Djibouti : le qat assoupit l’économie nationale
Pendant quarante-huit heures, à la mi-septembre, les camions chargés de qat qui descendent en mode Mad Max des hauts plateaux éthiopiens ne sont pas arrivés à Djibouti.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 22 novembre 2017 Lecture : 2 minutes.
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« Ce fut une journée colorée, joyeuse, agréable et personne n’en est mort », écrit le quotidien La Nation, avant d’ajouter : « Et s’il en était ainsi tous les jours ? » Pour les accros à cette plante – 70 % des hommes, 20 % des femmes, dit-on – que compte la République de Djibouti, cette perspective relève de l’impensable tant la mastication de ses feuilles bourrées de principes actifs aux effets proches de ceux des amphétamines relève du lien social, de l’identité commune et de la convivialité assumée.
Le qat assouplit littéralement l’économie nationale, à partir de 15 heures et jusqu’au coucher du soleil
Importées d’Éthiopie par vol matinal et mises en vente à la mi-journée sur des centaines d’étals entre 400 et 5 000 francs djiboutiens (de 2 à 26 euros) la botte, selon la qualité et la fraîcheur, les dix à douze tonnes quotidiennes de qat assoupissent littéralement l’économie nationale, à partir de 15 heures jusqu’au coucher du soleil. Dans les « mabrazes », ces salons qui sont aux Djiboutiens ce que les « grains » sont aux Maliens, on broute en groupe, loin des grands vents de la mondialisation et des clivages politico-ethniques internes.
Une interdiction impossible
Interdire l’importation et la consommation du qat ? L’ex-président Hassan Gouled Aptidon s’y est essayé au lendemain de l’indépendance, avant de se rendre compte que cette mesure n’avait fait qu’alimenter une contrebande féroce. Plus récemment, en septembre 2016, le gouvernement somalien a cru bon de faire de même : la mesure a tenu une semaine ! C’est que les enjeux économiques de l’empire du qat sont considérables, non seulement en Éthiopie, où cet arbuste rapporte à l’État presque autant d’argent que le café, mais aussi au Yémen, dont il est la principale culture, au Kenya, qui alimente le marché somalien, et à Djibouti même, où sa distribution fait vivre des centaines de revendeuses et représente, sous forme de taxes, 15 % des recettes fiscales du Trésor.
Pourtant avérés, les effets négatifs sur la santé des consommateurs, le budget des ménages, les équilibres familiaux et l’environnement pèsent apparemment de peu de poids par rapport à ce qu’il faut bien appeler une dépendance nationale.
À l’heure où Djibouti s’affirme en hub incontournable sur l’une des plus grandes voies maritimes de la planète, force est pourtant de constater que cette habitude physiologique et culturelle est un obstacle et une obsolescence. S’engourdir chaque après-midi que Dieu fait et les vendredis en prime sous l’effet d’un narcotique, même léger, pose un problème et devrait susciter un débat qui transcende les affrontements politiques – il est d’ailleurs intéressant de constater que l’opposition ne le pose pas. Si décréter l’interdiction du qat n’est sans doute pas la solution, c’est par l’éducation et la pédagogie que passe le sevrage. Et le constat répété qu’une « journée sans » peut être une « journée agréable ». Djiboutiens, encore un effort !
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