Mali – RDC : Nkulu Kalumba, un long chemin vers la liberté
À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin, « Jeune Afrique » et le HCR au Mali ont organisé un concours de journalisme. C’est l’article d’une jeune étudiante bamakoise de 20 ans, Espérance Kissoki, que nous avons choisi de publier.
Nkulu Kalumba ne retournera jamais en RD Congo. Elle y a renoncé. Aujourd’hui, à 58 ans, elle est installée à Bamako et préside, depuis 2007, l’Union des réfugiés du Mali. Loin, très loin de Lubumbashi, la ville qui l’a vue naître dans la province du Katanga.
C’est en 1997 que sa vie a basculé. À l’époque, Laurent-Désiré Kabila cherche à renverser Mobutu Sese Seko avec l’aide des armées rwandaise et ougandaise. Le mari de Nkulu est un kadogo ("petit", en swahili), un Congolais recruté en chemin par Kabila.
Il est tué cette même année dans des combats contre des éléments de la Division spéciale présidentielle (DSP) de Mobutu. À partir de ce moment-là pour Nkulu, qui est déjà mère de huit enfants, tout va de mal en pis : comme elle a le teint métissé, on la prend pour une Rwandaise. Puis quatre de ses fils, âgés de 15 à 24 ans, sont enlevés dans la maison où ils avaient trouvé refuge, à Kinshasa.
Ils ont été dénoncés par des voisins. "Le plus jeune avait dix ans, se souvient-elle. Il n’en réchappa que parce qu’il était caché sous le lit. C’est ce jour-là que j’ai compris qu’il fallait fuir." Nkulu emmène avec elle les trois filles et le garçon qui lui restent, ainsi que sa petite fille – l’enfant qu’a eu son aînée et qui n’a pas encore 2 ans.
"L’épisode le plus dur de ma vie"
Parfois en bateau, parfois en charrette, souvent à pied, Nkulu et sa famille ainsi que d’autres réfugiés traversent le Congo, rejoignent Franceville, au Gabon, puis le Cameroun. De là, direction le Niger, puis le Burkina et enfin Koury, dans l’est du Mali. Le voyage est long et pénible. Certains des compagnons de voyage de Nkulu ont préféré s’installer dans les pays qu’ils ont traversés.
"Ce fut l’épisode le plus dur de ma vie, raconte-t- elle. À chaque fois, il fallait travailler avant de franchir la prochaine étape. J’ai vu des mères obligées de se prostituer pour nourrir leurs enfants. Les miens, même les plus petits, faisaient la vaisselle tandis que je faisais le ménage. Et à chaque fois, même si on ne restait que quelques jours, il fallait s’adapter pour être accepté. Je n’ai jamais connu une telle misère !"
Le sort s’est acharné sur la famille Kalumba.
Si Nkulu et ses enfants restent plus longtemps que prévu à Koury, c’est grâce à l’ONG Médecins sans frontières et à Fanta, une Malienne rencontrée au Niger. Fanta a autrefois vécu en RD Congo, parle lingala et envoie Nkulu vivre chez sa soeur Kadi, à Koury. Arrivée en 2003, elle y restera près de deux ans. Elle travaille aux champs pendant que ses enfants font la vaisselle ou la lessive pour gagner un peu d’argent.
Mais le sort s’acharne sur la famille Kalumba. Alors que l’une de ses filles vient de mourir à Koury, Nkulu apprend que son dernier fils est atteint d’une tumeur au cerveau. Il est transféré à Bamako pour y être opéré, et survit. "La mort ne l’a pas eu, soupire Nkulu, alors elle s’est ensuite attaquée à ma fille aînée et me l’a arrachée. Je dois aujourd’hui m’occuper de sa fille, celle qui était bébé lorsque nous avons fui la RD Congo. À 16 ans, elle n’a plus ni père ni mère, mais a développé une scoliose. Elle a trop été portée sur le dos pendant notre fuite."
Construire le succès sur les ruines de nos vies
À Bamako, Nkulu Kalumba finit par demander le statut de réfugié "pour être en sécurité et ne plus avoir à fuir". Dans son association, elle veut aider d’autres réfugiés et les femmes, surtout les femmes, "parce qu’elles ont du mal à subvenir aux besoins de leurs enfants". Aujourd’hui, continue-t-elle, ses deux enfants sont adultes : "Ils ont étudié et ont une nouvelle chance dans la vie. Mais la guerre a déchiré ma famille. Elle m’a tout pris."
Nkulu Kalumba ne retournera pas au Congo "parce [qu’elle] n’a plus rien là-bas". Elle n’a jamais eu de nouvelles de ses quatre fils enlevés en 1997, mais n’a pas renoncé à les retrouver un jour. "Je veux aussi, conclut-elle, que la guerre se termine. Que les hommes cessent de construire leurs succès sur les ruines de nos vies."
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