Au bonheur des Français

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la nouvelle classe politique française adore user de l’expression « réparer la France ».

Le président français Emmanuel Macron, lors d’une tournée en Europe de l’Est en août 2017. © Vadim Ghirda/AP/SIPA

Le président français Emmanuel Macron, lors d’une tournée en Europe de l’Est en août 2017. © Vadim Ghirda/AP/SIPA

Fawzia Zouria

Publié le 17 novembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Je suis allée chercher les synonymes de ce verbe et j’ai trouvé, entre autres : retoucher, rafistoler, bricoler, rajuster, recoller, empailler. J’en ai conclu que le président Macron et son équipe ne sont pas loin de concevoir la France comme un vieil engin cassé ou un corps atteint et qu’il faut soigner ; ce n’est pas pour rien qu’il est tant question d’ordonnances dans ce gouvernement !

Visualisons la chose. Un pays perçu comme un appareil endommagé et un peuple qui s’apparente à une armée de « contribuables captifs ». Il est question d’outils d’efficacité, de moyens d’investissements, de bilans et de bénéfices propres à faire de vous « quelque chose » ou « rien ». La référence politique ou sociale disparaît au profit d’un nouveau concept : l’appartenance à la grande ou à la moyenne entreprise.

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De bons produits

Chaque Français est jugé apte ou pas à entrer « en saine concurrence », selon des « solutions financières » et autres « rénovations drastiques de la comptabilité publique et des critères de bonne gestion dérivés », comme diraient les docteurs de l’économie. Petit à petit, le mérite des citoyens que nous sommes se confond avec notre capacité à être de bons produits qu’on peut vendre sur le marché du travail sans qu’ils coûtent trop cher. Ça s’appelle le rapport qualité-prix. Nos volontés sont des « pôles de compétitivité » et nos sentiments des « valeurs comptables nettes ».

Si le salut de l’entreprise le nécessite, il faudra étouffer nos émotions, tailler dans nos principes, revoir à la baisse la cotation de nos rêves. Et si nous commençons à donner des signes de fatigue, il conviendra de nous remettre aux normes et d’élaguer l’humain en nous, quitte à faire appel au Medef, ce sage syndicat de patrons cousu de billets de banque, qui verra ce qu’il faut faire devant la baisse de nos pouvoirs pécuniaires. S’il n’y a plus aucun espoir de nous rendre utilisables ou solvables, il faudra diminuer nos subsides et nous laisser mourir, car nous serons en « cessation totale de paiements ».

Du rapport humain au rapport marchand

Dans ce processus de macronisation annoncé, se marier ne serait plus qu’une affaire de « cofinancement » de deux fortunes, ou de deux misères. Le bon parti serait celui qui est « structurellement rentable ». On dira de nos relations amicales qu’elles « fluctuent ». On parlera de « croissance » pour nos enfants, en référence non pas à leur morphologie mais à leur indice de développement humain ou au PIB, et l’on mesurera leur avenir à l’aune des « taux d’intérêt ».

L’on distinguera les « futurs agents utiles » de ceux qu’il faudra jeter au rebut, capables qu’ils sont de « foutre le bordel ». L’on ne parlera plus d’aimer tout court, mais d’« aimer ouvrir une franchise », ou d’« aimer augmenter sa fortune » ; non plus de « secrets de famille », mais de « secrets de réussite » ; non plus d’histoire de France, mais de « transferts de système suédois ou finlandais » ; non plus des valeurs de la Révolution de 1789, mais des « outils du compromis scandinave ».

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Briser le lien social

Qui est le chef de ce chantier de remise en marche ? L’État. Et comme il est le chef, il usurpe nos traits humains, on n’arrête pas de nous parler de sa « moralité », de son « éthique », de « l’amour » qu’il a pour nous, de ses « vertus » réparatrices. Sauf qu’il s’avère que réparer, pour lui, c’est moins souvent remettre en état que remettre à l’État.

Vous l’avez compris : le verbe réparer ne rime plus avec concilier, associer, accompagner, relier… Il en est venu à désigner son contraire : briser. Le lien social comme les partis traditionnels. La solidarité avec les plus pauvres comme le rêve d’un projet commun. Qu’adviendra-t‑il de la France demain ? Je ne sais pas prédire l’avenir, mais, franchement, à choisir, je préfère Cassandre à Jupiter.

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