Le monde se pacifie
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 16 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.
Nous avons l’impression de vivre dans un monde de grande violence. Certaines de ses régions comme le Moyen-Orient sont plus souvent frappées, et les éruptions y sont plus meurtrières ; c’est le cas en ce moment.
D’autres contrées sur d’autres continents – l’Ukraine en Europe, par exemple – sont, elles aussi, touchées par ces éruptions de violence qui se déplacent ainsi d’une partie du monde à l’autre.
Mais notre impression ne traduit pas la réalité ; nous sommes victimes d’une illusion d’optique : les anthropologues, les historiens et l’ensemble des chercheurs qui ont étudié le phénomène de la guerre et son évolution depuis des millénaires sont en effet unanimes à constater que, siècle après siècle, la violence a considérablement diminué.
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Notre impression que la violence s’accroît vient du fait que nous sommes de plus en plus nombreux à être de mieux en mieux informés. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, le monde se pacifie.
Ces mêmes chercheurs rappellent que nous sommes depuis toujours programmés pour surréagir à la violence et que, à l’âge de pierre, les tribus s’affrontaient pour la nourriture et l’espace vital ; à cette époque lointaine, 10 % à 20 % des humains disparaissaient de manière violente, contre moins de 1 % aujourd’hui.
Les armes sont devenues plus meurtrières, certes, mais les outils défensifs ont eux aussi fait d’énormes progrès.
Les États se sont constitués à l’intérieur de frontières reconnues et acceptées. Il n’est donc plus nécessaire de conquérir un territoire pour accéder à ses ressources.
Les guerres civiles ont remplacé peu à peu les guerres entre États, de plus en plus rares et "supervisées" par le système des Nations unies.
Depuis le début du XXIe siècle, les guerres civiles elles-mêmes ont régressé !
Oui, le monde s’est relativement pacifié : depuis qu’il est sorti de la guerre de 1939-1945, planétaire celle-là et qui a fait près de cent millions de morts, il n’a plus été secoué, ces dernières décennies, que par des guerres locales, dont celles de la décolonisation (Indochine, Algérie, notamment).
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Une exception notable : le Moyen-Orient.
À la différence des autres, cette région n’a guère connu la paix en soixante-dix ans. Une vingtaine de conflits y ont éclaté entre États – ou à l’intérieur de jeunes États créés, par les circonstances, à l’intérieur de frontières artificiellement établies.
Foyer historique des trois grandes religions monothéistes et creuset de leurs querelles, exceptionnellement riche en hydrocarbures, situé entre l’Est et l’Ouest alors en pleine guerre froide, le Moyen-Orient a vu ses États transformés en pions sur l’échiquier de ce conflit qui aura duré quarante-cinq ans et divisé le monde en deux blocs.
Dessinée il y a près d’un siècle par la France et le Royaume-Uni, les deux grandes puissances de l’époque, la carte de la région a subi :
o la création de l’État d’Israël en 1948 et l’arrivée continue de plusieurs millions de Juifs. Avigdor Lieberman, actuel ministre des Affaires étrangères de cet État, a déclaré qu’il faut faire venir 3,5 millions de Juifs de plus pour atteindre la masse critique de 10 millions de Juifs en Israël ;
o la guerre Iran-Irak (1980-1988) ;
o la guerre internationale contre l’Irak de Saddam Hussein pour le chasser du Koweït (1990-1991) ;
o l’invasion américaine de l’Irak en 2003 pour renverser Saddam Hussein.
Cette carte a fini par céder sous les coups qui se sont succédé, et nous assistons aujourd’hui à la désintégration de ce Moyen-Orient du XXe siècle.
Nul ne sait par quoi il sera remplacé ni quand émergera celui du XXIe siècle.
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Ce que l’on sait, en revanche, c’est que, gage d’instabilité, il souffre de deux maux : l’inégalitarisme et le surarmement.
1) Inégalitarisme
L’économiste Thomas Piketty a souligné que cette région est la plus inégalitaire du monde et que les tensions créées par les disparités sont l’une des principales causes du désordre qui y règne :
"Si l’on examine la région allant de l’Égypte à l’Iran, en passant par la Syrie, l’Irak et la péninsule Arabique, soit environ 300 millions d’habitants, on constate que les monarchies pétrolières totalisent 60 % du PIB régional, pour 10 % de la population. Une minorité des habitants des pétromonarchies s’approprie une part disproportionnée de cette manne, alors que de larges groupes (femmes et travailleurs immigrés notamment) sont maintenus dans un semi-esclavage.
Et ce sont ces régimes qui sont soutenus militairement et politiquement par les puissances occidentales, trop heureuses de récupérer quelques miettes pour financer leurs clubs de foot.
En 2013, le budget total dont disposent les autorités égyptiennes pour financer l’ensemble des écoles, collèges, lycées et universités de ce pays de 85 millions d’habitants est inférieur à 10 milliards de dollars. À quelques centaines de kilomètres de là, les revenus pétroliers s’élèvent à 300 milliards de dollars pour l’Arabie saoudite et ses 20 millions d’habitants, et dépassent 100 milliards de dollars pour le Qatar et ses 300 000 Qataris."
2) Surarmement
La plupart des pays consacrent entre 1 % et 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à leurs dépenses militaires.
Les États-Unis, gendarme du monde, leur allouent entre 4 % et 5 %.
Au Moyen-Orient, Israël et l’Arabie saoudite battent des records mondiaux avec respectivement 7 % et 9 %.
Les deux pays étant riches, ces pourcentages donnent une dépense cumulée annuelle de l’ordre de 75 milliards de dollars, deux fois celle de la France, puissance nucléaire.
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Il n’est rien de plus urgent que de faire en sorte que ce Moyen-Orient instable et compliqué s’apaise à son tour, à l’instar du reste du monde.
Mais nul ne sait à qui il revient de s’atteler à la tâche et par quel bout la prendre.
Peut-être y verrons-nous plus clair dans quelques jours si les pays du P5+1 et l’Iran, qui négocie sa sortie de "l’axe du mal", parviennent à un accord durable sur le programme nucléaire de la République islamique.
Mais même un tel accord ne constituerait, selon le jugement de l’ambassadeur américain Thomas Pickering, que "le tout début d’un commencement de détente…"
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