« Bisougate » en Tunisie : le couple arrêté pour un baiser dans une voiture condamné en appel

Quatre mois de prison ferme pour lui, deux mois pour elle. Le 18 octobre, le tribunal de Tunis a légèrement réduit en appel les peines de l’homme et de la femme impliqués dans l’affaire dite « du baiser », sans les faire bénéficier d’un sursis.

Vue de Gammarth, au nord de Tunis. © CC Citizen59

Vue de Gammarth, au nord de Tunis. © CC Citizen59

Publié le 19 octobre 2017 Lecture : 2 minutes.

Le 6 octobre dernier, Nessim Ouadi, un Franco-Algérien, et son amie tunisienne ont été surpris par la police alors qu’ils échangeaient en pleine nuit un baiser dans une voiture garée sous un arbre en retrait de la route touristique de Gammarth, au nord-est de Tunis. Conduits au poste, ils ont été interrogés et auraient été relâchés si Nessim, scandalisé par le ton musclé des policiers, n’avait pas menacé de référer de l’incident à son ambassade et réclamé les matricules des agents.

Ils ont aussitôt été appréhendés, accusés d’« outrage à agent », d’« atteinte aux bonnes mœurs» et d’« état d’ébriété sur la voie publique » et déférés au parquet qui les a condamnés à quatre mois et 15 jours de prison ferme pour Nessim et trois mois pour sa compagne.

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Vices de procédure

Ce type d’affaire est très courant en Tunisie mais est le plus souvent passé sous silence, car les citoyens concernés ignorent souvent leurs droits et se laissent aisément impressionner par la machine policière et judiciaire.

Dans l’affaire dite « du baiser », s’il est un coupable, c’est bien la police, qui n’a respecté aucune des procédures en vigueur car elle n’a pas informé les prévenus de leurs droits. Ils pouvaient en effet être assistés d’un avocat dès le début de leur garde à vue, contacter un de leurs proches et consulter un médecin.

L’indépendance de la justice a bon dos quand on a une telle sentence », assène une jeune femme présente au tribunal

En outre, le dossier était truffé de discordances, de documents portant sur des affaires antérieures à celle-ci. En dépit de tous ces points soulignés par les plaidoiries de neuf avocats, les deux magistrats conduits par le juge Sofien Ben Seddek ont abondé dans le sens de la police. Ils ont estimé que les procès-verbaux produits étaient une preuve suffisante.

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Une attitude récurrente de la justice tunisienne qui, le plus souvent, statue à charge contre l’accusé et ne tient pas compte des arguments de la défense. Selon la jurisprudence, avec des casiers judiciaires vierges, les inculpés auraient dû écoper de peines avec sursis et éventuellement d’une amende.

Retour en arrière

Beaucoup de Tunisiens, qui demandaient la réforme de la justice et de la police depuis la chute de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali en 2011, constatent avec amertume que rien n’a changé.

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« On savait que la justice était corrompue, qu’elle était de connivence avec la police, mais elles restent intouchables et font corps. La sacro-sainte indépendance de la justice a bon dos quand on a une telle sentence », assène, révoltée, une jeune femme présente au tribunal.

L’affaire a eu l’effet d’un électrochoc pour beaucoup de Tunisiens. Il leur semble être revenus en arrière. Les dépassements de la police, les archaïsmes de la justice érodent la confiance des citoyens qui doutent de la volonté des autorités à respecter les droits humains et à mettre en place une démocratie : « La société civile va devoir œuvrer pour colmater ce fossé », affirme l’avocate et députée Bochra Belhaj Hamida.

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