Royaume-Uni : David Cameron et l’appel du large

Pour être réélu, le Premier ministre va-t-il céder aux sirènes xénophobes et se résoudre à sortir de l’Union européenne ? Son pays aurait plus à y perdre qu’à y gagner.

David Cameron avec la présidente lituanienne (à dr.), et la Première ministre danoise. © ALAIN JOCARD/afp

David Cameron avec la présidente lituanienne (à dr.), et la Première ministre danoise. © ALAIN JOCARD/afp

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 14 juillet 2014 Lecture : 6 minutes.

David Cameron, le Premier ministre britannique, n’a pas réussi à empêcher la nomination à la tête de la Commission européenne de Jean-Claude Juncker, à qui il ne pardonne pas son fédéralisme supposé. Le 27 juin, c’est bel et bien l’ancien chef du gouvernement luxembourgeois que vingt-six chefs d’État et de gouvernement sur vingt-huit ont choisi pour remplacer José Manuel Barroso.

S’ajoutant à la promesse de ce même Cameron d’organiser en 2017 – si, bien sûr, il est réélu en 2015 – un référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union et à la victoire des souverainistes du United Kingdom Independence Party (Ukip) lors des élections européennes du 25 mai, ce camouflet a relancé les spéculations sur un éventuel "Brexit", contraction de British exit, autrement dit une sortie du Royaume-Uni des institutions européennes. Un véritable séisme en perspective.

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Sur le Vieux Continent, il y a ceux que le Brexit réjouit, tel Michel Rocard, qui, dans Le Monde du 5 juin, a publié une tribune au vitriol pour dénoncer l’isolationnisme britannique. "Jamais vous n’avez permis le moindre pas en avant vers un peu plus d’intégration, un peu plus d’espace pour des décisions vraiment communes", écrit l’ancien Premier ministre socialiste français. En imposant que l’unanimité demeure la méthode exclusive de prise de décision, "vous avez voulu la paralysie" de l’Europe. Conclusion : "Partez donc avant d’avoir tout cassé."

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Un traité de libre-échange avec les États-Unis ?

Angela Merkel n’est pas, mais alors pas du tout d’accord : "Je considère comme grossièrement irresponsable et inacceptable la légèreté avec laquelle certains disent qu’il importe peu que le Royaume-Uni reste ou pas membre de l’Union européenne. C’est tout sauf indifférent ou mineur", estime-t-elle. En fait, la chancelière allemande a davantage de points communs avec David Cameron qu’avec François Hollande. L’un et l’autre ont la conviction qu’un traité de libre-échange avec les États-Unis est indispensable. Et ils sont les tenants d’une stricte orthodoxie des comptes publics.

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L’hebdomadaire Der Spiegel a calculé que les États favorables à l’équilibre budgétaire (Allemagne, Royaume-Uni, Pologne, Pays-Bas, Belgique, Suède, Autriche, Danemark, Finlande, Slovaquie, Irlande, Lituanie, Lettonie, Estonie et Luxembourg) représentent 51 % de la population de l’UE. Si le Royaume-Uni s’en retirait, les États dits laxistes pèseraient plus de la moitié de la population de l’UE. Celle-ci risquerait alors de devenir "trop française", trop tentée par le protectionnisme et les déficits, toutes choses que, comme l’on sait, les Allemands ont en horreur.

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À Londres, la situation est confuse. Les anti-Européens tiennent le haut du pavé, et Nigel Farage, le patron de l’Ukip, exulte d’avoir obtenu 27,5 % des suffrages exprimés lors des européennes, ce qui lui a permis de devancer les tories et les travaillistes. La presse n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la gabegie de Bruxelles et la perte d’identité du royaume qui résulterait de l’instauration du fédéralisme européen.

Elle a traîné Jean-Claude Juncker dans la boue en raison de son goût pour le tabac et les boissons fortes. Un tiers des députés conservateurs partagent bruyamment cet euroscepticisme. Travaillistes et libéraux-démocrates restent étrangement silencieux. Dans ce contexte, comment expliquer que les sondages demeurent contradictoires et donnent tour à tour la majorité aux partisans et aux adversaires du Brexit ? La vérité est que l’opinion est très équitablement partagée. Un tiers des personnes interrogées sont pour, un tiers contre et un tiers hésite.

Économie de 8 milliards de livres

Le Royaume-Uni a assurément la possibilité de quitter l’UE. L’article 50 du traité de Lisbonne permet à chaque pays membre de faire jouer une "clause de sortie" après une transition de deux ans. Les avantages d’un tel retrait seraient politiques, le Parlement britannique récupérant son pouvoir législatif, mais aussi budgétaire : le gouvernement économiserait les 8 milliards de livres (10 milliards d’euros) qu’il est actuellement contraint de verser au budget européen.

Sur le plan économique, le profit est moins évident. La fin de la politique agricole commune permettrait aux Britanniques de se fournir sur les marchés mondiaux, ce qui ferait baisser les prix des produits alimentaires, mais ferait perdre aux agriculteurs gallois et nord-irlandais les subventions européennes qui les font vivre.

La croissance serait-elle dynamisée par la disparition du supposé "boulet" communautaire ? Oui, répond un rapport primé par l’Institute of Economic Affairs, une sortie bien gérée de l’UE doperait le produit intérieur brut de 0,1 % à 1 %. Non, rétorque la London School of Economics, car le pays perdrait son accès privilégié au continent, qui absorbe 55 % de ses exportations. La croissance s’en trouverait amputée de 1,1 % à 9,6 %. Un choc comparable à la crise financière de 2008 ! Non, renchérit le Trésor britannique, qui s’attend à ce que 3,3 millions d’emplois soient menacés.

Le Royaume-Uni, qui attire la majorité des investissements venus de l’extérieur de l’UE, pourrait perdre plusieurs milliards de livres dans l’aventure. Nissan, Jaguar et Land Rover (groupe Tata) ont par exemple fait savoir qu’ils hésiteraient à poursuivre leurs investissements dans un pays désormais isolé. Enfin, Francfort tentera de supplanter Londres en tant que première place financière européenne. Les eurosceptiques veulent croire que la City, débarrassée de la réglementation européenne, deviendra une sorte de Singapour. Mais Goldman Sachs a d’ores et déjà annoncé qu’il prévoyait dans ce cas de délocaliser sur le continent ses activités sur les marchés de gros, qui font le bonheur de la City. Directeur de l’Institut d’économie mondiale de Hambourg, Thomas Straubhaar est formel : un Brexit "paralyserait le Royaume-Uni, et non l’Europe continentale".

Les autres États ne veulent pas entendre parler d’une renégociation des traités

David Cameron semble donc coincé. Il n’est personnellement pas favorable à une sortie de l’UE, mais, pour remporter les élections de 2015, il croit indispensable de coller aux thèses xénophobes de l’Ukip. Celles-ci séduisent il est vrai une partie de l’électorat conservateur… Mais, contrairement à ce qu’il espère, les autres États ne veulent pas entendre parler d’une renégociation des traités. Et pas davantage d’une remise en cause de la libre circulation des Européens en son sein.

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De quelles alliances de remplacement dispose-t-il ? Les cinquante-trois pays membres du Commonwealth n’ont aucun lien économique entre eux. Rejoindre la petite Norvège au sein de "l’Espace économique européen" ou signer des accords bilatéraux comme la Suisse n’aurait guère de sens pour un pays qui se veut mondialisé. Sans parler de l’humiliation de devoir conclure une union douanière avec l’UE comme la Turquie !

À caresser son électorat dans le sens du poil isolationniste, le Prime Minister risque donc de transformer la Grande-Bretagne en "Petite-Bretagne", comme s’est moqué Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères. Avec le danger que l’Écosse vote son indépendance le 18 septembre prochain et demande son adhésion à l’UE ! Cameron peut aussi accepter la main tendue par Jean-Claude Juncker, avec lequel il se dit prêt à travailler "pour défendre nos intérêts nationaux".

Il ne fait guère de doute que le nouveau président de la Commission, en vieux routier qu’il est des accords mi-chèvre mi-chou, concocterait alors un compromis permettant "une union sans cesse plus étroite" tout en "respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l’approfondissement", selon les préconisations du Conseil européen du 28 juin.

Le Royaume-Uni s’épargnerait un appauvrissement et l’Union serait préservée. Mais elle deviendrait à géométrie de plus en plus variable.

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