Épidémie de peste à Madagascar : « La situation semble s’améliorer », juge l’Institut Pasteur
Bien qu’endémique sur la Grande Île, l’épidémie de peste a pris cette année une ampleur inattendue. D’après les autorités, elle a tué au moins 124 personnes depuis la fin du mois d’août. Le point avec André Spiegel, directeur de l’Institut Pasteur de Madagascar.
Jeune Afrique : L’épidémie de peste est-elle en régression sur l’île, comme l’affirment les autorités malgaches ?
André Spiegel : C’est toujours compliqué de se prononcer. Mais il s’avère que les chiffres sont meilleurs depuis le 20 octobre. On enregistre par exemple moins d’hospitalisations ces derniers jours. Cela n’empêche pas de rester vigilant, car cette épidémie est bien plus importante que les années précédentes. Quelques chiffres : les autorités malgaches évoquent d’ores et déjà plus de 1 000 cas cette année ; ils n’étaient « que » 321 en 2015 et 283 en 2016.
Comment s’explique cette hausse par rapport aux années précédentes ?
D’ordinaire, la saison pesteuse sur l’île court d’octobre à avril. Cette année, l’épidémie s’est déclarée plus tôt, avec une première personne décédée le 28 août. Celle-ci est tombée malade à Ankazobe, dans le centre du pays, avant de tenter de rejoindre en taxi brousse Tamatave, sur la côte est de l’île. Mais il est mort en cours de route, aux environs de Moramanga. Entre-temps, il a pu contaminer d’autres personnes, notamment en milieu urbain.
C’est d’ailleurs l’une des particularités de cette épidémie : elle touche principalement les deux grandes villes d’Antananarivo et de Toamasina, où il existe par définition une forte concentration humaine. La capitale Antananarivo compte près de 2 millions d’habitants, ce qui multiplie les possibilités de contamination.
On dit également que cette épidémie de peste est davantage de forme pulmonaire. Qu’est-ce que cela signifie ?
Il existe deux formes de la peste : l’une est bubonique, l’autre est pulmonaire. La première est transmise à l’homme par les piqûres des puces présentes chez les rongeurs, notamment les rats. En termes de symptômes, elle se traduit par de la fièvre et une inflammation des ganglions, qui peuvent suppurer. Si rien n’est fait, la mort survient en l’espace de quatre à cinq jours, après que l’infection s’est transformée en septicémie.
Contrairement à la forme bubonique, la peste pulmonaire est contagieuse et se transmet directement d’homme à homme par voie aérienne, par les gouttelettes émises lors de la toux, un peu à à la manière d’une grippe. Sa létalité est bien plus importante. En règle générale, le patient décède en moins de 24 heures s’il n’est pas traité, après avoir présenté une fièvre élevée, des douleurs thoraciques, et des crachats sanguinolents. Pour cette épidémie, nos données montrent qu’environ 7 cas sur 10 présentent une forme pulmonaire de la peste. C’est bien plus qu’en 2016 (seulement 12 %) ou en 2015 (32 %).
On évoque également le problème de la cérémonie de « retournement des morts », qui contribuerait à la dissémination de la maladie. Ces craintes sont-elles fondées ?
Le problème actuel n’est pas celui lié à cette cérémonie qui survient plusieurs mois après le décès. Il s’agit aujourd’hui du risque que peut présenter la dépouille mortelle possiblement contaminée par des liquides biologiques, qui peut être une source de contamination lors des rites funéraires. Les autorités malgaches ont interdit de transférer la dépouille d’une personne morte de la peste dans le caveau familial, ce qui a quelquefois suscité la colère des proches. Un protocole de désinfection des cadavres est en cours d’élaboration par l’Organisation mondiale de la Santé, mais sa mise en œuvre n’a pas à ma connaissance encore débuté.
De quels moyens dispose-t-on pour lutter contre la maladie ?
D’abord, il convient de préciser que la peste est une maladie qui se soigne par l’administration d’antibiotiques. Nos études en laboratoire sur les souches isolées au cours de cette épidémie prouvent qu’elles sont sensibles aux antibiotiques habituellement utilisés pour traiter la peste. Seul problème : certains patients attendent quelquefois trop longtemps avant d’aller consulter un médecin, car la peste apparaît encore parfois comme une maladie stigmatisante. En cas de symptômes, comme la toux ou la fièvre, il faut pourtant se rendre immédiatement dans l’un des centres de traitement de la peste dans les grandes villes.
Là, un test de diagnostic rapide fourni par l’Institut Pasteur de Madagascar sera réalisé. En cas de suspicion clinique de la peste, confirmée ou non biologiquement, le malade sera isolé et traité avec des antibiotiques. Son entourage doit également recevoir un traitement préventif. Grâce à la mobilisation de l’OMS et de l’Unicef, il existe suffisamment de stocks de médicaments pour gérer un nombre important de malades.
C’est vraiment le message clef : la population doit consulter en cas de symptômes évoquant la peste. Sans céder à la panique, il vaut mieux éviter les endroits avec une très forte concentration humaine. Personnellement, je continue mes déplacements selon mes habitudes… et je suis bien portant !
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