Grève des avocats en Guinée : « Le barreau ne peut plus fermer les yeux sur les violations de la loi »
Les avocats guinéens sont en grève depuis mardi pour une période de dix jours. Ils affirment être victimes de brimades et violences dans certains postes de police et dénoncent un système de corruption. Le bâtonnier de l’Ordre national des avocats, Me Mohamed Traoré, explique les raisons de ce mouvement à Jeune Afrique.
Pendant dix jours, les avocats ne revêtiront pas la robe et ne plaideront pas en Guinée. Ils veulent « attirer l’attention des citoyens et des autorités » sur le fait qu’ils ne se sentent plus en capacité d’assurer leurs missions de défense des prévenus. En cause : brimades, harcèlement et même des violences dont ils seraient l’objet dans les postes de police.
Me Mohamed Traoré, bâtonnier de l’Ordre national des avocats, dénonce également un système de corruption et de prévarication à l’œuvre au sein du corps des officiers de police judiciaire, avec des ramifications jusque dans les parquets. Il affirme avoir les preuves de ces accusations.
Jeune Afrique : Pourquoi les avocats ont-ils décidé de boycotter les audiences ?
Me Mohamed Traoré : C’est pour attirer l’attention des citoyens et des autorités sur les difficultés que nous rencontrons dans l’exercice de notre profession. La Constitution permet à tout citoyen de recourir, dès son interpellation à l’assistance d’un avocat. Le nouveau code de procédure pénale renforce ce droit en précisant les attributions de l’avocat lors de l’enquête préliminaire ou celle de flagrance.
Le fond du problème est que des OPJ ne veulent pas que les avocats soient témoins des violations graves de la loi
C’est en accomplissant cette mission que les avocats se rendent dans les services de police judiciaire où, force est de constater, ils sont confrontés à des tracasseries, des brimades et même parfois de violences.
J’ai reçu ces derniers temps plusieurs plaintes des confrères victimes de tel ou tel comportement désagréable des officiers de police judiciaire (OPJ) qui les empêchent de jouir pleinement de leurs prérogatives. Le fond du problème est que des OPJ, au moins certains d’entre eux, ne veulent pas que les avocats soient témoins des violations graves de la loi.
Légalement, la police judiciaire est compétente en matière pénale : constater les infractions, rassembler les preuves et livrer les auteurs aux tribunaux chargés de les juger. On constate qu’elle se saisit de toutes sortes d’affaires : commerciale, civile, droit du travail…Et ce n’est pas par ignorance. Ils ne veulent pas que les avocats alertent la justice sur les cas de violation de la loi.
Ils soumettent les citoyens à toutes sortes de pressions pour avoir de l’argent
Ne pourrait-il pas s’agir d’un problème de compétence, pour certains de ces officiers ?
N’exercent les fonctions de police judiciaires que policiers qui ont une habilitation délivrée par le procureur général. Je ne pense pas que le procureur la délivre à n’importe qui. Je pense que les OPJ sont suffisamment formés pour connaître les limites de leurs attributions.
La réalité, c’est qu’ils soumettent les citoyens qui les saisissent à toutes sortes de pressions pour avoir de l’argent. Ils prélèvent des pourcentages alors qu’ils ne sont pas des agents de recouvrement.
Pouvez-vous être plus précis ?
Par exemple : un contrat de prêt ne relève pas, de par sa nature, de la compétence de la police judiciaire. Mais, étant donné que les procédures judiciaires sont longues, certains créanciers traînent leurs débiteurs devant l’OPJ qui menace alors de les priver de liberté.
Tant qu’ils ne paient pas, ils ne bougent pas. Et les gens ont peur de l’humiliation. Souvent c’est la famille qui se mobilise pour venir payer la dette. Les officiers de police prélèvent alors 10 % sur le montant et font aussi payer le débiteur…
En fin de compte, ils perçoivent 20% de la somme due, alors la loi prévoit un prélèvement de 12 % du montant lorsque le recouvrement est effectué par un huissier. Il n’y a aucune disposition légale qui autorise à l’OPJ à recouvrer des montants.
En cas de manquement, notre seul recours est de saisir les procureurs. Mais nous constatons que certains d’entre eux ont du mal à se faire obéir par les OPJ. Il y a une certaine impuissance, et aussi une indifférence des procureurs.
Pire, il y a une complicité entre certains parquetiers et des OPJ. Je pense que c’est même l’origine de cette désobéissance : quand vous êtes dans une combine avec quelqu’un, il vous est difficile d’exercer une quelconque autorité sur lui.
Ce sont des faits avérés. Les avocats dénonciateurs n’hésiteront pas à citer des noms
Pour vous, cet argent illégalement prélevé profiterait donc également aux procureurs ?
C’est cela ! Au cours de notre assemblée générale de ce mardi 24 octobre, il a été révélé que des parquetiers demandent aux OPJ de garder des gens jusqu’à ce qu’ils s’acquittent des 10 %.
Il s’agit d’accusations lourdes. Avez-vous des preuves ?
Ce sont des faits avérés. Les avocats dénonciateurs de ces cas disent qu’ils n’hésiteront pas à citer des noms. Ce sont des accusations suffisamment graves, pour que l’on ne les lance pas à la légère.
Concernant le harcèlement et les violences dont vous affirmez que les avocats sont victimes dans les postes de police, quelles formes revêtent-elles ?
Il y a des insultes du genre : vous êtes des faux avocats, des malhonnêtes, des complices des malfaiteurs. Vous transformez le mensonge en vérité et vice-versa. Des phrases comme « on s’en fout des avocats »…
Et on va jusqu’à porter la main sur les avocats. Le cas le plus récent, c’est celui de notre confrère Me Amadou Bah, qui a reçu des coups dans l’un des services de la sécurité routière de Conakry, alors qu’il assistait l’un de ses clients. Ça n’en finit pas.
Pourquoi seuls les avocats sont en grève alors que, d’après votre explication, les OPJ violent aussi les attributions des huissiers ?
Il y a des services de police où les avocats n’osent pas mettre le pied, de peur d’être humiliés, violentés. Nous avons des noms que nous donnerons la prochaine fois que l’on aura une rencontre avec les parquets et les services de police judiciaire, pour que chacun sache ce que fait l’autre.
Le barreau ne peut plus fermer les yeux sur les violations de la loi, même s’il ne faut pas jeter l’anathème sur tout le monde. Certains font correctement leur travail.
Qu’espérez-vous obtenir avec cette grève ? Jusqu’où pensez-vous aller avec ce mouvement ?
C’est une alerte, un signal que nous envoyons aux autorités du pays pour que ces officiers de police judiciaire qui se conduisent mal – malheureusement ce sont les plus nombreux – soient rappelés à l’ordre.
Nous ne sommes pas adversaires, mais complémentaires. Nous avons défendu des officiers supérieurs de l’armée mis en cause dans des procès. L’avocat est le premier défenseur des libertés individuelles, de la loi.
S’ils veulent que nous renoncions à nos droits, à nos attributions ou qu’ils entendent faire de leurs services des zones de non droit où aucun avocat ou magistrat n’a accès, nous ne l’accepterons pas.
Notre boycott a pour objectif d’amener le parquet général à ressortir les dossiers qui contiennent des plaintes contre les OPJ. Nous ne demandons pas absolument des condamnations, mais que les procédures suivent leur cours normal, jusqu’à leur aboutissement.
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