de recherche impliquant des sujets humains. Elle précède toujours l’autorisation de l’autorité compétente. Un gouvernement ne peut pas se substituer à un comité d’éthique, quelle que soit l’urgence à laquelle il doit répondre. C’est la procédure normale à suivre dans un pays respectueux des lois et des institutions. Si en Afrique de l’Ouest, les organisateurs des essais cliniques dans le cadre de l’épidémie d’Ebola ont obtenu les approbations éthiques des pays concernés, pourquoi cela n’a-t-il pas été fait en RDC ?

Puisqu’il en est ainsi, nous dénonçons avec force la violation flagrante des principes et règles de l’éthique de la recherche par les organisateurs de ces essais cliniques et le gouvernement congolais. Nous dénonçons le manque de transparence ou la gestion opaque de ces essais cliniques. Nous demandons aux organisateurs de ce test et au gouvernement congolais, chacun en ce qui le concerne, de rendre compte aux Congolais des conditions dans lesquelles ces essais cliniques ont été menés et des résultats auxquels ils ont abouti.

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Droit de réponse

Joanna Zaina Hakizinka, directeur de cabinet adjoint du ministère de la Santé, tient à apporter la précision suivante :

Le ministère veut d’emblée rassurer la communauté nationale et internationale, plus particulièrement les lecteurs de votre journal, qu’aucun essai thérapeutique ni vaccinal anti Ebola n’a eu lieu en RDC au cours ou en marge de la dernière épidémie de la Maladie à Virus Ebola (MVE).

Rappel des faits

Le ministère de la santé confirme qu’effectivement le 11 Mai 2017, la RDC a connu une épidémie d’Ebola dans la zone de santé de Likati dans la province de Bas-Uele au Nord de la RDC. Cette épidémie avait atteint 8 personnes (confirmées au laboratoire) et occasionné la mort de la moitié d’entre elles.

Heureusement, elle a pu été contrôlée en moins de 60 jours grâce aux mesures de santé publique habituelles soutenues par la grande expertise du personnel soignant de notre pays en matière de gestion des épidémies d’Ebola (la huitième en 40 ans) avec la collaboration et le soutien des agences internationales dont l’Organisation Mondiale de la Santé.

Cependant, depuis la fin de la grosse épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2016, l’utilisation du vaccin Ebola a été intégrée parmi les mesures de lutte contre les épidémies d’Ebola. C’est dans ce cadre-là que, dès les premières heures suivant la déclaration de l’épidémie en RDC, l’OMS ainsi que d’autres agences comme MSF avaient sollicité notre gouvernement pour pourvoir étudier l’éventualité d’utiliser le vaccin rVSV EBOV.

Ce vaccin avait déjà été expérimenté avec succès en Afrique de l’Ouest, comme rapporté dans cet article publié dans « The Lancet » en 2016 (Henao- restrepo et al, 2016). En effet, bien que non encore homologué par l’OMS, ce vaccin avait montré une efficacité suffisante justifiant son utilisation suivant les recommandations du comite stratégique de l’OMS sur l’immunisation.

Étude de faisabilité de l’essai clinique en RDC

En toute responsabilité et après avoir consulté tous ses experts en matière d’Ebola et de vaccination, le ministère de la Santé avait donné son accord de principe et, par la même occasion, avait crée une commission ad hoc réunissant toutes les agences et experts nationaux pour étudier le protocole proposé pour cet essai. Cette commission avait aussi la charge d’étudier les conditions de faisabilité de l’essai en tenant compte de l’évolution de l’épidémie sur le terrain à Likati.

Sur recommandation de cette commission, une approbation éthique a été demandée et obtenue du comité éthique de l’école de santé publique de l’université de Kinshasa sous le Numéro ESP/CE/028/2017 datant du 25 mai 2017. En plus, plusieurs séances de travail ont été organisées à ce sujet avec MSF, l’institution humanitaire en charge de l’implémentation de cet essai, dont une autorité est venue à Kinshasa au courant du mois de juin pour échanger avec la commission de la faisabilité de cet essai.

Cependant, le contrôle très rapide de cette épidémie à Likati, dont la fin a été déclarée le 2 juillet 2017, avait rendu inopportune l’utilisation de cet essai. Ainsi aucune vaccination Ebola n’a eu lieu en RDC comme le spécule sans apporter aucune preuve la tribune publiée sur votre site internet.

Toutefois notre pays a continué à travailler avec l’OMS et les autres partenaires dans le sens de la préparation pour les éventuelles prochaines épidémies pour pouvoir être prêt à recourir à ce nouvel instrument qui désormais fait partie des stratégies de lutte contre la menace Ebola validées par les experts internationaux.

Dans ce cadre, plusieurs autres réunions de préparations et d’échanges ont été organisées sous l’égide soit de MSF (en juillet à Kinshasa), soit de l’OMS (en juin à Yaoundé et en septembre à Genève). De plus, lors de la dernière rencontre à Genève, la RDC, à travers un de ses experts en cette matière, avait présidé la direction de cette importante réunion sur l’utilisation du vaccin Ebola.

Une question de santé publique

Enfin le ministère de la Santé de la RDC s’étonne que votre journal, dont nous reconnaissons le sérieux et la notoriété, puisse publier des informations aussi graves sans avoir eu à recueillir des contre-informations de la part de notre ministère et/ou de ses agences impliquées dans cette activité.

Il se réserve ainsi le droit de poursuivre l’auteur de ces lignes en justice car ces fausses informations portent non seulement atteinte à notre crédibilité et à nos institutions mais aussi sont susceptibles de créer de la suspicion, voire de la résistance, pouvant compromettre nos interventions de Santé publique futures en cette matière.

La Matinale.

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