Algérie : les élections locales face au spectre de l’abstention
Les Algériens reprennent le chemin des urnes ce jeudi pour élire leurs responsables locaux. Enjeu principal de ce scrutin marqué par une campagne morose : (re)mobiliser les électeurs. Reportage.
Vendredi 17 novembre, quelques minutes avant la prière. Habillés de gilets oranges, quelques militants longent les trottoirs clairsemés de la célèbre rue Didouche Mourad, en plein cœur d’Alger-Centre. Dans leur marche, ils distribuent des prospectus appelant à voter pour le maire sortant, Abdelhakim Bettache. Un sympathisant tente de convaincre deux hommes, assis en terrasse autour d’un café : « Si vous l’élisez, vous votez pour l’indépendance ». Vainqueur il y a cinq ans sous l’étiquette du Mouvement populaire algérien (MPA), le parti dirigé par l’ex-ministre du Commerce Amara Benyounes, Abdelhakim Bettache se lance cette année seul dans la bataille des élections locales.
Jeudi 23 novembre, près de 23 millions d’électeurs algériens sont appelés aux urnes pour choisir leurs représentants locaux. Le dépouillement des bulletins désignera les nouveaux membres des quelques 1 500 assemblées populaires communales (APC) et 48 assemblées populaires de wilaya (APW).
La campagne électorale, qui s’est officiellement terminée dimanche 19 novembre, a été marquée par la participation de nombreuses factions politiques. Seul Jil Jadid, le parti fondé par Sofiane Jilali, reste inflexible sur la question du boycott et continue de refuser de prendre part à tout processus électoral.
Le régime a réussi à distiller le mensonge que tous les partis se valent », se plaint Réda Boudraa (RCD)
Jusqu’au bout, les partisans des différents candidats en lice auront essayé de persuader les électeurs de se rendre jeudi dans les bureaux de vote. Mais après le camouflet des élections législatives, qui se sont tenues en mai dernier et pour lesquelles à peine un tiers des électeurs avait fait le déplacement (et seulement 10% des votants établis à l’étranger), la plupart des formations politiques redoutent une nouvelle hémorragie.
Au siège algérois du Rassemblement culturel et démocratique (RCD), à la façade et aux murs tapissés d’affiches électorales, le spectre d’une forte abstention hante les discussions. Avec neuf élections au compteur, Réda Boudraa a beau être rompu à l’exercice, ce militant chevronné reconnaît que les campagnes sont de plus en plus difficiles.
« Inciter les gens à aller voter est vraiment devenu ardu. Le régime a réussi à distiller le mensonge que tous les partis se valent, ce qui est archi-faux et, de ce fait, voter ne servira à rien. On arrive à mobiliser les citoyens à travers surtout des sorties de proximité où nous discutons en face-à-face de leurs soucis quotidiens », confie celui qui se présente à l’APW de Béjaïa, en Kabylie.
À ses côtés, on rumine contre des infractions commises par des élus affiliés à l’alliance présidentielle. Selon des militants du RCD, certains responsables du Front de libération nationale (FLN) ont utilisé des moyens publics (véhicules, sonorisation, etc.) pour faire campagne. Malgré tout, pas question de faire l’impasse sur ce rendez-vous.
« Le boycott, dans la vie d’un parti, n’est qu’une exception et point la règle. Nos concitoyens au niveau des communes et des wilayas ont besoin de faire entendre leurs aspirations. Nous n’avons pas le droit de déserter les élections locales, nous devons sauvegarder ces espaces de liberté et de démocratie », défend Réda Boudraa.
L’arme des réseaux sociaux
Contrairement à il y a cinq ans, la campagne électorale ne s’est pas déroulée seulement dans les salles de meeting, les sièges des partis et la rue. Face au risque d’abstention, plusieurs partis ont investi massivement les réseaux sociaux comme autre levier de mobilisation. C’est le cas notamment du Rassemblement national démocratique (RND), la formation dirigée par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui a constitué des équipes de bénévoles à l’échelle locale et nationale dédiées à la communication digitale. À leur tête, Ilies Berchiche, un étudiant en droit qui vit sa première élection communale au sein du RND. Il affiche l’énergie des débutants et ne compte pas les heures passées dans le siège du parti, à Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger, à former et piloter à distance un réseau d’apprentis community managers.
« Ça a été un travail de longue haleine de s’organiser au niveau national. Cet effort s’est soldé par la formation de 48 équipes de communication décentralisées qui se subdivisent sur des centaines de cellules communales », explique le jeune homme. « On se mobilise sur tous les réseaux sociaux, particulièrement Facebook, qui est le réseau le plus influent en Algérie. Il faut savoir que 42 % des Algériens, principalement des jeunes, l’utilisent ».
Le spectre de l’abstention
Dans les couloirs du siège, la jeune garde du RND est persuadée que la nouvelle stratégie de campagne a déjà eu un impact positif. « L’opération a déjà porté ses fruits puisque nous avons amélioré nos scores de 50 % lors des élections législatives de mai par rapport au précédent scrutin », assure Ilies Berchiche. Objectif cette fois : améliorer le score obtenu aux dernières élections communales au cours desquelles 6 000 candidats étiquetés RND avait été élus.
Mais les élections communales peuvent-elles vraiment échapper à la vague d’abstention ? Au siège du Front national algérien (FNA), niché dans un quartier populaire d’Alger, on veut encore croire à un sursaut électoral. Un jeune militant espère : « Traditionnellement, ces élections sont celles qui suscitent le plus d’intérêt parmi les Algériens parce que c’est leur devenir immédiat et celui de leurs enfants qui est en jeu ». En 2012, près d’un électeur sur deux s’était exprimé. Combien seront-ils cette année ? Réponse jeudi.
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