Procès Gbagbo – Firmin Detoh Letoh : Mangou « a donné des instructions sans passer par moi »

Au premier jour de son témoignage au procès de Laurent Gbagbo et de son bras droit Charles Blé Goudé, à la Cour pénale internationale (CPI), ce mardi 7 novembre 2017, le général Firmin Detoh Letoh est revenu sur son rôle lors de la crise postélectorale, sur les instructions données par l’ex-chef d’État et sur ses relations avec le général Philippe Mangou, ex-chef d’état-major des armées.

Le général Firmin Detoh Letoh, le mercredi 8 novembre 2017, lors de son audition devant la CPI. © DR / Capture d’écran CPI

Le général Firmin Detoh Letoh, le mercredi 8 novembre 2017, lors de son audition devant la CPI. © DR / Capture d’écran CPI

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Publié le 8 novembre 2017 Lecture : 6 minutes.

Le général Firmin Detoh Letoh est le cinquième militaire ivoirien de ce grade à témoigner à la barre de la CPI dans le procès Gbagbo. Le général Philippe Mangou, ex-chef d’état-major de Laurent Gbagbo, dit de lui qu’il avait « l’entière responsabilité » des troupes déployées dans le quartier Abobo, à Abidjan, où plusieurs épisodes violents de la crise postélectorale se sont joués.

Son témoignage est donc attendu avec d’autant plus d’impatience. Voici le verbatim des principaux points qu’il a abordé ce mardi 7 novembre à La Haye :

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• Son rôle pendant la crise postélectorale

Des soldats ivoiriens fidèles à Laurent Gbagbo, aux abords du quartier Abobo en mars 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Des soldats ivoiriens fidèles à Laurent Gbagbo, aux abords du quartier Abobo en mars 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

« En tant que commandant des Forces terrestres, je recevais mes ordres du chef d’état-major des armées, en l’occurrence, le général de corps d’armée Philippe Mangou, chef d’état-major général des armées. »

En tant que commandant des Forces terrestres, j’avais un état-major

« Je vais décrire mes tâches dans mes fonctions de commandant des Forces terrestres, en deux étapes, parce qu’il y a mon rôle en temps de paix et mon rôle en temps de crise. En temps de paix, comme dans toutes les armées, j’étais chargé d’entraîner mes éléments, de maintenir en état tout le matériel, d’organiser toutes les troupes, pour qu’elles soient opérationnelles au cas où une quelconque crise éclaterait. En temps de crise, sur instructions du chef d’état-major général, je mets mes troupes à sa disposition pour emploi. Si une crise éclate, c’est le chef d’état-major des armées qui prend tout le commandement en compte ».

« En tant que commandant des Forces terrestres, j’avais un état-major. Mon état-major était composé essentiellement de mon adjoint, d’un officier adjoint, d’un secrétariat. En plus, je commandais tous les bataillons de l’armée de terre. A savoir, le 1er Bataillon d’infanterie, le 2ème Bataillon d’infanterie, le 3ème Bataillon d’infanterie, le 1er Bataillon de commandos et de parachutistes (BCP), le 1er Bataillon du génie, le Bataillon d’artillerie sol-air (basa), l’Unité de commandement et du soutien (UCS). J’avais plus de huit bataillons à commander sur le terrain ».

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• L’utilisation de mortiers à Abobo

Une foule observe une victime de tirs, en janvier 2011 dans le quartier d'Abobo, à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Une foule observe une victime de tirs, en janvier 2011 dans le quartier d'Abobo, à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Je n’ai jamais été informé de ce que ces mortiers ont été tirés à Abidjan

« Je n’étais pas au courant de la quantité d’armes dont disposait le lieutenant-colonel Dadi Rigobert, commandant du Bataillon d’artillerie sal-air et sol-sol (Basa-Bass). Je le dis, parce qu’après le 11 avril, j’ai été maintenu comme Comterre, nous avons fait une visite terrain où j’ai découvert des mortiers B2 en quantité énorme. Et cela, je ne le savais pas avant. Parce que sur le terrain, nous en avions besoin, mais on n’en trouvait pas. Je ne maîtrisais pas en totalité le matériel que Dadi avait »

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« Il y a eu une demande de mortier, mais c’était à l’ouest pour compléter les munitions et les servants qui s’y trouvaient. En dehors de cela, je n’ai jamais demandé l’autorisation d’utiliser de mortier, encore moins à Abobo. Je n’ai jamais été informé de ce que ces mortiers ont été tirés à Abidjan ».

• Ses relations avec Mangou

Philippe Mangou s'adressant à ses troupes à Abidjan, le 19 novembre 2004. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

Philippe Mangou s'adressant à ses troupes à Abidjan, le 19 novembre 2004. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

« Il est arrivé des moments où le général Philippe Mangou a conversé directement avec le chef qui était sur le terrain. J’ai reçu un ou deux rapports. Une fois, il s’est adressé à Niamkey Basile (commandant de la zone d’Abobo, NDLR), sans que je ne le sache. Il s’agit de la marche des femmes d’Abobo, le 03 mars. Il m’a appelé pour me demander si j’étais au courant d’une certaine marche des femmes. »

[Le général Mangou] a donné des instructions directement aux éléments sans passer par moi

« Je lui ai dit que je n’étais pas au courant. D’une part, parce qu’on n’en a pas parlé à la réunion de la veille et d’autre part, il n’y a jamais eu de message concernant cette marche. Donc, moi, je n’étais pas au courant d’une quelconque marche. Or bien avant, il avait déjà appelé Niamkey Basile. Je n’étais pas du tout content ce jour-là. J’ai remonté les bretelles au commandant Niamkey Basile pour lui dire qu’il a franchi la hiérarchie et que je ne voulais pas que cela se répète. »

« La deuxième fois, nos éléments étaient au camp d’Abobo et le commandant Williams Toualy m’a fait part de ses difficultés parce qu’ils étaient très menacés, que cela faisait une semaine que les soldats n’avaient pas à manger, enfin que c’était difficile de faire le ravitaillement. Il m’a présenté la situation. Avant de lui proposer de quitter les lieux, j’avais rendu compte au chef d’état-major des armées. Le général Philippe Mangou m’a recommandé de voir avec le commandant Toualy qui était sur le terrain. Quand je suis reparti vers Toualy, il m’a dit que le général (Mangou) lui avait donné l’ordre de rester sur place. Ce sont les deux cas que j’ai vécu. Où il a donné des instructions directement aux éléments sans passer par moi. »

• Instructions de Gbagbo

Laurent Gbagbo attend l'énonciation des charges pesant contre lui (Février 2013) © Michael Kooren/AP/SIPA

Laurent Gbagbo attend l'énonciation des charges pesant contre lui (Février 2013) © Michael Kooren/AP/SIPA

« Il y a eu deux ou trois réunions avec le président Gbagbo. Celle dont je me souviens, c’était le 22, 23 février. Ça s’est passé au palais présidentiel du Plateau. Et chaque fois que le besoin se faisait sentir, nous accompagnions le chef d’état-major à des comptes rendus qu’il faisait souvent au président. »

A chaque fois que nous rendions compte au président Gbagbo, il nous exhortait à reprendre le combat

« C’était pour faire le point au président parce que bien avant, nous avions une mission sur Abobo. Cette mission s’est mal passée. Ce jour-là, nous avions perdu deux policiers, deux véhicules endommagés et les éléments étaient obligés de faire demi-tour sur leur base. Donc, le lendemain, nous avons été convoqués par le président de la République pour qu’il sache ce qui s’est passé réellement. »

« La parole a été donnée au chef d’état-major qui a fait le point et à ce niveau, il y a eu des interventions du général Edouard Tiapé Kassaraté (commandant supérieur de la gendarmerie), du général Guiai Bi Poin (commandant du Centre de commandement des opérations de sécurité – Cecos) et moi-même. J’avais fait état de l’insuffisance de nos éléments, notamment à Anyama. »

« J’ai fait le point au président de la République. Il s’en est étonné parce que lui ne pensait pas que dans les bataillons, il n’y avait plus personne. Il faut dire que pendant la crise, il y avait eu beaucoup de défections. On n’avait pas assez d’hommes dans les bataillons. C’était rare d’atteindre des sections de 25 personnes quand on demandait des renforts. »

« Le 3ème bataillon venu de Bouaké était démuni, était en position très difficile. Or Anyama constituait une zone très dangereuse pour nos éléments. Donc, j’ai pris la parole et j’en ai fait cas. Le général Kassaraté a décidé de nous envoyer un peloton et ce peloton est venu de Dimbokro. 25 personnes sont venues de Dimbokro, elles avaient des armes qui dataient de 1949. Comme le général Mangou finissait de parler, il a proposé au président de la République de faire d’Abobo une zone de guerre. Ce que le président n’a pas accepté. Il ne l’a pas accepté ce jour-là, il n’a pas pris le décret. »

« Je suis intervenu pour dire que ce ne serait pas bien qu’on déclare la zone d’Abobo comme zone de guerre. On avait des difficultés certes à Abobo, mais l’armée n’est pas là pour tuer les populations. Notre rôle principal, c’est de défendre les populations, c’est de les protéger et si on déclarait Abobo comme zone de guerre, il allait y avoir des dégâts collatéraux. Surtout que ceux qui étaient en face de nous, c’était le Commando invisible (milice proche de l’ex-rébellion des Forces nouvelles, NDLR) qui combattait en tenue civile. »

« Vous voyez qu’un couvre-feu a été instauré pour que la population ne soit pas dehors la nuit. On avait même demandé à la population de sortir d’Abobo. Mais elles sont restées. On avait des difficultés pour manœuvrer comme il se doit. »

« A chaque fois que nous rendions compte au président Gbagbo, il nous exhortait à reprendre le combat, parce que notre mission était de sécuriser la population d’Abobo et d’Anyama, et à un degré moindre, Koumassi (commune d’Abidjan) qui était pris en otage par le Commando invisible. Notre rôle était donc de préserver les populations des attaques du Commando invisible. Des éléments des Forces de défense et de sécurité ont été tués aussi dans ces zones. Donc, nous sommes allés chez le président pour lui faire le compte rendu ».

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