Procès Gbagbo – Répression de la marche d’Abobo : « Nos hommes n’y étaient pas », assure Firmin Detoh Letoh

Le général Firmin Detoh Letoh, ex-commandant des Forces terrestres de l’armée fidèle, est actuellement entendu comme témoin à la barre de la Cour pénale internationale, dans le cadre du procès de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé. Au troisième jour, il a notamment affirmé n’avoir rien à voir avec la répression sanglante de la marche des femmes, à Abobo en mars 2011.

Le général Firmin Detoh Letoh, le mercredi 8 novembre 2017, lors de son audition devant la CPI. © DR / Capture d’écran CPI

Le général Firmin Detoh Letoh, le mercredi 8 novembre 2017, lors de son audition devant la CPI. © DR / Capture d’écran CPI

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Publié le 10 novembre 2017 Lecture : 5 minutes.

Au troisième jour de son témoignage au procès de Laurent Gbagbo et de son bras droit Charles Blé Goudé, à la Cour pénale internationale (CPI), ce mercredi 9 novembre 2017, le général Firmin Detoh Letoh, ex-commandant des Forces terrestres de l’armée, est revenu sur le bombardement des positions de l’armée restée loyale à Laurent Gbagbo à Akouédo par l’aviation de l’opération Licorne de l’armée française, en avril 2011.

Il a également abordé les exactions commises par les ex-Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) de Guillaume Soro, et est revenu à nouveau sur la répression d’une marche de femmes favorables à Alassane Ouattara, à Abobo, lors de la crise postélectorale.

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• Bombardement de positions pro-Gbagbo par l’armée française

Une colonne de blindés de l'armée française croise un patrouille des Forces républicaines, en avril 2011 à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Une colonne de blindés de l'armée française croise un patrouille des Forces républicaines, en avril 2011 à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Je leur ai dit que s’ils attaquaient l’ancien camp d’Akouédo, le village allait prendre un coup

« L’école de gendarmerie d’Abidjan, le nouveau camp d’Akouédo [à Abidjan, NDLR] ont été attaqués par l’aviation française. L’ancien camp d’Akouédo également. Nos éléments qui étaient à l’ouest du pays, ont été également attaqués, d’où leur repli à Abidjan. Nous avions une position au niveau de Tiébissou [dans le centre, NDLR] qui a été attaquée. Nos éléments qui étaient à Bondoukou ont été attaqués. Le 3ème Bataillon à Abidjan a été également attaqué. »

« Le Basa (Bataillon d’artillerie sol-air) a été attaqué par l’aviation française. Si vous y allez, aucun bâtiment n’existe aujourd’hui car tout a été pulvérisé par l’aviation de l’armée française. Je le sais, parce que les pilotes sont partis de l’hôtel du Golf. Je connaissais deux capitaines de l’armée française qui sont partis  de l’hôtel du Golf. »

« Au niveau des attaques des camps militaires et des positions intérieures, ce sont les FAFN qui nous attaquaient. Il y avait du monde. Mais principalement, ce sont les hommes venus du nord qui nous attaquaient. »

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« Au niveau de l’aviation, je dis que c’est l’armée française parce que – étant à l’hôtel du Golf -, j’ai participé à une réunion où il était question d’attaquer l’ancien  camp d’Akouédo. Et j’ai fait savoir aux pilotes qu’au niveau de l’ancien camp d’Akouédo, il y avait des civils. Il y a plus de trois mille âmes au sein de l’ancien camp d’Akouédo. Je leur ai dit que s’ils attaquaient l’ancien camp d’Akouédo, le village allait prendre un coup, parce que la poudrière principale d’Abidjan se trouve dans ce camp, qui est à 250 mètres du village à vol d’oiseau. De ce fait, le village pourrait être anéanti. C’est ainsi qu’ils ont laissé l’ancien camp pour bombarder  le nouveau camp. »

• Face aux ex-rebelles « c’était infernal »

Des soldats fidèles à Ouattara, à Abidjan, en avril 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Des soldats fidèles à Ouattara, à Abidjan, en avril 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Les rebelles étaient très armés, comme une armée régulière

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« Au niveau  d’Abobo, les rebelles tuaient nos éléments. A Abobo, le gardien de l’antenne de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI, média public) qui s’y trouvait a été brûlé, lui et ses enfants. Ce qui explique que nos éléments se sont  retranchés au camp commando d’Abobo. Ils ne sortaient seulement que pour le ravitaillement et cela était très difficile. »

« Des militaires ont été brûlés chez eux. A Anonkoua-Kouté, un village situé à Abobo, les populations ont été massacrées et il y a eu beaucoup de morts. C’était infernal pour nos éléments. C’était la même situation à Koumassi, à Boribana, à Yopougon… dans tous les quartiers. Seule la commune de Cocody était sous notre contrôle. »

« Les rebelles avaient des Kalachnikov, des 14.7, des 12.7 montés sur des véhicules, des obus. En tout cas, ils étaient très armés, comme une armée régulière. »

• Répression de la marche des femmes d’Abobo

Manifestation à Abobo, le 8 mars 2011, une semaine après la répression de la marche des femmes qui a fait sept victimes. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Manifestation à Abobo, le 8 mars 2011, une semaine après la répression de la marche des femmes qui a fait sept victimes. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Ce ne sont pas nos hommes. Ils ne pouvaient pas sortir d’Abobo

« Nous étions au même niveau d’informations, quand nous avons appris qu’une marche serait réprimée à Abobo et qu’il y aurait eu sept femmes qui auraient été tuées. Personne ne sait si c’étaient nos hommes qui étaient responsables de ces tueries, alors qu’ils n’ont pas bougé. »

« Chaque fois, je me suis interrogé sur ce dossier pour savoir où est-ce que la marche a eu lieu précisément. Quand vous prenez par la Casse, en passant par Filtisac, pour arriver à Abobo, le premier grand carrefour, c’est le point Anador et nos éléments n’y étaient pas. Quand on arrive à Abobo, devant la mairie, nos éléments qui y étaient ne pouvaient pas être là-bas. Donc, tous les éléments d’Abobo, depuis plus de deux semaines, se trouvaient dans le camp commando d’Abobo. A ce moment, à Abobo, nous n’avions personne au dehors, je le confirme et je le maintiens. Si d’autres sont venus, là je n’en sais rien. Ce ne sont pas nos hommes. Ils ne pouvaient pas sortir d’Abobo. »

• Bombardement d’un marché à Abobo

Une femme observe les décombres fumantes au marché d'Abobo, pendant la crise postélectorale, le 4 mars 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Une femme observe les décombres fumantes au marché d'Abobo, pendant la crise postélectorale, le 4 mars 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Le commandant Abehi a dit qu’il partait nettoyer Abobo. Mangou lui a dit de ne pas prendre des initiatives

« La veille [du bombardement], j’ai reçu un coup de fil avec un numéro anonyme. Immédiatement, le 16 au soir, j’ai appelé le Cema pour lui rendre compte. Mais avant de le faire, j’ai appelé les éléments qui étaient sur le terrain. Les éléments du carrefour Samaké d’Abobo m’ont dit qu’il n’y avait aucun incident à leur niveau. J’ai appelé ceux qui étaient au camp commando d’Abobo. Ils m’ont dit la même chose. »

« J’ai appelé ceux qui étaient à l’université d’Abobo-Adjamé, ils m’ont dit qu’ils auraient vu le commandant Jean-Noeël Abéhi [ex-commandant du Groupement d’escadron blindé – GEB, NDLR] sortir avec des jeunes pour aller en direction d’Abobo. J’ai appelé le général Philippe Mangou pour lui rendre compte. Il m’a dit après qu’il a appelé le commandant Abehi. Ce dernier lui aurait dit qu’il partait nettoyer Abobo. »

« Mangou lui a dit de ne pas prendre des initiatives. En tout cas, il lui a dit de ne pas prendre des initiatives. Mangou a dit à Abehi qu’il ne veut pas le voir là-bas. C’est l’entretien que j’ai eu avec le chef d’état-major des armées, au sujet des coups de feu qui se sont produits, dans la nuit du 16 au 17 mars 2011. »

« Techniquement, il était impossible que les tirs qui ont visé ce marché proviennent du camp commando d’Abobo. Le mortier de 60 mm  va à 1 200 m. La distance qui sépare le marché du camp commando est de plus de 1 500 m. De même, les immeubles auraient empêché le tir. »

« Ça peut se faire sur un immeuble, mais quel immeuble ? Vu toutes les difficultés qu’ils éprouvaient au camp commando… Ils sécurisaient seulement leur cantonnement. Une nuit, ils ont été attaqués. Hier [mardi 8 novembre NDLR], vous avez demandé s’il y avait eu des enquêtes là-dessus. Quant à moi, je n’ai pas mené d’enquête. Un tir de mortier laisse toujours des impacts. Est-ce qu’il y a eu des impacts dans le marché ? C’est le bureau du procureur qui peut nous éclairer. S’il y a eu des impacts, il y a eu combien d’obus tirés ? »

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