Opposition mauritanienne : Ould Daddah et Ould Boulkheir ne raccrochent pas
Même s’ils ont dû renoncer à leurs ambitions présidentielles en boycottant le scrutin de juin, les opposants Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir ne raccrochent pas les gants.
La présidentielle du 21 juin s’est tenue sans eux. Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir, figures historiques de l’opposition mauritanienne, ont refusé de prendre part à un scrutin qu’ils n’estimaient pas transparent. Les présidents respectifs du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et de l’Alliance populaire progressiste (APP) ont aussi appelé les électeurs au boycott, espérant briser la légitimité de Mohamed Ould Abdelaziz, le chef de l’État sortant.
Sauf qu’"Aziz" a été confortablement réélu avec 81,94 % des voix et que le taux de participation s’est officiellement élevé à 56,55 %. Certes, c’est moins qu’en 2009 (64,58 %), mais plus que les 50 % espérés par le pouvoir. "Le mot d’ordre du boycott a été parfaitement suivi", assure pourtant Ould Boulkheir. Un constat partagé par Ould Daddah, pour qui Nouakchott avait des allures de "ville morte" le jour du scrutin. Toujours est-il que leur décision les renvoie tous deux à une réalité implacable : Ould Boulkheir, 71 ans, et Ould Daddah, 72 ans, peuvent désormais tirer un trait sur la magistrature suprême, l’âge limite étant fixé par la Constitution à 75 ans.
De leurs ambitions présidentielles, ils n’ont jamais fait mystère. Chantre de la cause des Haratines, les descendants d’esclaves (dont il fait partie), Ould Boulkheir a milité pour leurs droits au sein du mouvement El-Hor, fondé en 1978. Réputé pour son franc-parler, il participe en 1991 à la création du Front démocratique uni pour le changement, avant de contribuer à la formation de l’Union des forces démocratiques (UFD), et se présente comme une alternative aux militaires.
Première rupture
Mais lorsque l’opposition décide d’envoyer un candidat unique face à Mouâouiya Ould Taya pour la première véritable présidentielle de l’histoire du pays, en 1992, elle se tourne vers… Ahmed Ould Daddah. Depuis le coup d’État ayant déposé son demi-frère Moktar Ould Daddah, en juillet 1978, l’ex-gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie était en exil en Centrafrique. Il obtient 32,88 % des voix, un score inattendu tant la crédibilité du scrutin était entachée par des soupçons de fraude massive.
"Ce choix marque une première rupture entre Ould Daddah et Ould Boulkheir, note un observateur de la vie politique mauritanienne. Ce dernier, qui se considérait comme le leader naturel de l’opposition, en a retiré une grande frustration."
S’ils boycottent la présidentielle de 1997, les leaders du RFD et de l’APP se présentent à celles de 2003 et de 2007. Lors de cette dernière, ils arrivent respectivement deuxième et quatrième. Après avoir appelé à voter pour Sidi Ould Cheikh Abdallahi au second tour, "Messaoud" hérite de la présidence de l’Assemblée nationale. Quand le coup d’État du général Ould Abdelaziz dépose "Sidi", le 6 août 2008, il devient l’une des principales figures du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), antiputsch.
Ahmed Ould Daddah était candidat à la présidentielle de 1992 et de 2007.
© Laurent Prieur pour J.A.
RFD n’est plus représenté à l’Assemblée nationale
Sur une scène politique divisée entre proputsch et antiputsch, Ahmed Ould Daddah a du mal à trouver sa place. D’un côté, il ne peut soutenir aveuglément la junte sans compromettre ses chances électorales ; de l’autre, il ne peut rejoindre le FNDD, qui lui est hostile car il n’a toujours pas condamné le coup d’État. À moins qu’il n’espère que les militaires soient interdits de présidentielle et le choisissent pour candidat. Ce ne sera pas le cas. En 2009, il sort troisième du scrutin, tandis que Messaoud obtient la deuxième place. Loin derrière "Aziz", qui l’emporte au premier tour avec près de 53 % des voix.
Pendant un an, au sein de la Coordination de l’opposition démocratique (COD, aujourd’hui Forum national pour la démocratie et l’unité), les deux opposants mettent leur vieille rivalité entre parenthèses et appellent à la chute du nouveau régime. En septembre 2011, le Dialogue national avec le pouvoir prévu par l’accord de Dakar (2009) finit par s’engager. Mais seuls quatre partis de la COD, dont l’APP, acceptent d’y prendre part.
L’union vole en éclats, et ces formations se réunissent au sein d’une nouvelle coalition, la Convention pour l’alternance pacifique (CAP). Ould Boulkheir essaie alors de fédérer les différents clans autour d’un projet de gouvernement d’union nationale. En vain. "Quand vous vous efforcez d’endosser le rôle du médiateur pour le bien du pays et que vous êtes boudé par les uns et les autres, c’est vraiment décevant", lâche-t-il, déplorant d’avoir été considéré par la COD comme un "allié du président".
Selon de nombreux observateurs, leur départ pourrait symboliser la disparition de leurs formations.
Il prend part aux élections législatives et municipales en novembre 2013, tandis que la COD, alors présidée par Ould Daddah, les boycotte (hormis les islamistes "modérés" de Tawassoul). Inflexible, ce dernier mise gros. Non seulement il perd son statut de chef de file de l’opposition, mais le RFD n’est plus représenté à l’Assemblée nationale. "Je ne perds pas pour autant ma place sur l’échiquier politique, martèle-t-il avec une pointe d’agacement. Mon parti existait avant et existera après. Nous continuerons de nous battre."
Une chose est sûre : la retraite politique, ni l’un ni l’autre ne veulent l’envisager. Selon de nombreux observateurs, leur départ pourrait symboliser la disparition de leurs formations. Ould Daddah soutient pourtant que "n’importe quelle personne mise à la tête d’un parti l’incarne forcément" et que "la relève existe". Même son de cloche du côté de l’APP, qui assure compter un vaste mouvement de jeunes et avoir lancé un "processus de renouvellement".
Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir appartient au parti APP. © Émilie Régnier
Des "rapports de respect"
Quant à leur dernière présidentielle, les deux opposants, qui disent entretenir des "rapports de respect", assurent ne pas avoir de regrets à son égard. "J’aurais bien aimé que les Mauritaniens me testent en tant que chef de l’État et me différencient ainsi des autres, confie Ould Boulkheir. Hormis cela, je ne vais pas tout jeter et me replier." Ahmed Ould Daddah semble prendre les choses avec philosophie également : "J’ai toujours été ambitieux pour mon pays. Avec de modestes possibilités, j’ai essayé de faire bouger les choses. Ceci étant, personne n’est indispensable."
Dans les prochaines semaines, Ould Boulkheir, qui n’est plus président de l’Assemblée nationale, va retrouver le Conseil économique et social – à la tête duquel il a été nommé en mars – et tenter de réformer ce qu’il considère comme une "coquille vide". Quant à Ould Daddah, il vient de participer au Mexique à l’ouverture des travaux du Conseil de l’Internationale socialiste, dont il est le vice-président. Puis il a rendu visite à son fils à Dayton (États-Unis) pour "se balader un peu, changer d’air". Une courte trêve, loin de Nouakchott.
Le scénario pour 2019
Pour le moment, aucun dauphin ne se distingue, ni du côté d’Ahmed Ould Daddah, ni du côté de Messaoud Ould Boulkheir. En vue de la présidentielle de 2019, le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), qui compte le Rassemblement des forces démocratiques d’Ould Daddah dans ses rangs, pourrait opter pour une candidature unique. Vu les très bonnes relations entre ce dernier et Mohamed Ould Maouloud, le leader de l’Union des forces de progrès (UFP), il est probable que celui-ci soit désigné. Et si l’Alliance populaire progressiste (APP) d’Ould Boulkheir ne présente pas de candidat, beaucoup de ses jeunes électeurs pourraient se tourner vers le militant antiesclavagiste Biram Dah Ould Abeid, ainsi que vers Samory Ould Bey, l’un des leaders du mouvement El-Hor.
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