Quand Nadine Gordimer invitait Jeune Afrique à dénoncer la pauvreté

Prix Nobel de littérature en 1991, la romancière sud-africaine Nadine Gordimer est décédée le 13 juillet à l’âge de 90 ans. Une figure de l’engagement contre l’appartheid dont « Jeune Afrique » réedite une interview, publiéé dans son numéro n°1964 (du 1er au 7 septembre 1998).

Détail de l’interview de Nadine Gordimer dans le J.A n°1964 © J.A.

Détail de l’interview de Nadine Gordimer dans le J.A n°1964 © J.A.

Publié le 18 juillet 2014 Lecture : 3 minutes.

La romancière sud-africaine est membre du comité d’animation de la Décennie de l’éradication de la pauvreté, lancé le 17 octobre 1997 par les Nations unies. Elle invite les médias, "et singulièrement Jeune Afrique", dit-elle à notre collaborateur, à "se pencher sur le phénomène de la pauvreté et faire connaître les moyens de la combattre".

JEUNE AFRIQUE : Que signifie, pour vous, la pauvreté ?

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NADINE GORDIMER : En tout premier lieu, cela veut dire n’avoir pas assez à manger. Mais il y a plusieurs aspects de la pauvreté. Nous somme s les seules créatures à posséder le don de la parole. Par conséquent, être privé de la possibilité de lire et d’écrire m’apparaît comme une privation insensée de notre humanité. C’est humiliant et avilissant. C’est pourquoi un des points de ma mission sur lequel j’aimerais me concentrer est la pauvreté culturelle. Si vous êtes illettré, non seulement vous êtes frappé par le chômage, mais vous êtes dans l’incapacité de profiter d’une possibilité de travailler. À côté des besoins de première nécessité figurent ceux de l’imagination, que nourrit la lecture. Je crois vraiment que la lecture enrichit notre vie. Ne pas pouvoir en profiter est une des formes profondes de la pauvreté.

Au-delà de la pauvreté qui se voit, comment les pauvres subissent-ils leur état ?

Une chose m’a frappée, tout récemment. Un grand rassemblement a eu lieu dans mon pays. Dix mille personnes sont venues des bidonvilles et des bicoques implantées un peu partout pour dire ce que c’est, pour elles, être pauvres. Une de mes grandes surprises a été d’entendre répéter, par ceux-là mêmes qui sont les premiers concernés, qu’ils ne font pas partie du jeu. Qu’ils sont isolés. Exclus. Qu’il n’existe pas, parmi eux, quelque chose comme une camaraderie. Que non seulement ils n’ont rien à voir avec ceux qui ne sont pas pauvres, mais qu’il n’existe pas de solidarité entre ceux qui le sont.

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Concrètement, comment peut-on lutter contre la pauvreté ?

Lors du lancement officiel de la Décennie de l’éradication de la pauvreté, présidée par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, on a procédé à la remise des prix du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). J’en garde un souvenir inoubliable. La première lauréate, une exquise Vietnamienne, toute menue et délicate, venait d’un minuscule village retiré. Elle a raconté qu’il y avait une belle petite rivière, à quelques kilomètres de là, au bord de laquelle les gens vivaient dans des huttes, désespérément pauvres, essayant en vain de faire pousser quelque chose. Pour sa part, elle allait pêcher dans la rivière. Et l’idée lui vint de faire quelque chose pour développer cette possibilité-là. Bientôt, tout le village a émigré du côté de la rivière. Sous l’impulsion de notre frêle petite Vietnamienne, à qui on avait expliqué le procédé d’élevage du poisson, les villageois ont construit un petit barrage. Il y a maintenant une florissante pisciculture qui fournit assez de poissons pour la consommation locale et même pour l’approvisionnement du village le plus proche.

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D’autres exemples ?

Une autre lauréate était une Noire américaine, une "big mama" du New Jersey, qui faisait de la pâtisserie à l’occasion, pour des anniversaires et des mariages. Avec l’aide du Pnud, elle a appris à tenir un compte bancaire et à gérer l’argent qu’on lui a octroyé. Elle est aujourd’hui à la tête d’un service de traiteur. Une autre encore, celui d’une femme du Transkei. Lassée d’attendre, en compagnie d’autres femmes, la construction de maisons dans sa région, elle a mont é un petit atelier de fabrication de briques avec le peu d’argent dont elle disposait. Elle a ensuite pris contact avec le bureau local du Pnud, qui lui a fourni une aide technique et un outillage simple. En un an, elle a bâti quatre-vingts maisons et, à ce jour, elle s’occupe de deux cents chantiers de construction. J’ai trouvé tout cela extrêmement vivifiant. Et finalement, la seule idée de combattre la pauvreté, sous toutes ses formes, c’est désormais ce qui m’inspire.

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