Maroc – Afrique : toute une histoire
En annonçant, le 13 octobre, dans son discours devant le Parlement la création prochaine d’un ministère des Affaires africaines rattaché au portefeuille des Affaires étrangères, et donc directement sous sa tutelle, Mohammed VI a réveillé de vieux souvenirs.
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Nadia Lamlili
Nadia Lamlili est responsable de la zone Maghreb/Moyen-Orient sur le site de Jeune Afrique. Elle est en particulier spécialiste du Maroc.
Publié le 2 novembre 2017 Lecture : 3 minutes.
Maroc : Africa first
Entre la réforme de l’Union africaine, qu’il a rejointe en janvier, son adhésion à la Cedeao, qui devrait être entérinée à la mi-décembre, et les partenariats qu’il a engagés, le royaume va devoir relever de nouveaux défis sur le continent.
Ce n’est pas la première fois que le roi exprime cette fibre panafricaniste teintée de méfiance à l’égard des ingérences occidentales devenue, depuis quelques années, un leitmotiv dans ses discours. Tout comme ce n’est pas la première fois que le royaume décide de se doter d’un ministère tourné vers le continent.
Création du ministère des affaires étrangères africaines
Nous sommes le 2 juin 1961. Quelques mois après son accession au trône, Hassan II crée un ministère des Affaires africaines, qu’il confie à Abdelkrim El Khatib (médecin de formation décédé en 2008), figure nationaliste, grand connaisseur des mouvements de libération africains, doublé d’un fin diplomate – et celui qui, quelques décennies plus tard, allait aider les islamistes marocains à sortir de la clandestinité et à créer un parti politique officiel, le PJD.
Le docteur El Khatib a joué un rôle important dans le rapprochement entre Hassan II et Nelson Mandela, le leader sud-africain. En visite au Maroc en 1962, le père de la nation Arc-en-Ciel aurait même obtenu de Rabat la livraison d’armes pour soutenir le combat de l’ANC. Pour autant, en créant un ministère africain en cette période fragile postindépendance, Hassan II n’exprimait pas une franche adhésion aux mouvements de libération.
Hassan II voulait éviter une coupure radicale avec le legs de son père, héros des indépendances et activiste anti-impérialiste reconnu sur le continent
Se sentant menacé par leur virage socialiste et sur fond d’indépendance de la Mauritanie (ex-colonie française anciennement revendiquée par le Maroc), le monarque ne tardera pas à prendre le contre-pied de ses pairs africains. Pourquoi, alors, créer un tel ministère ? En réalité, Hassan II voulait éviter une coupure radicale avec le legs de son père, héros des indépendances et activiste anti-impérialiste reconnu sur le continent. En même temps, c’était une fleur qu’il voulait accorder au parti nationaliste de l’Istiqlal, fortement enraciné en Afrique et avec qui il était appelé à coexister.
Mohammed VI renoue avec l’histoire
Dans son allocution du 13 octobre, Mohammed VI renoue donc avec l’histoire et rappelle le lien viscéral qui unissait son grand-père, Mohammed V, aux pays africains. En 1960, le royaume a participé à la première opération de maintien de la paix au Congo belge (actuelle RD Congo). À cette époque, Mohammed V, s’érigeant contre le colonisateur, avait nettement pris position en faveur de l’indépendantiste Patrice Lumumba, père de la nation congolaise, assassiné en janvier 1961 (son successeur, Mobutu, deviendra l’allié de Hassan II).
La même année, après l’échec de l’opération onusienne de maintien de la paix au Congo, Mohammed V convoque la Conférence de Casablanca. Parmi les présidents invités : le Ghanéen Kwame Nkrumah, l’Égyptien Abdel Nasser, le Malien Modibo Keita et le Guinéen Sékou Touré. L’Algérie est représentée par Ferhat Abbas, chef du gouvernement provisoire de la République algérienne, et la Libye par Abdelkader Allam, représentant personnel d’Idris Ier.
Mohammed VI a décidé de recouvrer la légitimité africaine de son pays, tout en gardant le discours engagé de son grand-père, en l’adaptant aux enjeux d’aujourd’hui et de demain
À la fin des travaux, une charte africaine, « anticolonialiste, anti-ségrégation raciale, anti-essais nucléaires », est adoptée. Et les jalons de l’avènement, en 1963, de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) sont posés – institution de laquelle le Maroc se retirera avec fracas vingt et un ans plus tard en raison de l’admission de la RASD. La suite, on la connaît.
Retour au sein de l’UA
Aujourd’hui, les différends du passé ont cédé la place au pragmatisme. En janvier 2017, le royaume a réintégré « sa maison africaine », même si la RASD en est encore membre. Mohammed VI a décidé de recouvrer la légitimité africaine de son pays, tout en gardant le discours engagé de son grand-père, en l’adaptant aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Nous ne sommes plus dans l’Afrique des idéologies, du colonialisme ou de la guerre froide. Ses nouveaux défis, comme le roi l’a exprimé plusieurs fois, sont le codéveloppement et la prise en charge de son destin. Telle sera la feuille de route du ministère marocain des Affaires africaines.
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Maroc : Africa first
Entre la réforme de l’Union africaine, qu’il a rejointe en janvier, son adhésion à la Cedeao, qui devrait être entérinée à la mi-décembre, et les partenariats qu’il a engagés, le royaume va devoir relever de nouveaux défis sur le continent.
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