À trop fêter leur prospérité retrouvée, certains États se réveillent avec une solide gueule de bois
Tribune co-rédigée par Jean-Laurent Pyndiah, économiste.
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Amaury De Féligonde
Ancien de McKinsey et de l’AFD, associé d’Okan, société de conseil en stratégie et en finance dédiée à l’Afrique.
Publié le 24 octobre 2017 Lecture : 4 minutes.
Tout voyageur se rendant en Afrique voit un continent en chantier, où se croisent pelleteuses, camions et ouvriers casqués – locaux ou chinois !
Tunis n’en finit pas d’étendre ses quartiers. L’Éthiopie finalise son pharaonique « barrage de la Renaissance » à coups de de béton. Le Sénégal bâtit sa ville nouvelle de Diamniadio…
Selon les Nations unies, pour réaliser ses objectifs de développement, l’Afrique aurait besoin d’environ 1 000 milliards de dollars d’investissement par an. Les ressources budgétaires demeurant limitées, la dette publique est souvent plébiscitée, en Afrique comme dans le reste du monde.
Le FMI a repris ses missions sur le continent. Congo, Zambie et Mozambique ont commencé à goûter ses potions amères
Pourtant, dans un contexte de baisse des cours des matières premières et de croissance décevante (1,5% en moyenne en 2016), le spectre d’une dette écrasante revient hanter l’Afrique Sub-saharienne : le FMI a repris ses missions sur le continent, dans plus d’une vingtaine de pays. Le Congo, la Zambie, le Mozambique ont commencé à goûter ses potions amères.
Du continent perdu à la dernière frontière
L’Afrique était pourtant bien partie au début des années 2000, avec une dette largement annulée par l’initiative PPTE (Initiative des pays pauvres très endettés, lancée en 1996 par la Banque mondiale et le FMI avec pour objectif affiché une réduction de la pauvreté par la réduction de la dette des États concernés, NDLR) et une croissance satisfaisante (6% l’an) tirée par l’apparition de classes moyennes et les matières premières.
Le contexte politique assaini couronnait le tout et conduisait The Economist ou McKinsey à présenter l’Afrique non plus comme « the lost continent » (le continent perdu), mais comme la « dernière frontière » pour les investisseurs internationaux.
À trop fêter leur prospérité retrouvée, beaucoup d’États africains se réveillent avec une solide gueule de bois
Malheureusement, après avoir bien fêté leur prospérité retrouvée, à coups de « programmes émergents » et de « renaissance africaine », beaucoup de pays d’Afrique se réveillent avec une solide gueule de bois.
Euphorie d’investissements improductifs
Trop d’États ont été pris dans une euphorie d’investissements souvent improductifs. Mégacités angolaises financées par des prêts chinois et demeurées vides ; hôpitaux publics et autoroutes surdimensionnés bâtis en Guinée équatoriale… Des projets propices à des « taux d’évaporation » hors norme : l’ancienne ministre des hydrocarbures au Nigeria est accusée d’avoir détourné des centaines de millions de dollars, comme l’entourage du Président de Guinée équatoriale ou de Jacob Zuma.
Qui n’a point d’argent dans la bourse doit avoir du miel dans la bouche
Se sont ajoutées des opérations de maquillage des finances publiques. « Qui n’a point d’argent dans la bourse doit avoir du miel dans la bouche » : il semble que les autorités du Congo n’aient pas réussi à convaincre les fonctionnaires du FMI. Elles ont dû faire amende honorable après avoir révélé que l’endettement du pays n’était pas de 80% du PIB, mais de 120%, du fait de prêts de la Chine ou de traders, gagés sur le pétrole et non budgétés.
Même chose au Mozambique où l’endettement a quadruplé en dix ans, atteignant 120% du PIB, dans des conditions opaques (affaire des « tuna bonds »), suscitant l’ire de partenaires internationaux.
Aucune malédiction africaine ne peut être invoquée, certains pays présentant une dette publique raisonnable (inférieure à 55%), notamment la Côte d’Ivoire – gérée par un ancien haut fonctionnaire du FMI ! -, le Nigeria, le Kenya. Des outils connus permettent de poser les bases de finances publiques saines.
Des outils pour des finances publiques saines
Premièrement, la diversification économique permet de générer des ressources fiscales additionnelles et d’échapper à la « malédiction des commodités » : le Kenya a fait émerger les secteurs de l’horticulture et du tourisme (1 milliard de dollars de recettes chacun) et des services financiers, contrairement aux pays mono-producteurs d’hydrocarbures (Angola, Gabon, Algérie).
Deuxièmement, la promotion d’institutions financières locales fortes, notamment les fonds de pension – puissants en Afrique du Sud, et dans une moindre mesure au Nigeria, au Kenya, au Ghana – permet de disposer de ressources longues, en monnaie locale et de moins dépendre des investisseurs internationaux plus volatiles, voire de certains « fonds vautours ».
Troisièmement, la mise en place de projets en PPP permet, tout en évitant de laisser la main totalement libre au privé, de financer des projets d’infrastructure lourds, à moindre coût, en bénéficiant d’une gestion a priori efficace.
L’autoroute à péage du Sénégal, le secteur de l’énergie en Côte d’Ivoire ou encore le partenariat Olam – Gabon font figures d’exemples.
La dette, un instrument de domination
Quatrièmement, la plupart des États disposent de marges de manœuvre massives en matière d’augmentation des recettes fiscales : celles du Nigeria représentent 7% du PIB seulement, contre 18% au Kenya et 25% en l’Afrique du Sud.
La dette a été un puissant instrument de domination au long de l’histoire : la Tunisie fut mise sous protectorat en 1881 faute de pouvoir rembourser sa dette extérieure, et la Grèce a dû passer sous la tutelle de la « troïka » plus récemment.
Il appartient aux dirigeants africains et à leurs « grands argentiers » de faire usage de prudence et de détermination, afin que l’avenir du continent ne soit pas décidé à Washington, Paris ou Pékin, mais bien à Abidjan, Nairobi ou Maputo.
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