James Mwangi, Equity Bank : « Nous voulons concurrencer le cash »

À une expansion effrénée sur le continent, James Mwangi privilégie le dynamisme de ses services. Via le téléphone mobile, le patron qui a relancé l’établissement kényan Equity Bank vise ceux qui n’ont pas encore accès à la banque.

James Mwangi est entré chez Equity Building Society en 1993. © Equity Bank

James Mwangi est entré chez Equity Building Society en 1993. © Equity Bank

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 11 décembre 2014 Lecture : 7 minutes.

Dans le paysage bancaire africain, Equity Bank et James Mwangi, son directeur général, sont des phénomènes. Fondée quelques mois avant Ecobank, la banque trentenaire compte 9,2 millions de clients (à peine moins que sa consoeur) malgré une présence dans cinq pays, contre 36 pour le groupe panafricain. Sa taille reste modeste mais c’est son dynamisme, largement insufflé depuis dix ans par son dirigeant, premier Africain désigné entrepreneur de l’année par le cabinet d’audit EY et à la tête du programme de développement Kenya Vision 2030, qui le distingue largement de ses pairs. Il a notamment misé sur l’agency banking, technique de commercialisation via des agents externes devenue un modèle dans l’est du continent.

Son nouveau pari ? Imposer son groupe dans les services financiers sur téléphone portable. Doté d’une licence d’opérateur mobile virtuel (MVNO), Equitel vient de se lancer dans une bataille qui l’oppose au plus dynamique des opérateurs télécoms du continent : Safaricom, et son service de transfert de fonds M-Pesa. Jeune Afrique a rencontré le cinquantenaire à Londres, en marge du Global African Investment Summit, pour une interview sans concession.

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Propos recueillis par Frédéric Maury, envoyé spécial à Londres

Jeune Afrique : Il y a dix ans, Equity Bank comptait 410 000 clients, soit vingt fois moins qu’aujourd’hui. Comment êtes-vous parvenu à ce résultat ?

James Mwangi : Nous avons crû très vite, de 2 000 à plus de 9 millions de clients, car nous n’avons pas cherché à concurrencer les opérateurs qui se disputaient 4 % du marché. Nous nous sommes concentrés sur les 96 % de personnes qui n’étaient pas bancarisées. Quatre-vingt-neuf pour cent de nos clients n’avaient pas de comptes en banque avant. L’un des défis était la distance séparant ces populations d’une agence et les contraintes imposées par les banques, notamment en matière de retrait. Mais personne ne veut garder son argent sous un matelas. Nous avons donc rendu la banque accessible, en supprimant le montant minimum pour ouvrir un compte, les limites en matière de fréquence et de montant de retrait. Nous avons introduit l’agency banking et utilisé le mobile banking.

Cette croissance rapide est-elle solide ?

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Nous satisfaisons aux critères de Bâle [normes internationales pour garantir la solidité financière des établissements] et nous sommes les mieux capitalisés en Afrique. Nous sommes quatrième sur le continent en matière de rentabilité des actifs et numéro deux en ce qui concerne la rentabilité des fonds propres. La qualité de nos crédits fait partie des meilleures. Selon The Banker, nous sommes la 64e banque la plus solide au monde. La question n’est pas la croissance mais la capacité à la gérer. Savez-vous mettre en place les organisations appropriées, globaliser le leadership ? Notre responsable IT est chinois, celui du développement des produits est espagnol, celui du mobile est italien.

Vous affirmez que vos concurrents ne sont plus les banques mais les liquidités…

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Cinquante-sept pour cent des Kényans bancarisés sont nos clients. Mais nous pouvons encore progresser. Nous voulons en effet faire concurrence au cash.

Est-ce le but de la licence d’opérateur mobile virtuel que vous avez obtenue en début d’année ?

Oui, car le mobile est aussi un outil de paiement, qui remplace les règlements en liquide. Nous avions besoin d’avoir la main sur la carte SIM pour nous assurer de la qualité du service et de la sécurité des données.

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Alors que le mobile money rencontre un grand succès en Afrique, pourquoi les banques laissent ce marché aux opérateurs télécoms ?

Ce sont des technologies complètement différentes. Et il y a la régulation : vous n’avez pas forcément le droit de le faire. Donc les banques restent cantonnées à un rôle d’assistance. Mais avec notre licence MVNO, nous pouvons opérer sur ce segment.

Nous allons assister à une convergence des métiers de banquier et d’opérateur télécoms. Il n’y a pas vraiment de différence entre une carte SIM et une carte de paiement.

Au Kenya, Safaricom est leader dans le mobile money, et au Zimbabwe, le groupe Econet a acquis une banque. Pensez-vous que les métiers de banquier et d’opérateur télécoms vont continuer de se rapprocher ?

Vous allez assister à une convergence des deux métiers. Les télécoms, ce sont des infrastructures. La banque, ce sont des produits et des services. Selon moi, il est plus facile pour les banques d’obtenir des licences télécoms, car cela revient à acquérir des infrastructures.

Ensuite, il n’y a pas vraiment de différence entre une carte SIM et une carte de paiement. En revanche, les opérateurs télécoms, eux, devront – en plus d’obtenir des licences bancaires – intégrer des compétences en matière de régulation, de produits. Je ne suis pas inquiet par le fait que des opérateurs télécoms décident d’acquérir des banques. Pour eux, cela sera un désastre.

Safaricom s’est opposé à votre arrivée dans les télécoms, en mettant en cause l’utilisation de cartes SIM ultrafines, qui se superposent sur les cartes téléphoniques classiques. Où en est le processus ?

Personne n’a jamais gagné contre l’innovation. L’autorité des télécoms au Kenya ne régule pas la technologie. Leur démarche était futile et visait à retarder le lancement de nos activités. Mais nous avons déjà émis 250 000 cartes SIM et, désormais, Equitel offre même de la data et de la voix. À l’origine, nous n’avions pas l’intention d’offrir des services de téléphonie, mais nous avons décidé de répondre à Safaricom en portant la bataille sur leur terrain.

Comment expliquez-vous que le Kenya soit si innovant en matière de services financiers ?

Le pays dispose de l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde et d’un état d’esprit entreprenant. Le secteur informel est immense.

Allez-vous exporter ces innovations ?

Nous voulons d’abord rentabiliser nos investissements en Afrique de l’Est. Nous sommes présents dans cinq pays, où nous faisons de l’agency banking et du mobile banking, et nous lancerons nos activités au Burundi l’an prochain. Ensuite, nous regarderons plus loin. Cela pourrait être l’Afrique australe ou l’Afrique de l’Ouest, mais si le marché bancaire éthiopien s’ouvre, ce sera la meilleure opportunité.

Votre ambition n’est donc pas d’être une banque panafricaine…

Non. Celles qui le sont ne connaissent pas un succès très marqué. J’ai du mal à comprendre le modèle économique d’une stratégie qui consiste à planter des drapeaux.

Au Nigeria, la Banque centrale a limité à dix ans la durée maximale pour un mandat de directeur général. Vous qui atteignez ce cap, qu’en pensez-vous ?
Les grands entrepreneurs ne sont pas des employés : ils poursuivent leurs rêves et leurs missions. Une telle limitation me paraît déplacée et pas très scientifique, c’est comme demander à Warren Buffett de laisser la main.

>>> Afrique subsaharienne : ces étonnants banquiers qui aiment le risque

L’un de vos actionnaires principaux, Helios, vend ses parts (25 %). Qui pourrait être votre prochain actionnaire de référence ?

Je ne suis pas au courant de cette opération. Et nous n’avons pas d’actionnaire de contrôle. Helios détient des parts, mais seulement deux sièges sur dix dans le conseil d’administration, et nos employés en possèdent aussi. Equity Bank est son propre actionnaire de référence : il possède en totalité toutes ses filiales régionales.

Les banques ne font pas faillite en raison de leur modèle économique mais parce qu’elles sont mal gérées.

Après avoir conquis les clients non bancarisés, la sud-africaine African Bank a été placée sous curatelle en août en raison de ses problèmes financiers. Cela pourrait-il arriver à Equity Bank ?

Les banques ne font pas faillite en raison de leur modèle économique mais parce qu’elles sont mal gérées.

Cette année, le Kenya a révisé à la hausse son PIB et émis un Eurobond de 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros). Est-il sur la bonne voie ?

Nous sommes sur la bonne voie pour devenir un pays développé. Nous avons atteint un PIB par habitant qui a dépassé les 1 000 dollars cinq ans avant 2019, la date prévue. C’est la récompense de réformes importantes et de la modernisation des infrastructures. L’objectif était de créer un environnement stable du point de vue macroéconomique mais aussi constitutionnel et légal. En deux ans, 38 marques mondiales comme IBM, General Electric ou Microsoft ont délocalisé leurs sièges Afrique de Johannesburg vers Nairobi.

Depuis 2008, la croissance au Kenya a toutefois été inférieure à la moyenne des pays subsahariens…

La croissance a été affectée par la crise financière internationale car le Kenya était le pays le plus globalisé en Afrique de l’Est. Ensuite, nous avons connu une période importante de réformes et il faut attendre quelques années avant qu’elles portent leurs fruits. Le PIB va croître de 5,7 % cette année.

Que peut changer le boom pétrolier et gazier en Afrique de l’Est ?

Le Kenya trouve du pétrole après avoir mis en place le cadre institutionnel nécessaire à la bonne gestion de ses ressources. La possibilité que le pays en souffre économiquement ou politiquement est donc nulle. Et les entreprises des services pétroliers se positionnent chez nous pour travailler dans la région.

Les arrivées touristiques ont baissé de 13,6 % au premier semestre. Ce secteur va-t-il souffrir longtemps ?

Le Kenya a une économie diversifiée qui lui permet d’absorber les chocs. Et le Royaume-Uni vient de lever les restrictions de voyage [liées au danger terroriste] dans notre pays.

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Tout comprendre sur le pari télécom d’Equity Bank

La frontière entre banques et télécoms est de plus en plus poreuse. Au Zimbabwe, l’opérateur de téléphonie mobile Econet Wireless en avait déjà fait la démonstration, en 2013, en rachetant une banque. Aujourd’hui, le kényan Equity Bank en donne la preuve réciproque en décrochant l’une des trois licences d’opérateur mobile virtuel (MVNO) attribuées récemment par les autorités. Le groupe bancaire déploiera dans les semaines qui viennent cette nouvelle activité.

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