Jack Lang : « L’IMA a joué son rôle pendant le froid diplomatique entre la France et le Maroc »

Du projet de musée de Leïla Mezian à Casablanca à l’exposition sur les Chrétiens d’Orient, en passant par le Louvre d’Abu Dhabi, le président de l’Institut du monde arabe (IMA), bientôt trentenaire, balaie l’actualité culturelle du Maghreb au Moyen-Orient.

Jack lang, en 2016 devant les locaux de l’Institut du monde arabe, à Paris. © Vincent Fournier/JA

Jack lang, en 2016 devant les locaux de l’Institut du monde arabe, à Paris. © Vincent Fournier/JA

CRETOIS Jules

Publié le 4 novembre 2017 Lecture : 5 minutes.

L’Institut du monde arabe (IMA), qu’il préside depuis 2013, fêtera son trentième anniversaire le 30 novembre. De passage au Maroc, un pays qu’il connaît bien, Jack Lang, l’ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, revient sur le parcours de cette institution qui entend “cultiver un véritable dialogue entre le monde arabe, la France et l’Europe” et décrypte les liens qui unissent culture, savoir et diplomatie.

Jeune Afrique : Entreteniez-vous une relation particulière avec l’IMA avant d’en devenir le président, en 2013 ?

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Jack Lang : Lorsque j’étais ministre de la Culture [de 1981 à 1986 puis de 1988 à 1993], j’avais pour mission de soumettre des idées, de penser des projets… L’ambition de créer un lieu culturel dédié au monde arabe existait déjà avant l’élection de François Mitterrand, elle avait été discutée par le roi d’Arabie saoudite, Khaled ben Abdelaziz Al Saoud, et le président Valéry Giscard d’Estaing.

Au cours des années 1980, nous avons décidé de la concrétiser. Un site était déjà disponible à Paris, mais nous voulions faire en sorte que le siège de l’IMA s’inscrive dans la modernité. Aussi avons-nous fait appel à de jeunes architectes, et c’est finalement la proposition de Jean Nouvel qui a été retenue.

Jean Nouvel qui a aussi conçu le nouveau Louvre d’Abu Dhabi

Je me rendrai d’ailleurs à Abu Dhabi pour son inauguration en tant que président de l’IMA, en tant que soutien du projet à l’époque où il était critiqué, voire décrié, mais aussi, bien sûr, en tant qu’ami de Jean Nouvel. Suivre sa carrière aura été fascinant.

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Profiterez-vous de votre présence à Marrakech pour visiter le nouveau musée Yves Saint Laurent ?

J’étais présent lors de son inauguration, en octobre. Ce lieu est une magnifique réussite. Les deux architectes, Karl Fournier et Olivier Marty, ont fourni un travail incroyable en concevant une œuvre contemporaine qui prenne en compte les traditions locales.

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Quant à la scénographie de Christophe Martin, qui avait déjà travaillé sur l’exposition Femmes berbères du Maroc, elle permet de s’approprier avec aisance l’espace comme le thème de l’exposition permanente, qui présente l’œuvre d’Yves Saint Laurent. Les deux étant pourtant très vastes.

Vous étiez proche de Pierre Bergé, à l’origine du projet…

Oui, c’était un ami très proche, que je voyais encore une quinzaine de jours avant sa disparition. Je crois avoir contribué à son rapprochement avec François Mitterrand, en 1982 ou 1983. D’après mes souvenirs, ils avaient sympathisé lors d’un événement que j’avais organisé : une réception réunissant des stylistes à l’Élysée.

J’ai aussi milité pour qu’il dirige l’Opéra Bastille, lui qui était un mélomane, un connaisseur de l’opéra et un dirigeant d’entreprise averti. Pierre a beaucoup fait pour la culture, pour la France, pour le Maroc. Il était un vrai mécène, Sans parler de toutes les causes qu’il a défendues, de la lutte contre le sida à SOS Racisme.

En matière de politique culturelle, le Maroc a de réels atouts

Le Maroc est-il en passe de devenir un modèle en matière de politique culturelle depuis la création de la Fondation des musées ?

Il n’y a pas vraiment de modèle répliquable en la matière, simplement des expériences. Et il est vrai que celle que le Maroc est en train de vivre est très forte. Elle est notamment liée à l’engagement personnel du roi lui-même, collectionneur et amateur d’art. Il y a encore beaucoup de choses à faire, mais le Maroc a de réels atouts, comme un centre du cinéma solide et structuré, des écoles pour les professionnels…

On remarque aussi une réelle vivacité dans les initiatives privées. Durant mon voyage, j’ai eu un aperçu du projet de musée porté par Leïla Mezian, l’épouse d’Othman Benjelloun, à Casablanca. Le jeune architecte marocain chargé de dessiner les lieux, Tariq Oualalou, a réalisé une maquette remarquable.

L’exposition Chrétiens d’Orient – deux mille ans d’histoire a-t-elle une portée politique ? Est-elle pensée en rapport avec l’actualité ?

Elle n’a pas été conçue pour répondre à l’actualité. Nous alternons toujours entre des expositions dont on peut dire qu’elles sont contemporaines, et d’autres qui touchent à l’histoire et au patrimoine. Ces dernières permettent toujours de mettre en exergue la diversité culturelle qui est celle du monde arabe.

L’exposition sur les chrétiens d’Orient rappelle des faits parfois méconnus, comme la présence importante des chrétiens dans les premiers mouvements favorables à l’unité arabe. En remontant l’histoire jusqu’à la naissance du christianisme, en Orient justement, elle permet de mieux comprendre les événements les plus récents, et aussi de combattre les idées reçues et les traits essentialistes.

 Créateurs marocains et algériens se retrouvent régulièrement dans nos murs pour dialoguer

L’IMA est-il un lieu de diplomatie ?

Disons que c’est un lieu où des ponts sont jetés entre diverses personnes quand bien même leurs pays respectifs se tournent le dos. Par exemple, créateurs marocains et algériens se retrouvent régulièrement dans nos murs pour dialoguer.

Et lorsqu’un froid diplomatique a soufflé sur les relations franco-marocaines, en 2014, l’exposition Le Maroc contemporain a permis de maintenir une forme de dialogue et de perpétuer la chaleur qui caractérise habituellement les rapports entre nos deux pays.

L’IMA, c’est aussi un peu une deuxième maison pour Latifa Ibn Ziaten, la mère d’un soldat assassiné par Mohamed Merah. Elle y pense une grande partie de ses projets et y trouve des oreilles attentives, qui l’aident à les réaliser s’il le faut. C’est cela l’IMA. On ne fait pas tant dans la diplomatie ou la politique que dans les rapports humains.

A titre personnel, avez-vous toujours une activité relevant de la diplomatie culturelle ?

Je reviens tout juste de Genève. Avec nos partenaires émiratis, nous avons bouclé le projet de fonds international pour la protection du patrimoine en péril dans les zones de conflit. François Hollande m’avait demandé de mener à bien le lancement de cette initiative, et Emmanuel Macron m’a renouvelé sa confiance. Nous avons déjà de très nombreuses promesses de dons et je crois que je vais pouvoir maintenant laisser le fonds vivre par lui-même. L’IMA me demande déjà beaucoup de temps.

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