Sculpture : Diadji Diop, la vie en rouge

Aussi discret que ses sculptures sont remarquables, cet artiste d’origine sénégalaise s’est fait repérer… dans les jardins de l’Élysée !

Diadji Diop, sculpteur. Galerie Bellechasse, dans le 7è arrondissement de Paris. © Camille Millerand/J.A.

Diadji Diop, sculpteur. Galerie Bellechasse, dans le 7è arrondissement de Paris. © Camille Millerand/J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 18 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

Rouge vif, au pied du Palais de la porte Dorée (Paris), un géant chauve exécute un mouvement de crawl. Seule une partie de son corps émerge de la terre. Signée Diadji Diop, cette sculpture monumentale s’intitule Dans le bonheur (de l’expression française « nager dans le bonheur »). Les habitués du lieu noteront toute l’ironie de sa présence sur ce terrain : construit en 1931, le bâtiment qui le domine fut successivement le Musée des colonies, le Musée de la France d’outre-mer, le Musée des arts africains et océaniens, jusqu’à devenir la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

Un symbole qui ne peut vraiment déplaire à l’artiste sénégalais qui a vu le jour en octobre 1973, à Dakar, et vit en France depuis une vingtaine d’années. Mais l’histoire est plus amusante encore : cette oeuvre intrigante fut pour la première fois présentée dans les jardins du palais de l’Élysée, lors des Journées du patrimoine, à la demande du conseiller culturel des lieux, sous la présidence de Nicolas Sarkozy…

Bien entouré, il fréquentait une école privée et ses résultats scolaires étaient bons. Jusqu’à ce que le ciel s’effondre.

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Modeste, presque timide, Diadji Diop ne se gargarise pas de ces honneurs. Il suit avec détermination un chemin entrevu dès l’enfance. « Je dessine depuis que je suis capable de tenir un crayon, dit-il. Comme beaucoup, j’ai commencé par copier des superhéros, avec toujours une même passion pour le trait réaliste. En autodidacte. » Issu d’une famille plutôt aisée – son père travaillait comme inspecteur de banque, sa mère au sein de l’Idep (Pnud) -, le petit garçon, qui vivait dans un appartement le long des voies de chemin de fer sur la route de Rufisque, se souvient d’une enfance heureuse.

Bien entouré, il fréquentait une école privée et ses résultats scolaires étaient bons. Jusqu’à ce que le ciel s’effondre, l’année de ses 13 ans, avec la mort de son père. Diop se souvient d’ »un homme très joueur, généreux, proche de ses enfants », qui l’encourageait dans son envie de devenir architecte. « Il a choisi de partir, poursuit Diop. C’est bien plus tard que je l’ai appris, et le savoir a donné du sens à mon désarroi. Mais sur le moment, on nous en a protégés.

La douleur, c’était son absence. » Complètement « paumé », selon ses termes, l’adolescent trouve un certain réconfort dans le dessin. « Après son décès, j’ai commencé à avoir envie de construire des hommes, comme pour combler un vide », se souvient-il. Il rêve alors de bandes dessinées, de films d’animations…


Dans le bonheur, devant le Palais de la porte Dorée (Paris). © Manuel Cohen / AFP

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Même si « on ne guérit jamais vraiment », Diadji Diop vit son deuil porté par la force familiale et par ses ambitions créatrices. Une première bande dessinée naît de son crayon : « Le thème était assez osé pour l’époque, c’était l’histoire d’un serial killer qui, à Dakar, voulait tuer tous les homosexuels. Le journal Le Soleil la voulait, mais ils payaient des clopinettes… » Son rêve est désormais plus clair : faire l’école des Gobelins, à Paris.

Après le bac, en 1992, une bonne fée donne corps à ses ambitions. Des amis français, anciens expatriés au Sénégal, l’accueillent à Bondy, dans l’est de Paris, lui permettant d’intégrer l’École d’arts appliqués, une classe préparatoire aux Gobelins. « Je n’avais aucune notion d’histoire de l’art, se souvient-il. C’est à cette époque que j’ai découvert le volume. » Suivant les conseils de ses enseignants, il se présente aussi au concours des Beaux-Arts de Paris, qu’il obtient.

Le galeriste qui accueille aujourd’hui ses oeuvres, dit de lui qu’il possède « le don rare de faire plus que rendre la réalité avec ses mains ».

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Puis, il intègre la prestigieuse école, abandonne l’animation et se lance « à 100 % dans le volume » au sein de l’atelier des matériaux nouveaux (résines, ciment, plastiques). Bertrand Scholler, le galeriste qui accueille aujourd’hui ses oeuvres, dit de lui qu’il possède « le don rare de faire plus que rendre la réalité avec ses mains ».

Diplômé avec les félicitations du jury, Diop expose dès le début des années 2000 et, pour gagner sa vie, enseigne dans des écoles d’art. L’une de ses premières oeuvres, La Résurrection, représentait quatre personnages de couleurs différentes autour d’un corps pris dans la gangue de son moule. Aujourd’hui, ses sculptures, qui valent entre 3 000 et « quelques dizaines de milliers d’euros », sont toutes rouge vif – un rouge qui n’est pas biologique mais symbolique.

« Au début, je représentais les différentes populations par leur couleur. Aujourd’hui, je m’intéresse plus à la matière, qui est plutôt vermillon, qu’à l’enveloppe. J’ai aussi supprimé les cheveux, qui nous distinguent. Notre différence n’est qu’épidermique. »

« C’est un artiste totalement sincère, et c’est rare », dit de lui Bertrand Scholler. Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer la biennale d’art contemporain de Dakar. « Tant qu’elle sera axée sur le travail des Africains, même si ça part d’un bon sentiment, ça ne donnera jamais qu’une image d’artistes de seconde zone, affirme Diop. Je ne veux pas être cantonné à un ghetto culturel. » Cet été, son épouse franco-américaine donnera naissance à son second enfant. Aujourd’hui, il nage dans le bonheur.

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