RDC – Me Kapiamba : « Le clientélisme a totalement détruit la justice congolaise »
Après le scandale autour de la mort d’une petite fille d’un an et demi en détention à Kinshasa, le président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), Georges Kapiamba, livre, amer, sa critique de la justice congolaise. Interview.
Tout est parti d’une simple et banale affaire de vol. En février, Mandiangu Lukaku est accusé d’avoir dérobé une chaise en plastique qu’il prétend avoir achetée quelques jours plus tôt à Kinshasa. La police l’arrête, alors qu’il est accompagné de sa petite fille d’un an et demi. Sur décision du major de police, ils sont placés en détention à la prison de Makala pendant trois journées, sans boire ni manger. L’enfant décède dans le cachot.
L’affaire bouleverse la société kinoise. Sur Molière Télévision, Mandiangu Lukaku accuse les geôliers de les avoir incarcérés, lui et sa fille, dans des conditions déplorables, malgré ses plaintes concernant la santé de son enfant. Le père, en liberté provisoire, a depuis intenté une action en justice pour obtenir réparation mais craint que l’affaire ne soit étouffée. Le corps de la petite fille, lui, se trouve toujours à la morgue de l’hôpital général de Kinshasa.
Dans un entretien à Jeune Afrique, Me Georges Kapiamba, le président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), revient sur cette affaire et sur les dérives du système judiciaire congolais.
Jeune Afrique : Que vous évoque l’affaire Mandiangu Lukaku ?
Me Georges Kapiamba : Il s’agit d’un abus de pouvoir du major de police qui, au lieu de laisser l’officier de police judiciaire prendre sa décision en fonction des éléments du dossier, a usé de son influence en le forçant à placer en détention une personne qui ne devait pas l’être, pour des faits qui n’étaient pas graves. De plus, Mandiangu Lukaku a été placé en détention avec sa petite fille d’un an et demi dans des conditions déplorables, ce qui, selon les règles de la procédure, est interdit.
Les policiers cherchaient à pousser Mandiangu Lukaku à donner de l’argent pour obtenir sa liberté.
Cette affaire est-elle révélatrice de l’ensemble du système judiciaire congolais ?
Ces pratiques sont communes en RDC, de Kinshasa à la région du Katanga, en passant par le Kivu. Les chefs de la police interviennent régulièrement dans les dossiers judiciaires pour faire pression. En l’occurrence, ils cherchaient à pousser Mandiangu Lukaku à donner de l’argent pour obtenir sa liberté. L’association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) n’a cessé de se plaindre, de mener des plaidoyers contre ces pratiques mais elles sont restées sans sanctions. Le régime en place tolère, encourage ou se tait. Les gens se soutiennent, se protègent, c’est le système judiciaire en RDC.
Les doléances de la société civile sont-elles prises en compte par l’État ?
Les doléances de la société civile ne sont pas du tout prises en compte. Le gouvernement réagit à tous nos rapports de dénonciation en tentant de les banaliser. Les autorités judiciaires ne font absolument rien. Le clientélisme a totalement détruit la justice congolaise. La plupart des acteurs judiciaires sont dépendants des autorités puisqu’ils leur doivent une nomination ou une promotion. Dans le passé, les magistrats qui méritaient leur place ont tenté d’affirmer leur indépendance mais ils ont tous été renvoyés par vagues successives. Pour eux, nous continuons de nous battre, en vain.
les magistrats qui méritaient leur place ont tenté d’affirmer leur indépendance mais ils ont tous été renvoyés par vagues successives.
Quels combats menez-vous pour mettre un terme à ces pratiques ?
Nous insistons sur la fin de l’impunité et la nécessité de revaloriser la sanction. Lorsqu’un chef administratif abuse de sa position pour influencer négativement le travail d’un officier de police judiciaire, lorsque ces faits sont portés à la connaissance des autorités politico-administratives ou judiciaires, il faut qu’une enquête judiciaire indépendante soit immédiatement menée et que les auteurs des faits soient identifiés et questionnés devant une autorité judiciaire compétente, sans subir de trafics d’influence. Toute corruption, tout abus de pouvoir doivent être sanctionnés.
Nous voudrions également que la fonction de l’officier de police judiciaire soit revalorisée, que l’État lui donne les moyens de jouer son rôle puisqu’il est aujourd’hui totalement négligé sur le plan socio-professionnel et perçoit un salaire misérable.
Où en est la procédure aujourd’hui ?
Une plainte de Mandiangu Lukaku a été déposée auprès de l’auditorat militaire qui est compétent pour enquêter sur les faits concernant les agents de police. Mais seul l’officier de police judiciaire a été arrêté et se trouve à la prison de Ndolo, alors qu’il a exécuté un ordre manifestement illégal. En revanche, le donneur d’ordres est en liberté. Nous tentons d’arracher le dossier des mains du colonel de l’auditorat puisqu’il a fait preuve de partialité. Nous aimerions qu’un magistrat indépendant et intègre s’occupe de cette affaire. Mandiangu Lukaku est quant à lui en liberté provisoire, poursuivi devant le tribunal de grande instance de Gombe pour vol. L’affaire a été renvoyée.
Aujourd’hui, nous déplorons surtout le fait que le corps de la petite fille se trouve toujours à la morgue.
Comment la société kinoise a-t-elle réagi à ce fait divers ?
La société kinoise a été très émue par l’histoire de cette petite fille. Les proches de Mandiangu Lukaku, qui nous avaient contactés, ont témoigné en direct sur Molière Télévision. Les autorités ont été dans l’obligation de réagir, en arrêtant notamment l’officier de police judiciaire pour rassurer l’opinion. Mais le major a été épargné parce son frère est le colonel qui instruit le dossier à l’auditorat. Aujourd’hui, nous déplorons surtout le fait que le corps de la petite fille se trouve toujours à la morgue. La famille n’a pas la possibilité de récupérer le corps puisque les autorités font blocage. Nous avons l’impression qu’ils veulent laisser passer la tension pour organiser des obsèques dans l’indifférence totale.
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Propos recueillis par Emeline Wuilbercq
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