Est-il possible aujourd’hui en Afrique de rémunérer les écrivains ?
Une pièce d’identité où il y aurait marqué « Profession : écrivain », cela peut prêter à rire en Afrique. Et même susciter des doutes, des questions du genre : « Comment faites-vous pour vivre ? »
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Latifa Bieloe
Latifa Bieloe est animatrice culturelle et membre du collectif Reading is so Bookul.
Publié le 2 novembre 2017 Lecture : 4 minutes.
Voilà le seuil auquel se trouve réduit aujourd’hui le noble art d’écrire sur notre continent. Pourtant, avec un peu de volonté de la part de ceux qui en ont le pouvoir, le métier d’écrivain aurait pu être de ceux qui font le plus rêver les jeunes Africains. Peut-on encore y remédier, et si oui, comment ?
Commencer par restaurer la dignité bafouée
À Yaoundé, le 8 novembre 2016, à l’occasion de l’ouverture solennelle d’un événement culturel, on a voulu rendre hommage aux écrivains en les décorant chacun d’une petite médaille. Et on a cru bien faire, en les laissant attendre, entassés par paquets sur une esplanade, comme des écoliers dans la cour de récréation par un lundi matin de levée des couleurs, sous un soleil précoce.
Je ne saurais dire pour les autres, mais pour un Guillaume Oyônô Mbia (Grand Prix des Mécènes 2014), qui doit être hautement estimé aussi bien pour sa production littéraire en anglais qu’en français, ce n’est pas là une marque de considération. D’autant plus que son statut d’aîné à lui seul devrait suffire à justifier qu’on lui montrât un peu plus d’égards.
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Ailleurs, où on sait mieux s’organiser, il paraît que des sommités de sa trempe sont invitées au palais, en solitaire ou en charmante compagnie pour un dîner avec le chef de l’État, à l’issue duquel le maître des lieux leur décerne devant caméra un titre honorifique.
Là-bas, l’écriture peut rendre riche
Sous d’autres cieux, il y a des écrivains plus riches que des rois. Ils n’ont pas besoin d’un second boulot. Ils vivent de leurs rentes – s’entend de leurs droits d’auteur. Ils peuvent se permettre de faire des donations à des associations caritatives, tout en menant un train de vie qui pourrait faire se retourner Mansa Moussa dans sa tombe. Cela est possible parce que dans ces sociétés-là, les gens ont été préparés pendant des siècles au goût de la lecture, et ils y sont attachés. Ce qui a pour conséquence qu’une petite part de leur budget est toujours réservée à l’achat des livres. Avec un peu de chance, un bon livre peut s’y vendre en millions d’exemplaires, voire en dizaines de millions, sans compter les adaptations au cinéma, les traductions, etc.
En Afrique, nous ne pouvons encore avoir cette prétention. Peut-être avec le travail de sensibilisation, abattu surtout par les associations pour encourager la lecture, pourrions-nous en rêver dans un avenir proche. En attendant comment fait-on pour permettre aux écrivains africains, ou du moins aux plus méritants, de vivre de leur art, et de continuer ainsi par leur production livresque à enrichir la littérature africaine d’œuvres de qualité ?
Où trouver les fonds pour rétribuer les auteurs ?
C’est la question qui vient aussitôt à l’esprit. Et voici quelques ébauches de réponses.
On pourrait par exemple commencer par liquider les institutions budgétivores en Afrique, et dont l’utilité limitée justifie rarement les dépenses faramineuses que leur existence entraîne. Le sénat par exemple : en avons-nous vraiment besoin en Afrique aujourd’hui ? Pourquoi ne pas remplacer les sénats par des « Collèges d’écrivains », qui du reste pourraient s’avérer plus à même de donner des avis pertinents sur les débats de la nation, meilleurs en tout cas que n’en pourraient produire de sympathiques grands papas juste bons à profiter gentiment de leur retraite au village, en cultivant leur jardin et en relisant des chefs-d’œuvre.
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Autre proposition : considérant que l’éducation s’appuie sur la littérature, et que dans cent ans par exemple, pour étudier notre époque il faudra s’en référer à la production littéraire contemporaine, il serait légitime que l’on trouve le moyen de prélever un petit quelque chose sur les bénéfices engendrés par les business liés à l’éducation afin de dégager un budget pouvant permettre de rémunérer les auteurs et encourager ainsi la production littéraire. Je pense aux ventes des livres inscrits dans les programmes scolaires, aux profits engendrées par les établissements privés, les universités de luxe, et autres (peut-être un fiscaliste pourrait-il mieux y voir).
Dans une moindre mesure, on pourrait aussi commencer par exiger de chaque député de la nation qu’il consacre une certaine part de son budget à la création et à l’entretien des bibliothèques dans sa circonscription. Petit calcul mental : si chaque député camerounais pouvait se permettre d’acheter seulement dix ouvrages récemment publiés dans son pays, par an, en dix exemplaires de chaque, un bon auteur camerounais aurait l’assurance de vendre ne serait-ce que par ce canal 1 800 exemplaires de son livre, puisque l’Assemblée Nationale du Cameroun compte 180 députés.
Voilà quelques bonnes idées gracieusement offertes aux décisionnaires de bonne volonté. Mais peut-être les choses ne sont-elles pas aussi simples, surtout quand on n’y voit pas son intérêt…
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