Libertés d’expression : du Niger aux États-Unis, le droit à l’insolence

Samira Sabou, la trentaine, est une journaliste nigérienne. Jusqu’en octobre, elle travaillait dans une structure étatique, l’Office national d’édition et de presse (Onep), à Niamey. Mme Sabou a le sens de l’humour. Si tel n’était pas le cas, elle n’aurait pas publié sur sa page Facebook une photo où on la voit posant comme le président Mahamadou Issoufou.

Donald Trump et le président du Niger, Mahamadou Issoufou, lors du G7 en Italie en mai 2017. © Domenico Stinellis/AP/SIPA

Donald Trump et le président du Niger, Mahamadou Issoufou, lors du G7 en Italie en mai 2017. © Domenico Stinellis/AP/SIPA

ProfilAuteur_TshitengeLubabu
  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 10 novembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Comment ? Debout entre deux fauteuils sur lesquels il prend appui, la jambe droite croisée sur la jambe gauche. Cette photo du président nigérien avait été publiée par un journal australien. D’autres petits malins ne se sont pas privés de l’imiter. L’un de ces rigolos a même posté la photo d’une créature inattendue : un pigeon photographié debout, la patte droite posée sur la gauche. Jamais oiseau n’avait atteint un tel niveau de drôlerie.

La parodie de Samira Sabou n’a pas plu à sa hiérarchie. La jeune femme a été, comme on dit familièrement, virée. Mais y a-t-il un lien entre la photo et son licenciement ? Non, selon l’un de ses supérieurs hiérarchiques, qui évoque des antécédents, tout en condamnant le fait que la photo de la journaliste ait été prise sur son lieu de travail. Tiens, tiens !

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Et que dit Issoufou ? Rien. À mon humble avis, il a intérêt à ordonner la réintégration de Samira Sabou, cette effrontée qui rit de tout sauf de la misère humaine. Camarade Issoufou, l’humour est salvateur.

Le droit à l’insolence

Allons aux États-Unis. Dans la dernière semaine d’octobre, une jeune fille à bicyclette a épaté le monde entier. Au passage du cortège présidentiel, bien assise sur son vélo, elle a adressé un doigt d’honneur à Donald Trump. Sans doute stupéfait, le président américain a vraisemblablement demandé au chauffeur de ralentir. La jeune fille a alors accéléré et répété son geste en direction du véhicule dans lequel Trump était censé se trouver.

Je n’ai pas vu un seul membre de la garde présidentielle de l’un des 4×4 sauter sur la demoiselle et la transformer en bouillie. Sur d’autres continents, dont le nôtre, la fille aurait été refroidie par plusieurs balles tirées sans raison sur une personne sans arme et inoffensive.

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Vous vous demandez sans doute pourquoi la garde trumpienne n’a pas tiré. Je pense qu’elle a reconnu à la fille le droit à l’insolence, l’une des caractéristiques de la démocratie. Les citoyens ne sont pas des moutons. Ils peuvent exprimer leur ras-le-bol au président, qui n’est pas une divinité. Considérer un chef d’État comme un citoyen tout à fait ordinaire n’est pas un crime de lèse-majesté.

Souvenez-vous du fameux « Casse-toi pauv’con ! »

Surtout s’il s’agit d’un Trump dont le vocabulaire est tout sauf présidentiel. Passons sur l’expression « fils de pute » dont il a gratifié certains joueurs de la NBA et sur d’autres incongruités. Avez-vous vu comment il a utilisé son expression corporelle lors de son passage à Porto Rico pour « consoler » les habitants victimes d’un ouragan ? Il n’a pas daigné leur donner les vivres ou je ne sais quoi de la main à la main. Il a plutôt préféré lancer ses paquets sur la foule, qui a eu la dignité de ne pas se ruer dessus. Le doigt d’honneur de la jeune fille est amplement mérité.

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Pugilat

Le comportement erratique de Trump me rappelle quelqu’un qui a eu, sous sa présidence, maille à partir avec des citoyens ordinaires. C’est Nicolas Sarkozy, l’ancien président français. Souvenez-vous du fameux « Casse-toi pauv’con ! » adressé à un agriculteur qui l’avait dédaigné en plein Salon de l’agriculture, à Paris. Ou encore du défi lancé à un marin en grève, à qui il avait demandé de venir jusqu’à lui s’il était « un homme ». Sans doute pour un pugilat.

Ceux de ma génération se souviennent encore des énormités du maréchal Idi Amin Dada, dernier roi d’Écosse, président de l’Ouganda, ancien champion de boxe dans la catégorie des lourds. Quand il devait régler ses comptes avec son voisin et futur tombeur tanzanien Julius Kambarage Nyerere, Idi Amin disait : « Si vous étiez une femme, je vous aurais épousé. Quant à nos différends, nous pouvons les régler sur un ring de boxe. » C’est comme lorsque Trump promet de détruire la Corée du Nord !

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