Burkina Faso : trois ans après l’insurrection contre Blaise Compaoré, ils témoignent

Quatre jeunes racontent comment ils ont vécu les événements qui ont conduit à la chute de Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, et confient leurs impressions sur la situation politique actuelle du pays.

L’Assemblée nationale prise d’assaut par des manifestants avant le vote des députés le 30 octobre 2014. © Theo Renaut/AP/SIPA

L’Assemblée nationale prise d’assaut par des manifestants avant le vote des députés le 30 octobre 2014. © Theo Renaut/AP/SIPA

Aïssatou Diallo.

Publié le 31 octobre 2017 Lecture : 6 minutes.

Cendrine Nama, aujourd’hui entrepreneuse, estime que c’était son devoir de sortir manifester son opposition à la modification de la Constitution burkinabè en octobre 2014. Aziz Sana, lui, est devenu député au Conseil national de la Transition. Serge Bayala, étudiant à l’époque, a contribué à la mobilisation de ses camarades, tandis qu’Alpha Yago œuvrait dans l’autre camp en tant que secrétaire national adjoint chargé du mouvement associatif et des organisations de la société civile au CDP, alors au pouvoir.

Ces jeunes Burkinabè ont vécu l’insurrection populaire de manières différentes. Trois ans après, ils racontent.

 © S.B.

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Serge Bayala, 25 ans, étudiant en Master de littérature africaine

« Je suis membre du Balai citoyen et fondateur de « Deux heures pour nous, deux heures pour l’Afrique », un cercle de débat au sein de l’Université de Ouagadougou. Nous avons joué un rôle de conscientisation et, au fil des événements, cela nous a conduits sur le terrain de l’action. Nous avons prouvé aux yeux de l’humanité, et à tous ceux qui pensaient que les kalachnikovs pouvaient protéger des palais, qu’avec les générations actuelles cela était terminé. Si c’est un motif de satisfaction, aujourd’hui, les choses n’ont pas profondément changé. J’étais étudiant en 2014 et je le suis toujours. Les retards académiques que nous connaissions sous l’ère Compaoré sont les mêmes aujourd’hui. Je suis conscient que les changements structurels ne se font pas en un an, deux ni même en cinq ans. Mais en peu de temps, on peut déjà donner les signaux d’un État qui veut aller de l’avant.

Avec des camarades, nous avions barré la voie d’accès au village du président, non loin de la cité universitaire de Kossodo. C’était un pont que tout le monde était obligé d’emprunter.

Puis, le chef d’un convoi de l’armée est venu nous voir pour nous demander de lever les barrières sous prétexte de troubles à l’ordre public. Je lui ai répondu que c’étaient plutôt ceux qui barricadaient la présidence depuis 27 ans qui créaient le désordre. Nous n’avions fait que bloquer la voie quelques heures. Il a ri. Puis il a sorti 2 000 francs CFA de sa poche qu’il m’a remis pour  acheter de l’eau. Il a dit que c’était leur contribution au combat, qu’ils soutenaient et auquel ils allaient bientôt participer. Le temps lui a donné raison… Réaliser que les ‘corps habillés’, que l’on craignait tant, étaient des alliés de la grogne qui montait contre Blaise Compaoré… cela m’a marqué.

 © A.S.

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A.S.

Aziz Sana, 37 ans, chargé des programmes de coopération au ministère de l’Économie et des Finances

« Nous avions une conviction : toute bonne démocratie doit se faire dans l’alternance. Avec quelques camarades, nous avons créé, en 2013, le mouvement “Ça suffit” pour empêcher la modification de l’article 37 de la Constitution qui aurait permis à Blaise Compaoré de se présenter à une nouvelle élection.

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Tout s’est accéléré à partir du 21 octobre 2014, lorsque sept mouvements, dont le nôtre, ont appelé à la désobéissance civile. Quelques jours plus tard, dans un communiqué, nous avons prévenu que s’il y avait un seul mort parmi les manifestants, notre objectif ne serait plus le retrait de la loi mais le départ du Président. Je manifestais sur l’avenue Charles de Gaulle, du côté de l’Université. Et sur cette avenue, nous avons été témoins de plusieurs morts. Nous ne connaissions pas toutes les victimes mais nous nous sentions responsables de l’ensemble des martyrs.

Après l’insurrection, je suis devenu député au Conseil national de la transition pour la société civile. Nous avons mené beaucoup de réformes sur le plan judiciaire. Nous avons verrouillé l’article 37 de la Constitution : il n’est plus possible pour un président de briguer plus de deux mandats. Aussi, les candidatures indépendantes sont désormais admises à toutes les élections et nous avons réussi à pénaliser l’utilisation des gadgets lors des campagnes électorales. Nous avons osé. Pendant la Transition, les sondages ont montré que nos actions étaient populaires à presque 80%.

J’ai ensuite retrouvé le ministère de l’Économie en tant que chargé de programmes de coopération après la Transition. Sur mon temps libre, je continue de mener des actions citoyennes.

Aujourd’hui, on sent que le gouvernement fait des efforts afin que ceux qui gèrent mal les deniers publics répondent devant la justice. Mais trois ans après l’insurrection, la justice n’arrive toujours pas à satisfaire le peuple sur les grands dossiers : Norbert Zongo, Thomas Sankara, le putsch… »

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A.Y.

Alpha Yago, 42 ans, responsable d’une agence de communication

« Je refuse de qualifier ces événements d’insurrection. À cette période, j’étais secrétaire national adjoint, chargé du mouvement associatif et des organisations de la société civile au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Je remplace désormais François Comparoé en tant que titulaire.

Nous étions dans une logique républicaine : un vote à l’Assemblée nationale, voire un référendum afin que le peuple puisse se prononcer. Mais l’opposition, et notamment son aile extrémiste, était dans une logique insurrectionnelle. C’était extrêmement violent ! Près d’une trentaine de personnes sont décédées. Plus de 400 domiciles privés ont été brûlés.

Mon bureau a été pillé et incendié. Mon domicile à Bobo Dioulasso a été pillé également. J’ai été victime de menaces par téléphone. C’était la tyrannie de l’opposition sur la majorité avec comme fil conducteur la violence. Mais Blaise et le CDP n’ont pas voulu que la jeunesse du parti réagisse violemment. Avec le recul, on se dit que c’était la meilleure chose à faire.

L’année de la Transition a ensuite été un régime d’exception. Les membres et dignitaires de l’ex-majorité n’étaient pas sur un pied d’égalité avec les autres citoyens burkinabè. J’ai été interpellé à trois reprises pour « activisme politique débordant » parce que je tenais des réunions avec des associations et des militants du parti. Le CDP a été victime d’une suspension abusive ne reposant sur aucune base légale.

À l’heure actuelle, nous effectuons un travail d’écoute des populations pour tirer des enseignements des événements passés et mieux répondre aux aspirations des populations. Nous pensons que le CDP a encore un rôle important à jouer.

Il est bon que l’opinion dispose désormais d’un point de comparaison, entre la gouvernance sous le CDP et celle du MPP qui est encore plus décriée. »

 © C.N.

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C.N.

Cendrine Nama, 31 ans, entrepreneuse et consultante en développement communautaire

« Beaucoup de gens ont pensé que nous étions drogués (rires). Mais c’est au matin du 30 octobre que j’ai vraiment eu peur. Quand je me suis réveillée, j’ai eu froid dans le dos. Pour la première fois, en voyant les préparatifs – CRS, barrages…- ,  je me suis demandé si j’allais pouvoir rentrer chez moi. Mais je devais sortir manifester. Comment dire plus tard à mes enfants que je n’avais pas saisi l’occasion de faire quelque chose de significatif pour mon pays ?

Tout le monde a été surpris par la tournure qu’ont pris les événements. Personne n’était préparé au départ de Blaise. Pour preuve, le cafouillage qu’il y a eu juste après entres les organisations de la société civile, les partis politiques et les militaires. C’était comme une patate chaude que tout le monde se refilait. Je suis fière de ce que nous avons réalisé. Le peuple a pris conscience de sa souveraineté.

Il est vrai que trois ans après nous sommes dans une configuration qui laisse dubitatif quant à l’avenir du pays. Nous avons des raisons d’être déçus parce que nous n’avons pas exactement eu ce à quoi nous prétendions. Le pouvoir actuel est accusé d’être laxiste. L’incivisme grandit. Chacun fait ce qu’il veut parce qu’il se sent fort d’avoir renversé un régime.

Parfois, je me dis que nous devons prendre un peu de recul. Nous ne pouvons pas sortir de 27 années de gouvernance d’un claquement de doigts. Il faut maintenant que nous travaillions ensemble pour construire le pays. »

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