RDC : pourquoi le projet de réforme électorale suscite une levée de boucliers
Avant l’examen du nouveau projet électoral à l’Assemblée nationale, une « innovation » fait déjà polémique. Beaucoup, au sein de la classe politique congolaise, voient en effet d’un mauvais œil l’introduction d’un « seuil de représentativité » dans le processus de répartition des sièges des députés en RDC.
C’est devenu une tradition congolaise. À chaque cycle électoral, sa réforme, son ajustement des règles de jeu avant la partie. En 2011, quelques mois avant la réélection controversée du président Joseph Kabila, la Constitution avait ainsi été révisée pour ramener à un tour – au lieu de deux – le scrutin présidentiel. Et à l’approche des élections initialement prévues fin 2016, un autre projet de loi électorale avait été votée mi-janvier 2015, malgré des protestations violemment réprimées à Kinshasa. N’échappent pas à cette règle tacite les nouvelles échéances projetées à partir de décembre 2018.
Adopté à l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire le 14 novembre, un nouveau projet de réforme électorale est porté par Emmanuel Ramazani Shadary, vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité. Le document de 29 pages, dont Jeune Afrique a pu consulter une copie, a atterri le lundi 20 novembre au bureau de l’Assemblée nationale. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) attend, théoriquement, son adoption au Parlement au plus tard le 30 novembre, avant sa promulgation par le président de la République le 15 décembre.
Une « innovation » qui divise
Le texte ne contiendrait que des « innovations introduites pour rationaliser le système électoral dans le pays », avance-t-on dans l’entourage de Ramazani Shadary. Une perception que ne partage pas l’opposition. « Ces prétendues innovations ne vont pas dans le sens du renforcement de la démocratie et de la cohésion nationale », rétorque le député Delly Sesanga, coordonnateur du regroupement politique Alternance pour la République (AR) qui soutient la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle.
Il faudrait au moins 900 000 voix à chaque parti ou regroupement politique pour participer à la répartition des sièges. C’est trop ! » estime le député Muyaya
Parmi les nouveautés proposées, une fait déjà polémique avant même l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Il s’agit du recours à un « seuil de représentativité » pour être déclaré élu à la chambre basse du Parlement congolais, voire aux assemblées provinciales et locales. Concrètement, si le projet de loi passe en l’état, les listes des partis et regroupements politiques ou des candidats indépendants doivent atteindre ou dépasser « 3 % du nombre total de suffrages valablement exprimés » au niveau national pour espérer remporter des sièges à l’hémicycle.
Autrement dit, avec plus de 40 millions d’électeurs déjà enrôlés, « si on compte 30 millions de suffrages valablement exprimés à l’issue des élections législatives, il faudrait au moins 900 000 voix à chaque parti ou regroupement politique pour participer à la répartition des sièges. C’est trop ! » estime le député Patrick Muyaya, cadre du Parti lumumbiste unifié, formation politique proche de la Majorité présidentielle (MP). Ce point de vue est partagé par plusieurs autres partis de la MP. Ces derniers ont clairement manifesté leur réticence, jeudi, lors des consultations avec Corneille Nangaa, président de la Ceni.
Le PPRD tente de calmer les esprits
« Beaucoup considèrent que ce seuil va les faire disparaître au profit du PPRD [parti de Kabila et principale formation politique de la MP]. Et ils ne veulent pas être sous la coupe des dirigeants du PPRD », relève Patrick Muyaya qui a participé aux échanges. L’élu de Kinshasa confie qu’il en a profité pour proposer de « ramener ce seuil à 1% du nombre de suffrages exprimés dans une circonscription ». D’autant que « dans l’esprit, explique-t-il, personne ne s’oppose à ce seuil mais c’est le contexte qui est suspect. Une telle réforme fondamentale requiert consensus et sérénité puisqu’elle apporte de grands changements ».
Ce n’est plus possible de rester dans un système qui encourage l’inflation des partis
Du côté du PPRD, on essaye, pour l’instant, de calmer les esprits. À ceux qui pensent que ce « seuil de représentativité » a été pensé pour renforcer davantage les grands partis, le député François Bokona répond que « rien n’est automatique ». « Les techniques électorales sont complexes », dit-il avant d’appeler les uns et les autres à « attendre le débat général » à l’Assemblée nationale. « Le seuil de représentativité permet d’avoir de grands ensembles politiques. Ce n’est plus possible de rester dans un système qui encourage l’inflation des partis, on en compte plus de 560 aujourd’hui », commente de son côté un conseiller du ministère de l’Intérieur.
Le cautionnement électoral lui aussi critiqué
« On pose un vrai problème mais on propose une fausse solution », maintient Delly Sesanga. Pour cet opposant, « le seuil de représentativité tel que proposé a l’inconvénient d’instaurer une sorte de circonscription nationale et d’oublier les spécificités de chaque circonscription ».
Si le seuil de 3% était appliqué en 2011, le MLC ne serait pas représenté à l’Assemblée », affirme le député Sesanga
Et « en le combinant avec le cautionnement par siège qui est également introduit dans ce projet de loi, on consacre l’exclusion », dénonce le leader de l’Envol, qui craint qu’au final « l’expression politique [ne] soit biaisée » par la nouvelle réforme électorale encore en chantier. Delly Sesanga en veut pour preuve les « quelques simulations » qu’il a faites avec les résultats des législatives de 2011. « Si un seuil de 3 % du nombre total des suffrages exprimés lors de ces élections était appliqué, le Mouvement de libération du Congo [MLC, parti de Jean-Pierre Bemba et première force de l’opposition parlementaire en 2006, NDRL] ne serait pas représenté à l’Assemblée nationale », affirme le député.
Dans le projet de loi, le paiement d’un cautionnement électoral par nombre de siège visé, grâce à un « un coefficient de réduction pour les circonscriptions comptant un plus grand nombre de sièges à pourvoir », voudrait en revanche « apporter plus d’équité lors du dépôt des candidatures », selon les défenseurs de ce texte. Il sera désormais exigé, si la réforme est adoptée, 800 000 francs congolais (environ 450 euros) pour un siège visé, 750 000 par siège pour deux sièges visés, 700 000 par siège pour trois sièges visés, 650 000 par siège pour quatre sièges visés, 600 000 par siège pour cinq sièges visés…
Les autres nouveautés de la réforme électorale
Autre innovation : l’obligation faite aux « candidats indépendants qui exercent un mandat électif ou tout autre mandat public pour le compte d’un parti ou regroupement politique », de démissionner « trois mois au plus tard avant la date limite du dépôt des candidatures ».
Ainsi sera-t-il interdit à un parti de se retrouver dans plus d’un regroupement politique. Plus question également qu’une manifestation, lors de la campagne électorale, s’étende au-delà de deux heures du matin. « On veut mettre de la rigidité là où il nous faut de la flexibilité », regrette Delly Sesanga.
Sauf imprévu, l’examen du texte commencera le lundi 27 novembre. Mais compte tenu de la levée de bouclier actuelle, il faudrait presque un miracle pour que celui-ci soit adopté par les deux chambres du Parlement d’ici le 30 novembre, comme le souhaite la Ceni.
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