L’argent des Africains : Issia, technicien en développement rural au Niger – 560 euros par mois

Issia, 25 ans et quatre petits frères à charge, rêve de propager la paix dans le monde. Il nous explique comment il gère son argent au quotidien et nous fait part de ses ambitions en tant qu’employé d’ONG dans son pays, le Niger.

Issia au camp temporaire à Diffa, au Niger. © DR/ Issia Chaibou

Issia au camp temporaire à Diffa, au Niger. © DR/ Issia Chaibou

Publié le 12 octobre 2017 Lecture : 5 minutes.

Issia vit et travaille activement dans les régions frontalières avec le Nigeria, notamment celle de Diffa, particulièrement touchée par les attaques du groupe terroriste nigérian Boko Haram. Ce jeune technicien supérieur en hydraulique est très sensible au contact humain et à la famille, des valeurs qui lui sont d’autant plus chères depuis que ses parents sont décédés, le laissant seul avec ses quatre jeunes frères, dont il doit s’occuper.

Ces derniers ont 18, 15, 12 et 8 ans, et leurs études ne lui coûtent pas grand chose pour le moment. « Heureusement que l’école est gratuite au Niger. Enfin… pour le premier cycle d’études », se console Issia. « Ce sont les études supérieures qui coûtent extrêmement cher. D’ailleurs l’aîné va bientôt partir à l’université. Je me prépare. »

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Loyer : 100 euros par mois

Le Niger est un des pays les plus pauvres du continent. Là où le salaire moyen oscille entre 88,5 et 127,75 euros dans les métropoles et les grandes villes, et où le revenu minimum est de 46 euros, Issia peut se permettre de dire qu’il gagne décemment sa vie, avec 560 euros chaque mois (368 000 F CFA). Et pour cause : le jeune ingénieur travaille depuis deux ans pour une ONG italienne qui mène plusieurs projets dans la région, en collaboration le plus souvent avec d’autres organisations nationales et internationales, dont l’Unicef notamment.

Issia ne vit pas dans la même ville que sa fratrie mais à Diffa, près de son lieu de travail. « Mon appartement me prend environ un cinquième de mon salaire : 100 euros, électricité et eau compris. C’est correct pour un jeune célibataire, tout le monde n’a pas le privilège d’avoir un domicile décent. »

Ses frères, eux, habitent à Maradi, à l’est de Niamey, dans une maison héritée de ses parents. Il leur rend visite une fois par mois. Pour les rejoindre, il doit traverser quasiment tout le sud du Niger, frontalier avec son voisin nigérian, sur quelque 710 km. Les transports, d’ailleurs, constituent un autre poste de dépense important pour Issia : 120 euros par mois pour lui et ses frères.

Si ceux-ci sont encore au collège ou à l’école primaire, lui poursuit ses études – à distance – à l’École nationale agronomique d’Alger, qui lui coûtent annuellement 2 439 euros. Pour pouvoir les payer, il met chaque mois de côté la « petite » somme de 230 euros. Il avait tenté sa chance auparavant à l’Université libre de Tunis, mais « la ville est beaucoup trop chère pour que je puisse y survivre », déplore-t-il. À la fin du mois, lorsque parfois les moyens manquent, il peut compter sur son oncle, qui l’appuie pour les frais de ses études.

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Alimentation : 80 euros

Le jeune homme met un point d’honneur à ne priver ni lui ni ses frères d’une bonne alimentation. Il y consacre mensuellement 80 euros. Quand on lui demande s’il doit rembourser des créances, il dit ne pas en avoir : « J’essaie de vivre le plus simplement possible, et puis de faire profiter mes petits frères de l’argent que je perçois. »

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Issia travaille tous les jours sur le terrain, jusqu’à 17h. À Diffa, il est au contact permanent avec des réfugiés, des déplacés et des « retournés » (des Nigériens qui vivaient au Nigeria et qui ont été rapatriés dans leur pays natal afin de les protéger des attaques destructrices, sinon mortelles, de Boko Haram). Les gouvernements nigérian et nigérien préfèrent déplacer les habitants des villages frontaliers vers le Niger, ce qui fait que bon nombre de familles, de personnes isolées et d’enfants désormais orphelins se retrouvent dans les camps ou les sites temporaires de Diffa.

En cet après-midi d’octobre, Issia achève la première journée d’une campagne de sensibilisation aux règles d’hygiène. « Beaucoup de maladies sont liées à de mauvaises pratiques. Le choléra ou l’hépatite se propagent rapidement si l’on ne sait pas optimiser l’espace et les moyens précaires mis à la disposition du site. Il est vrai que l’environnement hostile, non-aménagé, n’est d’aucune aide », explique le jeune ingénieur. Quelques jours auparavant, une Assemblée générale s’est tenue avec des « villageois » du camp sur les problématiques en relation avec l’eau : le lavage, l’assainissement et les conséquences d’une mauvaise gestion des ressources.

Issia au camp temporaire à Diffa, au Niger. © DR/ Issia Chaibou

Issia au camp temporaire à Diffa, au Niger. © DR/ Issia Chaibou

Issia contribue aussi aux « activités régénératrices ». Ce sont des projets agricoles dans le cadre desquels les techniciens de l’ONG apportent leur savoir technique aux villageois afin d’assurer un meilleur rendement, avec les moyens du bord et sans recourir à des outils ou des produits qui leur coûteraient cher et menaceraient l’environnement. « Ils en ont besoin, qu’ils soient agriculteurs de métier ou non, pour survivre dans leur nouvelle vie », explique-t-il.

Régulièrement, le village de réfugiés accueille de nouvelles familles victimes de Boko Haram. « Sept sur dix que nous accueillons », précise Issia. Au camp, on entend souvent des explosions, de l’autre côté de la frontière. « Je n’ai pas encore l’habitude des détonations, mais il faut faire avec et évacuer les populations de leurs villages complètement déserts. »

Des conditions de travail d’autant plus compliquées que les humanitaires savent « que les terroristes peuvent se trouver parmi les réfugiés. C’est très délicat de les localiser sans se trahir. On ne peut pas non plus se mettre n’importe où et avec n’importe qui », explique Issia.

 © DR/ Issia Chaibou

© DR/ Issia Chaibou

Le jeune homme estime qu’il faut de grandes capacités communicationnelles pour réussir à bien intégrer les nouveaux arrivants et les réfugiés égarés.

Aller-retour Niamey-Alger : 347 euros

Dans quelques années, il se voit bien travailler pour l’UN Water, la branche des Nations unies qui s’occupe des questions d’eau douce et d’assainissement dans le monde. Il aimerait être embauché comme technicien supérieur en hydraulique et devenir consultant international pour l’organisation.

Mais avant cela, il doit mener ses études à leur terme. Ces temps-ci il se rend régulièrement au Consulat d’Algérie à Niamey pour ses examens. Il devra passer les épreuves finales à Alger, et pour cela doit mettre quelque centaine d’euros de côté chaque mois pour payer le voyage, un vol aller-retour Niamey-Alger parmi les moins chers, coûtant tout de même 347 euros…

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