Togo – Arthème Ahoomey-Zunu : « Les résultats des réformes sont là »
Amélioration des rentrées fiscales, adaptation des infrastructures, politique de l’emploi… Pour le Premier ministre, fini les plans d’urgence : place à l’émergence.
Togo : où va le pays ?
Nommé à la tête du gouvernement le 19 juillet 2012 après la démission de Gilbert Houngbo, Arthème Kwesi Séléagodji Ahoomey-Zunu, 55 ans, est devenu, au fil des années, un proche du président togolais. Pourtant, il n’a jamais été membre du Rassemblement du peuple togolais (RPT) ou de l’Union pour la République (Unir), qui lui a succédé en 2012. Une distance qui a sans doute permis à ce discret Éwé, à la fois réservé et débatteur aguerri, de débloquer des situations de crise. Et d’être, en quelque sorte, "l’homme qui tombe à pic".
Juriste de formation (diplômé en droit des relations internationales, en droit public et en aménagement du territoire), militant des droits de l’homme dans les années 1990 au sein de l’ex-Union togolaise pour la démocratie (UTD), devenue la Convergence patriotique panafricaine (CPP) aux côtés d’Edem Kodjo, Ahoomey-Zunu a présidé la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) en 2000-2002 et fait ses premiers pas en tant que ministre dans le gouvernement d’union dirigé par Kodjo, en 2006, au portefeuille de l’Administration territoriale.
Il a donc largement contribué à l’organisation des législatives d’octobre 2007, qui ont permis la reprise de la coopération avec l’Union européenne après quatorze années d’embargo. Au mois de janvier suivant, Faure Gnassingbé l’a appelé au poste de secrétaire général de la présidence, qu’il a cumulé, à partir de mars 2011, avec celui de ministre du Commerce et de la Promotion du secteur privé, où il a notamment conduit les négociations avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Deux ans après son arrivée à la primature, où en est Ahoomey-Zunu sur la feuille de route fixée par le chef de l’État ? En se plaçant "au-dessus de la mêlée", selon sa propre expression, il est parvenu à apaiser le climat politique et, bien qu’avec un an de retard, les législatives se sont tenues en juillet 2013. D’autres chantiers majeurs lui ont été confiés : faire respecter les règles de bonne gouvernance, assurer une croissance durable et développer l’économie de proximité.
À moins d’un an de la présidentielle, le Premier ministre évoque les réformes engagées. Et ce qu’il reste à faire.
jeune afrique : Depuis la reprise de la coopération avec la communauté internationale, fin 2007, le pays a-t-il rattrapé son retard ?
Arthème Ahoomey-Zunu : L’économie du Togo se porte de mieux en mieux. Nous avons renoué avec la croissance, de manière soutenue, avec un taux de 5,6 % en 2013 et de 6 % prévu cette année. L’État s’attelle à la reconstruction du pays et beaucoup d’efforts sont faits, notamment en matière d’infrastructures et pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens.
Par ailleurs, le gouvernement mène des discussions avec les syndicats et propose des mesures pour améliorer les conditions de travail de ses agents.
Où en êtes-vous des réformes demandées par les bailleurs de fonds ?
Nous avons beaucoup travaillé en ce sens. Les bailleurs souhaitaient notamment que nous revoyions notre politique de subvention des produits pétroliers. L’État a supprimé certaines taxes pour équilibrer la structure des prix. Pourtant, malgré ces progrès, les prix ont sensiblement augmenté il y a quelques mois. Ces mesures de suppression des subventions ont des incidences sociales, ce qui nous incite à une extrême prudence. Mais, même si le FMI ne le demandait pas, nous savons que nous avons encore des efforts à faire et nous les poursuivrons. Ce sont les directives du chef de l’État.
Après quatorze années de rupture, la coopération internationale a repris et, aujourd’hui, nous remontons la pente grâce aux réformes, qui, entreprises depuis 2006, commencent à porter leurs fruits. Nous avons rempli les conditions relatives à la stabilisation du cadre macroéconomique et à la stabilité financière requises par le FMI, avec lequel des discussions sont en cours. Nos ministres des Finances et du Plan ont d’ailleurs assisté récemment aux assemblées de printemps du Fonds, à Washington.
Quelles sont les améliorations les plus notables ?
La réforme des régies financières, avec la mise en place de l’OTR [l’Office togolais des recettes]. Et celle du secteur minier, avec l’adhésion du Togo à l’ITIE [Initiative pour la transparence dans les industries extractives]. Deux réformes qui devraient améliorer les performances de notre économie.
La fusion des régies financières, soutenue par les institutions de Bretton Woods, est désormais effective, avec la création de l’OTR, qui regroupe la Direction générale des impôts et celle des douanes. Quel est le but recherché ? Et quels sont les premiers résultats ?
L’objectif est, d’une part, de limiter, voire d’enrayer, l’évasion fiscale. D’autre part, d’élargir l’assiette, notamment au secteur traditionnel des microentreprises, abusivement appelé "secteur informel". Enfin, il s’agit de rationaliser et d’harmoniser les formes de perception des taxes et impôts. À terme, ces réformes devraient nous permettre d’accroître considérablement nos recettes fiscales et douanières. Cela en donnant plus de capacités à l’État pour financer le développement.
Quant aux résultats, nous sommes satisfaits du travail accompli. Il faut juste que nous communiquions de façon plus claire auprès des entreprises et des particuliers. Nous comptons également sensibiliser les agents de ces services, qui sont les premiers intéressés. Obtenir des régies plus efficaces suppose un changement de comportement dans les administrations. Nous avons rencontré les principaux responsables de l’OTR pour leur expliquer ce que nous attendions de cette réforme. Beaucoup ont craint que ces changements ne nuisent à leur position. Mais l’intérêt général doit prévaloir.
N’est-il pas risqué de faire des réformes à quelques mois de la présidentielle, prévue en 2015 ?
Non, pas du tout. Si nous devions tenir compte des échéances électorales, nous ne ferions plus grand-chose !
Quel bilan tirez-vous de l’action gouvernementale ?
Le gouvernement s’est beaucoup rapproché des populations. D’une planification stratégique du développement, nous avons évolué vers un développement centré sur l’homme, gage d’une meilleure inclusion de la croissance et d’une meilleure redistribution des revenus.
Nous avons voulu entrer dans une démarche prospective à l’horizon 2030, en sondant la population sur ses aspirations. Ces dix dernières années, nous sommes passés d’une logique d’urgence à une logique de résultats, grâce à des documents de planification tels que le DSRP-C [Document complet de stratégie de réduction de la pauvreté] et la Scape [Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi]. Il faut aller encore plus loin, faire cap sur l’émergence.
Sur quels leviers de croissance vous appuyez-vous ?
Si l’on regarde de près notre Scape, ses objectifs y sont définis de manière très précise. En plus des secteurs de l’agriculture, des mines, des télécoms et de l’énergie, les services ont pris une place importante, car nous sommes un pays de transit. De fait, nos infrastructures routières se sont nettement améliorées, le port est en cours d’agrandissement, l’aéroport se modernise pour faire de Lomé un hub… Tous ces efforts visent à faciliter les conditions d’investissement au Togo.
Les investissements augmentent, le taux de croissance aussi. Pourquoi les Togolais se plaignent-ils de ne pas en bénéficier ?
Je les comprends. Mais je leur dis que, pour que la population la ressente vraiment, il faut avoir une croissance d’au moins 10 %. Compte tenu de la poussée démographique, notre croissance économique de 6 % [prévue pour cette année] reste insuffisante. Ces indicateurs démontrent toutefois que le pays est gouverné de manière beaucoup plus sérieuse.
La production agricole est-elle suffisante pour assurer la sécurité alimentaire ?
Nous avons mis en place le Pniasa [Programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire], qui se décline en plusieurs projets, notamment celui relatif à l’accompagnement des agriculteurs et à la modernisation des unités de production. Depuis quelques années, la production céréalière du Togo est régulièrement excédentaire, et nous entendons continuer en ce sens, tout en nous efforçant aussi d’accroître la production des cultures de rente, comme le café, le cacao et, surtout, le coton.
>> À lire aussi : Togo : la Banque mondiale donne un coup de pouce aux agriculteurs
Quels sont les défis à relever en matière de création d’emploi ?
Nous devons faire en sorte que les jeunes puissent accéder à des emplois décents, et que les femmes, qui sont les piliers de notre société, bénéficient du travail qu’elles abattent au quotidien. Notre croissance a malgré tout permis de réduire de trois points de pourcentage l’indice de pauvreté. Des études ont montré que la croissance a beaucoup plus profité aux salariés, et, désormais, l’objectif du gouvernement est de faire en sorte qu’elle puisse également profiter à l’ensemble de la population, notamment à la population rurale.
Concrètement, quelles mesures avez-vous prises pour réduire le chômage des jeunes ?
Notre politique de l’emploi est assortie d’un plan stratégique national pour l’emploi des jeunes. Pour le mettre en oeuvre, un PEJ [Programme emploi jeunes] a été conçu. Il intègre plusieurs projets, dont le programme Provonat [Promotion du volontariat national au Togo], qui, depuis trois ans, a mobilisé 4 280 volontaires.
Pour la même période, le programme Aide [Appui à l’insertion et au développement de l’embauche] a bénéficié à 2 540 jeunes. Le Paipja [Projet d’appui à l’insertion professionnelle des jeunes artisans] a permis de former et d’équiper 3 045 artisans diplômés. Enfin, près de 3 000 jeunes ont reçu une formation en entrepreneuriat, qui a par ailleurs permis de financer plus de 800 projets d’affaires. L’ensemble de ces dispositifs est piloté par des services de l’État, dont l’ANPE et le FAIEJ [Fonds d’appui aux initiatives économiques des jeunes].
Les Togolais, surtout ceux de l’étranger, se montrent souvent virulents à l’égard des dirigeants du pays…
Le Togo a connu des moments difficiles sur le plan politique, ce qui a entraîné le départ de certains de nos compatriotes, notamment pour l’Europe et pour les États-Unis. Ils ont parfois de bons motifs de récrimination envers leur pays, mais je crois que, avec toutes les réformes qui ont été entreprises depuis une dizaine d’années, il est temps pour eux de réviser leur jugement et de venir apprécier concrètement sur place les réformes qui ont été engagées.
En toute objectivité, je pense qu’il n’y a plus de raison d’adopter des positions aussi tranchées. D’ailleurs, le gouvernement a commencé à mener des actions en direction de la diaspora afin d’améliorer les relations entre les autorités nationales et les Togolais de l’étranger.
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Propos recueillis à Lomé par Georges Dougueli
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