Algérie – Maroc : « It’s the economy, stupid* ! »

«La création d’un climat passionnel, les insultes, non seulement entre les dirigeants mais surtout entre les masses, encore sensibles au particularisme et au nationalisme, creusent un fossé qu’il sera difficile de combler. »

Photo d’archive de Mohamed VI et Abdelaziz Bouteflika, lors du sommet de la Ligue arabe, en 2005 à Alger. © Amr Nabil/AP/SIPA

Photo d’archive de Mohamed VI et Abdelaziz Bouteflika, lors du sommet de la Ligue arabe, en 2005 à Alger. © Amr Nabil/AP/SIPA

MARWANE-BEN-YAHMED_2024

Publié le 6 novembre 2017 Lecture : 4 minutes.

Cette analyse visionnaire émise en 1964 émane d’un certain Mohamed Boudiaf. Et n’a hélas, plus d’un demi-siècle plus tard, pas pris une ride. En témoignent les récentes déclarations antimarocaines du ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, et la énième crise diplomatique qui en a découlé.

Sur le plan des relations bilatérales, l’encéphalogramme est toujours désespérément plat (aucune visite depuis plus de sept ans). Pis, le conflit qu’entretiennent les frères ennemis du Maghreb paralyse toute une région (les réunions de la mal nommée Union du Maghreb arabe ne se tiennent même plus), l’une des moins intégrées au monde, avec l’aberrante fermeture d’une frontière de 1 600 km, et empoisonne la vie du continent tout entier.

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La tenue du sommet Union européenne (UE)-Union africaine (UA), à Abidjan, fin novembre, a ainsi donné lieu à un nouvel affrontement en coulisses autour de l’invitation ou non de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Depuis le retour du Maroc dans l’UA, le 30 janvier 2017, la tension est encore montée d’un cran. Consternant.

Le mal s’est enkysté

L’arrivée au pouvoir concomitante, en 1999, de Mohammed VI et d’Abdelaziz Bouteflika, lequel est né à Oujda, avait pourtant suscité l’espoir d’une détente entre les deux pays. Tout le monde s’accordait à penser que seule une volonté commune au plus haut sommet des États pouvait dénouer cet inextricable écheveau de rancœur, de fiel et d’aveuglement. Or leur dernier entretien remonte à… 2005, à l’occasion d’un sommet de la Ligue arabe à Alger. Deux longues heures de tête-à-tête, puis une trentaine de minutes d’échanges restés secrets dans un véhicule officiel, sur la route de l’aéroport. Chaleureuses accolades devant les caméras. Nous y avons cru.

Douze ans plus tard, les fruits n’ont jamais passé la promesse des fleurs. Le mal – défiance et jalousie permanentes, incessantes attaques contre le voisin, course effrénée à l’armement de part et d’autre, absence de dialogue même sur des questions cruciales (développement économique, lutte antiterroriste) – s’est au contraire enkysté.

Et on ne voit guère aujourd’hui ce qui pourrait le résorber. D’autant qu’il est impossible d’imputer la responsabilité de la situation actuelle à une seule partie. Les torts sont très largement partagés, comme les saillies verbales et les coups bas. Chaque capitale pose ses préalables à une normalisation des relations. Pour Rabat, c’est la réouverture de la frontière. Pour Alger, c’est le règlement global du conflit au Sahara, l’un des plus vieux du monde. La vipère à cornes se mord la queue…

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Complémentarité

Seule solution pour sortir de cette impasse : construire une relation purement économique en laissant – comme cela a toujours été exprimé mais jamais appliqué – le dossier sahraoui entre les mains des Nations unies. Et cesser de remuer les sables du passé pour déterminer, comme dans les interminables vendettas corses ou sardes, qui a offensé l’autre en premier.

Il y a tant à faire et tant à gagner. Le Maroc et l’Algérie partagent la même langue, la même religion et les mêmes us et coutumes. Ils sont surtout parfaitement complémentaires. Sur le plan énergétique, le royaume chérifien se contente aujourd’hui de percevoir des droits de passage sur le pipeline qui traverse son territoire vers l’Europe, alors qu’il pourrait bénéficier des ressources algériennes en hydrocarbures.

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Rêvons un peu : un partenariat stratégique entre l’Office chérifien des phosphates (OCP), numéro un mondial dans l’extraction, et l’algérien Sonatrach, première entreprise africaine en matière de chiffre d’affaires, pourrait aboutir à la naissance d’une industrie pétrochimique d’envergure et, soyons fous, à celle d’un leader mondial dans le domaine de la production d’engrais. Avec des débouchés colossaux en Inde, en Chine ou au Brésil.

Autre domaine où la complémentarité est criante : l’agroalimentaire. L’Algérie est le premier importateur de la rive sud de la Méditerranée, alors que son voisin produit massivement agrumes, céréales, tomates ou huile d’olive en quantité.

La liste des aberrations, notamment dans l’industrie, est tellement longue qu’elle prendrait plusieurs pages de cet hebdomadaire. Des Renault Logan importées de Roumanie par l’Algérie alors qu’elles sont assemblées à Tanger. Des entreprises contraintes de faire des transbordements via l’Europe pour s’approvisionner entre elles. Des billets d’avion Alger-Casablanca 60 % plus chers que ceux à destination de Paris.

Ressentiment pavlovien

Par la mer, c’est carrément ubuesque : un voyageur souhaitant se rendre à Oran depuis Tanger doit transiter par Almería ou Alicante et changer de compagnie de ferry…

Conséquence de ce grand gâchis pour les cinq pays du Maghreb : un manque à gagner annuel estimé entre 2 % et 3 % de leurs PIB cumulés. Aveuglées par un ressentiment pavlovien, les élites politiques, économiques et intellectuelles des deux pays perpétuent un conflit suranné qui ne concerne guère leurs populations, en particulier les jeunes, majoritaires, dont les priorités sont ailleurs.

Un jour, peut-être, ces nouvelles générations exigeront de leurs dirigeants qu’ils se préoccupent enfin de leurs intérêts en mettant fin à cette triste mascarade…

(*) Célèbre formule de James Carville, conseiller de Bill Clinton lors de la campagne présidentielle de 1992 face à George H. Bush. ce dernier avait mise sur son bilan en politique étrangère, alors que son adversaire, lui, avait fait de l’économie et de ses conséquences sur le quodien des Américains son cheval de bataille. Avec le succès que l’on sait.  

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